AU TIBET
Je lui montrerai tout ce qu'il doit
souffrir pour mon nom. Actes 9. 16.
Dès le début de son activité
missionnaire, le Sadhou envisagea la grande et périlleuse entreprise
de
porter l'Évangile au Tibet, cette forteresse du bouddhisme,
ce pays inaccessible, éloigné des contrées
environnantes par sa situation géographique, fermé
à l'Évangile et à toute influence étrangère.
L'impressionnante beauté de ses montagnes
aux neiges éternelles, la richesse de ses monastères avec
leurs trésors et leurs écrits sacrés, l'ignorance
qui plane encore sur les moeurs et la mentalité de ce peuple
que la civilisation européenne n'a pas encore atteint,
font du Tibet un pays mystérieux et étrange, isolé
du
reste du monde par ses frontières closes.
Sundar ne connaissait ni le pays, ni le peuple,
ni la langue ; il savait seulement qu'il aurait à surmonter de
grandes difficultés, mais dans son zèle et son
amour pour le Christ, il ne reculait devant aucun danger ni
aucune souffrance. N'était-il pas un Sikh, un soldat aux
ordres de son Maître ? N'est-ce pas parce que le
Christ avait besoin d'un témoin sans peur qu'il l'avait
choisi pour cette mission dangereuse ? N'y avait-il pas
un grand nombre de serviteurs de Dieu pour proclamer la bonne
nouvelle du salut à travers l'Inde, tandis
que personne n'était disposé à affronter
les dangers de ce pays négligé et hostile ?
Élevé non loin des hautes
montagnes de l'Himalaya, Sundar avait souvent laissé s'envoler sa
pensée de
l'autre côté de la frontière, vers ces peuplades
plongées dans les ténèbres du paganisme et qui n'avaient
jamais entendu parler de l'amour de Dieu.
Les Tibétains sont extrêmement religieux,
mais beaucoup sont fort ignorants et superstitieux. Les lamas
gouvernent le pays, et gardent le peuple dans l'ignorance afin
de conserver leur influence sur lui. Ils vivent
ensemble dans des monastères ou lamaseries, et passent
une grande partie de leur temps à étudier leurs
livres sacrés. Beaucoup d'entre eux cherchent sincèrement
la vérité et aspirent à vivre saintement. Mais
d'autres, détenant la richesse et l'autorité, sont
cruels, fanatiques, corrompus. Le peuple vit dans la crainte
et attribue aux prières des lamas le pouvoir de le protéger
contre des dieux et des démons sans nombre dont
il se croit entouré et qu'il imagine être jaloux,
puissants et vindicatifs. Pour apaiser leur colère et échapper
à
leurs maléfices, il apporte des offrandes aux lamas afin
d'obtenir leur intercession.
A la tête de tous les lamas, gouvernant le
pays avec une souveraineté absolue, se trouve le Dalaï-lama
ou
grand prêtre. Il réside dans un magnifique palais
construit au sommet d'un rocher, le Potala, dominant la
cité sacrée de Lhassa. Le temple est consacré
à Bouddha ; ses murs massifs, ses terrasses et ses bastions
s'élèvent verticalement de la plaine ; il est couronné
d'un dôme étincelant d'or et de turquoises. Au pied du
monastère, la cité de Lhassa croupit dans la saleté.
Le Tibet est le pays des moulins à
prières que l'on fait mouvoir machinalement; des drapeaux de prières
flottent au vent ; dans certaines lamaseries, des cylindres contenant
des millions de copies de prières
tournent continuellement. Les Tibétains croient que par
ces répétitions constantes, ils obtiennent le pardon
des péchés et la bénédiction de leurs
dieux.
Le Sadhou ne fut pas le premier missionnaire qui
tenta d'entrer dans ce pays inhospitalier. Les missions
chrétiennes ont une remarquable histoire dont il serait
trop long de parler ici. La mission la plus récente est
celle des Frères moraves qui travailla à la frontière
du Tibet et a pu parfois pénétrer jusqu'à l'intérieur
du
pays ; mais à la suite de difficultés insurmontables,
les portes furent fermées non seulement par ordre des
Tibétains, mais aussi par le gouvernement anglais. Celui-ci
autorisa la mission morave à continuer son
travail à condition de limiter son activité au
territoire sous mandat britannique.
On dit que les chrétiens hindous, qui sont
entrés au Tibet comme marchands ou comme ascètes, sont
morts en martyrs ; ce fut aussi le cas de Tibétains qui
avaient accepté le Christ comme Sauveur,
Sundar Singh a plus d'une fois raconté
le martyre d'un de ses concitoyens sikhs - Kartar Singh - dont
l'histoire ressemble beaucoup à la sienne. Élevé
comme lui dans le luxe, il trouva dans le christianisme la
réponse aux profondes aspirations de son âme. Persécuté
par sa famille, qui avait concentré sur lui toutes
ses espérances comme unique héritier du nom, il
eut beaucoup à souffrir.
Chassé de chez lui, il se mit à prêcher
dans son pays d'abord, puis il se dirigea vers les montagnes du
Tibet et arriva jusqu'au coeur du pays. On essaya de le chasser
du territoire, mais il ne cessa de proclamer
son message jusqu'au jour où il dut comparaître
devant le lama de Tsinghan. Inculpé de pénétration
illicite
dans le Tibet et d'y enseigner une religion étrangère,
il fut condamné à mort. Il écouta silencieusement
la
sentence et s'en alla d'un pied ferme au lieu du supplice, pressant
encore la foule qui l'entourait de chercher
sans retard le salut qui est en Jésus-Christ. Sur la place
d'exécution, Kartar fut dépouillé de ses vêtements
et cousu dans une peau de yack humide qui, en se rétrécissant
au soleil, cause à celui qu'elle enveloppe les
plus cruelles souffrances. Pendant trois jours que dura ce supplice,
il ne laissa pas échapper une plainte.
Vers le soir, avant de mourir, il rendit à haute voix
grâces à Dieu pour toutes ses consolations et expira avec
ces mots sur les lèvres : « Seigneur Jésus,
reçois mon esprit ».
Le premier secrétaire du lama,
vivement impressionne par ce qu'il venait de voir, emporta le Nouveau
Testament de Kartar pour l'étudier, et bientôt une
nouvelle clarté pénétra son âme. Un jour il
déclara au
lama qu'il avait donné son coeur à Jésus-Christ.
Pour lui aussi c'était la mort certaine, et il dut subir le
même supplice que Kartar, aggravé encore par d'autres
cruautés : on enfonça des éclats de bois sous ses
ongles ; on le retira de sa peau de yack pour le traîner
dans les rues de la ville, puis le croyant mort, on jeta
son pauvre corps inanimé sur un tas d'immondices. Par
miracle le malheureux revint à la vie et put ramper
plus loin. Ses bourreaux furent terrifiés en le revoyant
debout et guéri de ses blessures. Persuadés qu'il
avait en lui un pouvoir surnaturel, ils n'osèrent plus
lui faire de mal et il put continuer à prêcher Christ aux
Tibétains. Il a raconté lui-même son histoire
à Sundar Singh lorsque celui-ci le rencontra au cours de ses
pérégrinations.
Un chrétien anglais, qui connaît
mieux que personne les indescriptibles difficultés de travail au
Tibet,
écrivait : - Un miracle sera nécessaire pour vaincre
cette colossale idolâtrie soutenue par toutes sortes de
diaboliques inventions. Comment pourrons-nous lutter contre ces
essaims de lamas, fous de rage envers
ceux qui n'appartiennent pas à leur religion ? Il faudra
de grands saints pour ouvrir le chemin dans ce pays
de superstition. je tremble quand je pense à toutes les
souffrances qu'il faudra endurer, mais la puissance
de Dieu est sans limite.
Ce fut ce champ de mission, le plus difficile de
tous, que le jeune chrétien hindou de 19 ans choisit pour
sa sphère d'activité. Sans soutien, sans ressources,
sans préparation spéciale, se confiant uniquement dans
la grâce de Dieu, et prêt à donner sa vie
pour la cause de Christ, Sundar se disposa à affronter cette tâche
surhumaine.
Lorsqu'en 1908 il atteignit la station de la mission
morave à Poo, il y trouva l'appui le plus empressé ; il
put se familiariser avec les rudiments du langage tibétain,
et un jeune évangéliste, Thanyat-Ali, fut mis à sa
disposition pour l'accompagner. Chaque année, au printemps,
lorsque s'ouvraient les routes bloquées par la
neige et la glace, le Sadhou quittait Kotgarh (petit village
entouré de forêts et possédant une église, un
modeste hôpital et une école de la Mission) pour
atteindre la frontière du Tibet. De là, le chemin traverse
au début une terre cultivée, puis descend en zigzags
à travers d'épaisses forêts d'où surgissent
de
magnifiques échappées sur la plaine où coule,
quatre mille pieds plus bas, le Sutlej. La chaleur de cette
contrée enfermée entre de hautes montagnes, est
suffocante. C'est l'une des dernières vallées de l'Inde
hindoue ; au-delà commence l'Asie centrale bouddhiste.
Peu a peu le type mongol prédomine ; la culture
hindoue disparaît et une nouvelle civilisation commence.
La route du Tibet s'élève abrupte. Souvent
dangereuse, elle devient difficile à gravir.
Pour pouvoir endurer, par tous les temps,
les fatigues et les dangers de ces voyages, il fallait une
vitalité, une endurance, un courage peu communs. Souvent
le Sadhou, arrêté par le gouvernement anglais,
ne put même franchir la frontière; mais d'autres
fois il pénétrait jusqu'au centre du pays. La réception
qui
lui était faite n'était pas toujours hostile, et
sa robe de Sadhou lui ouvrait bien des portes. Il fut heureux de
trouver parfois, dans ces terres inhospitalières, des
amis prêts à l'aider, entre autres un jeune Tibétain
nommé Thapa qui lui servit d'interprète et qu'il
baptisa. Mais bien souvent il se trouvait continuellement
seul en face de grands dangers. Il n'a tenu aucun journal de
ses voyages, en sorte qu'il n'est pas possible de
fixer les dates et de placer les divers événements
survenus au cours de ses pérégrinations dans un ordre
chronologique. Dans ses récits, souvent fragmentaires,
de ses voyages au nord de l'Inde, au Népal ou au
Tibet, il énumère les nombreux périls auxquels
il fut exposé : le froid intense qui règne dans ces montagnes
dont il eut à franchir des cols dépassant 5000
mètres d'altitude ; les vents furieux qui balayent les hauts
plateaux du Tibet, les rivières ou les torrents qu'il
fallait traverser à pied ou à la nage dans l'eau glacée,
au
risque d'être entraîné par le courant ; la
faim et la soif auxquelles il était en proie dans des contrées
arides
ou par le refus des habitants de lui donner la moindre nourriture
; la fatigue des longues marches dans ce
pays rocailleux et désertique, sans un abri pour y passer
la nuit ; ou, s'il était reçu par les habitants du pays,
l'inimaginable malpropreté de leurs logis et de leurs
habitudes.
Les bêtes féroces, les serpents venimeux
étaient un danger constant, ainsi que les brigands qui infestent
la
contrée et dépouillent ou tuent les infortunés
voyageurs.
D'autre part le Sadhou eut à subir la violente hostilité
des lamas, et les terribles persécutions qu'ils infligent
aux chrétiens.
Tous ces dangers et toutes ces souffrances
ont été l'occasion de magnifiques délivrances d'une
mort qui
paraissait parfois certaine : - Lorsque je me dirige vers le
Tibet, je n'ose jamais espérer en revenir ; chaque
fois je pense que c'est mon dernier voyage ; mais c'est sans
doute la volonté de Dieu que je sois préservé. -
Comme Paul, il pouvait dire : « je ne fais pour moi aucun
cas de ma vie, comme si elle m'était précieuse,
pourvu que j'accomplisse ma course avec joie, et le ministère
que j'ai reçu du Seigneur Jésus d'annoncer la
bonne nouvelle de la grâce de Dieu. »
- Au commencement de juillet, raconte le Sadhou,
je partis pour le Tibet, prenant avec moi le jeune
chrétien Thanyat. Nous annonçâmes l'Évangile
dans les villages sur notre route avant d'atteindre la
frontière du Tibet. De là, pendant des kilomètres,
nous ne vîmes que des bergers, mais aucune habitation,
en sorte que nous fûmes obligés de coucher à
la belle étoile. Le froid devint intense pendant la nuit, et il
nous fallut franchir un passage de montagne très élevé,
traversant des glaciers avec de nombreuses
crevasses. Bien des gens meurent de froid dans ces régions
et nous vîmes trois cadavres au travers du
chemin. La respiration devient difficile à cette altitude,
mais par la bonté de Dieu, nous parvînmes de
l'autre côté de ce dangereux passage. - Lorsqu'ils
atteignirent le village de Mudh, ils furent reçus avec bonté
par le chef de la localité qui invita le lama à
partager leur repas ; comme ce dernier comprenait un peu
l'hindoustani, il entendit le message du salut avec joie ; d'autres
encore furent tout disposés à écouter
l'Évangile. De là les deux voyageurs parvinrent
au monastère tibétain de quatre cents lamas, Kee-Gunpa.
Ils y passèrent deux jours auprès du chef lama
qui ne leur fit point de mal, mais qui entra avec le Sadhou
dans de vives controverses. Par contre, dans les villages qu'ils
traversèrent ensuite, ils rencontrèrent la plus
violente opposition.
Au cours de l'un de ses voyages, non
loin du village de Garhwal, le Sadhou vit deux hommes dont l'un
disparut soudainement. Sundar rejoignit le voyageur solitaire
qui l'arrêta en lui montrant un corps enveloppé
d'un drap. - C'est mon ami qui vient de mourir, dit-il, je suis
un étranger ici, je vous demande de m'aider
pour payer l'enterrement. - Sundar n'avait que deux pièces
de monnaie qui lui avaient été données pour
acquitter le droit de passage d'un pont ; il les lui tendit et
poursuivit sa route. Peu après il fut rejoint par
l'homme qui arrivait en courant, la figure bouleversée,
annonçant dans les larmes, que son ami était
vraiment trépassé. Le Sadhou lui demanda ce qu'il
voulait dire, et finit par comprendre l'histoire suivante :
depuis des années ces deux imposteurs faisaient à
tour de rôle le prétendu mort pour exploiter les passants.
Mais cette fois-ci, le mendiant revenu vers son ami, l'appela
en vain et, soulevant le drap, vit qu'il était
réellement mort. Il supplia le Sadhou de lui pardonner
car il était certain d'être en présence d'un très
saint
homme qu'il avait dépouillé et que les dieux, dans
leur courroux, le châtiaient. Sundar lui parla du seul vrai
Dieu et de son pardon pour ceux qui se repentent de leurs mauvaises
actions. Plein d'une sincère contrition,
le coupable accepta le message du salut. Le Sadhou laissa cet
homme l'accompagner pendant un certain
temps, puis l'envoya dans la station missionnaire de Garhwal
où plus tard il fut baptisé.
Le Sadhou traversait un jour les montagnes,
avec un compagnon tibétain, par un froid intense et une
abondante neige. Tous deux souffraient violemment et désespéraient
d'atteindre le but de leur voyage.
Arrivés près d'un précipice, ils trouvèrent
un homme gisant au bas d'une pente glacée, inanimé. Sundar
proposa de le transporter jusqu'à un abri, mais le Tibétain
s'y refusa ; voulant avant tout sauver sa propre
vie, il passa outre. Le Sadhou, à grand-peine, souleva
le moribond, le chargea sur son dos puis avança à
pas lents avec son lourd fardeau. Cependant, l'effort ne tarda
pas à le réchauffer, et il communiqua sa
chaleur au pauvre homme qui se ranima à son tour. Peu
après il trouva son malheureux compagnon tibétain
étendu au bord de la route. Il était mort de froid,
tandis que Sundar parvenait au but de son voyage avec
l'homme dont il venait de préserver la vie. « Celui
qui voudra sauver sa vie la perdra, mais celui qui la
perdra à cause de moi la retrouvera. »
A Narcanda, dans les montagnes entre
Simla et Kotgarh, le Sadhou passa auprès de quelques hommes
moissonnant un champ ; il s'approcha pour s'entretenir avec eux.
Ils firent peu attention à lui, mais bientôt
se fâchèrent d'entendre parler d'une religion étrangère.
L'un d'eux le maudit et, prenant une pierre, la lui
jeta à la tête et le blessa. Tôt après,
cet ouvrier fut saisi d'un violent mal de tête et dut abandonner
son
travail. Le Sadhou, relevant la faux, reprit la tâche inachevée.
Voyant cela, les autres moissonneurs
changèrent d'attitude envers lui, et lorsque le travail
fut terminé, ils l'invitèrent à venir chez eux. Il
accepta,
heureux de pouvoir délivrer son message avant de quitter
le village. Après son départ, lorsque ces hommes
mesurèrent la moisson rentrée ce jour-là,
ils constatèrent avec étonnement qu'elle était beaucoup
plus
considérable que d'habitude. Une grande crainte s'empara
d'eux : l'étranger devait être un saint, cette
superbe moisson en était un signe certain. Ils se mirent
à sa recherche, mais en vain. L'homme qui avait
lancé la pierre, envoya ce récit à un journal
du nord de l'Inde, priant le Sadhou, si ces lignes tombaient sous
ses yeux, de revenir auprès d'eux.
Le Sadhou a parfois rencontré,
dans ses pérégrinations à travers les montagnes de
l'Himalaya,
quelques-uns de ces célèbres ermites tibétains
qui s'enferment, solitaires, dans des cavernes naturelles.
Séparés du reste des humains, privés de
la lumière du soleil, plongés dans l'obscurité, ils
se nourrissent des
aliments déposés par les passants dans un trou
pratiqué à cet effet. Absorbés dans de profondes
méditations et tournant sans relâche un moulin a
prières, ces ascètes espèrent par là atteindre
le Nirvâna,
l'extinction de tout désir. Le Sadhou a pu parfois introduire
dans leurs maisons quelques portions des
Évangiles, espérant qu'ils les liraient lorsqu'ils
sortiraient de leurs tombeaux. Un jour, en escaladant une
montagne rocheuse, Sundar découvrit dans une grotte un
homme en prière ; pour lutter contre le sommeil,
il avait attaché ses longs cheveux au rocher de la voûte
et, heure après heure, il implorait le pardon de ses
péchés, et cherchait la paix de son âme.
- Avez-vous trouvé cette paix ? lui demanda Sundar. - Le pauvre
Tibétain lui répondit que jusqu'à présent
il ne l'avait pas reçue.
Alors le Sadhou lui raconta l'histoire de Jésus
qui a dit : « Venez à moi et je vous donnerai le repos ».
L'homme écoutait attentivement, son âme s'ouvrait
à la lumière et il s'écria : - Maintenant j'ai trouvé
cette
paix ; conduis-moi à lui, je veux être son disciple
! - Sundar l'invita à venir jusqu'à une station missionnaire,
afin d'être instruit dans la foi chrétienne et de
recevoir la grâce du baptême.
- J'ai appris une grande leçon
de ces ermites, dit Sundar, car ces gens se livrent volontairement à
toutes
ces souffrances pour atteindre le Nirvâna qui n'offre aucune
joie pour la vie future et ne conduit qu'à
l'extinction de la vie. Combien plus devons-nous être prêts
à servir le Christ et porter joyeusement sa Croix,
lui qui s'est donné pour nous et qui nous a apporté
la vie éternelle !
Un des récits les plus remarquables du Sadhou,
en relation avec ses voyages à la recherche de ces
ermites, fut sa rencontre avec le Maharishi de Kailash. Dans
l'été 1912, le Sadhou voyageait seul dans les
hauts parages d'un chaînon de l'Himalaya appelé
le Kailash. C'est là, à près de 2800 mètres
d'altitude, que
le puissant Indus prend sa source, dans un paysage d'une sublime
grandeur. Le célèbre lac sacré de
Mansarowar se trouve à deux ou trois jours de marche,
et Sundar en parle comme de l'un des endroits les
plus merveilleux qu'il ait jamais vus. Mais les tribus nomades
des environs sont des plus cruelles.
Sur une des sommités du Kailash, à
4300 mètres environ, s'élèvent les ruines d'un ancien
temple
bouddhiste abandonné. Le paysage est d'une impressionnante
beauté ; des sources d'eau bouillante
jaillissent du sol gelé, au milieu des neiges éternelles.
C'est à quelques kilomètres de là que vit le Maharishi.
Au cours d'une de ses excursions de l'été
1921, Sundar, épuisé par ses vains efforts à la recherche
de
ces saints solitaires, perdit tout à coup l'équilibre
et tomba d'un rocher à l'entrée d'une large caverne. Quand
il fut remis de son étourdissement, il fut saisi de surprise
à la vue d'un homme étrange et sans âge qui,
sortant de sa profonde méditation, jeta sur lui un regard
perçant. A son grand étonnement il se trouvait en
face non pas d'un ermite tibétain, mais d'un chrétien,
qui l'invita à s'agenouiller et à prier avec lui, terminant
sa vivante intercession par le nom de Jésus. Il déploya
un volumineux exemplaire des Évangiles en grec, et
lut à haute voix quelques versets du Sermon sur la montagne,
après quoi il raconta à Sundar son histoire.
Il était né à Alexandrie
de parents musulmans ; à trente ans il entra dans l'ordre des Dervishs,
mais ni
l'étude du Coran, ni ses prières ne lui donnèrent
la paix. Dans sa détresse intérieure il alla vers un chrétien
venu des Indes en Égypte pour y annoncer l'Évangile.
Ce saint lui lut cet appel du Christ : « Venez à moi,
vous tous qui êtes travaillés et chargés,
et vous trouverez le repos de vos âmes. » Ces paroles, les
mêmes
qui, plus tard, devaient frapper Sundar, l'amenèrent à
Christ. Il quitta son monastère, fut baptisé, et partit
pour annoncer l'Évangile. Après une longue période
de travail missionnaire, arrivé à l'âge de cent ans
environ, il se retira du monde, et le Seigneur lui fit connaître
qu'il le laisserait encore de nombreuses années
en vie afin qu'il intercédât pour les saints de
Dieu répandus sur la terre.
C'est dans les montagnes du Kailash qu'il
passa sa vie solitaire en méditation et en prière. Dieu lui
accorda de grandes révélations et de glorieuses
visions apocalyptiques sur l'au-delà. Il acquit une solide
connaissance des plantes et de leurs vertus curatives et donna
à Sundar, transi de froid, quelques feuilles
qui, dès qu'il les eut mangées, le réchauffèrent
et le ranimèrent délicieusement. Le Sadhou visita trois fois
le
vieil ermite et reçut de lui une inspiration nouvelle
pour sa vie intérieure et pour son ministère ; mais il évita
toujours d'en parler en public. Il désapprouvait la curiosité
provoquée par cette histoire extraordinaire,
déplorant plusieurs inexactitudes qui s'étaient
répandues. - je ne suis pas appelé à prêcher
le Maharishi,
dit-il, mais à proclamer Jésus-Christ.
La preuve de l'existence de cet ermite
a été confirmée par les membres de la mission des
Sannyasis et
par un ingénieur américain voyageant dans ces contrées
jamais parcourues par les Blancs, et qui, avant de
mourir, parla d'un mystérieux ermite chrétien,
très âgé, demeurant dans ces montagnes. Des marchands
tibétains, eux aussi, racontèrent qu'ils avaient
vu un vénérable Rishi vivant non loin des neiges éternelles.
Et
lorsque nous-mêmes avons entendu le Sadhou, pendant son
séjour en Suisse, nous parler de ses visites au
Maharishi, nous ne pouvions douter de la véracité
de ses récits.
ENCORE LE TIBET
je suis prêt non seulement à être lié
mais encore à mourir pour le nom du Seigneur Jésus.
Saint Paul.
Pendant les premières années
de son travail, Sundar Singh arriva un jour dans un village nommé
Doniwala ; épuisé à l'extrême par
une longue marche, il avait grand besoin de nourriture et surtout de repos
et cherchait un abri pour la nuit ; mais dès qu'on apprit
qu'il était chrétien, tout secours lui fut refusé.
Il
pleuvait et le temps était froid. Il trouva une pauvre
hutte abandonnée, sans porte ni fenêtre, et trop fatigué
pour aller plus loin, il étendit sa couverture dans le
coin qui lui parut le moins humide et, remerciant Dieu
pour cet abri, s'endormit affamé. Quand il se réveilla
à l'aube, il remarqua soudain, dans la pénombre, une
large tache sombre et ronde sur sa couverture ; il regarda plus
attentivement ; c'était un énorme cobra
enroulé tout près de lui. Il se leva promptement,
sortit, puis rentra sans faire de bruit ; prenant la couverture
par un bout, il secoua le gros serpent venimeux qui, brusquement
réveillé, alla paresseusement s'enrouler
dans un autre coin de la hutte, sans se soucier de celui qui
venait de le troubler. Sundar bénit Dieu qui
l'avait protégé durant son sommeil.
Une fois, raconte un élève
du collège théologique de Delhi, alors que j'étais
en séjour avec le Sadhou à
Béréri, près de Kotgarh, nous vîmes,
avant de nous coucher, des lumières se mouvant dans la vallée
; ce
devait être sans doute des hommes à la poursuite
d'un léopard.
Au milieu de la nuit, Sundar se leva et descendit,
à l'extérieur de la maison, l'escalier de bois dont
j'entendis les craquements. Sachant que souvent le Sadhou passait
des heures de la nuit en prière, je ne fus
pas surpris, mais voyant le temps passer et me souvenant du léopard
rôdant dans les environs, je devins
anxieux. je me levai et regardai par la fenêtre du côté
de la forêt. A peu de distance de la maison, le Sadhou
était assis, le regard tourné vers la profonde
vallée.
La nuit était splendide, les étoiles
étincelaient dans un ciel sans nuage, une légère brise
agitait les feuilles
des arbres. je fixai la paisible silhouette du Sadhou, lorsque
mes regards furent attirés par quelque chose se
mouvant à sa droite. Un animal s'avançait vers
lui : je reconnus un léopard. Saisi de frayeur, je demeurai
immobile, incapable d'appeler. Alors le Sadhou se tourna vers
l'animal, puis étendit sa main en un geste
silencieux. Comme un chien fidèle, le léopard se
coucha non loin de lui et baissa la tête, subjugué par une
puissance invisible.
Ce fut une scène étrange que je ne
pourrai jamais oublier. Peu après le Sadhou rentra et s'endormit
bientôt ; mais je restai éveillé, me demandant
ce qui donnait à cet homme un tel pouvoir sur les bêtes
féroces...
Au matin, le jeune homme demanda au Sadhou
si, en face de ce fauve, il n'avait pas été effrayé
?-
Pourquoi ce léopard m'aurait-il fait du mal, répondit-il,
je n'étais pas son ennemi,- et il ajouta :- Aussi
longtemps que je me confie en Jésus-Christ je n'ai aucune
raison d'avoir peur.
Cependant le Sadhou lui-même confessa qu'en
une autre occasion, il fut un moment terrifié, lorsque,
s'éveillant subitement dans une grotte où il s'abritait,
il vit un énorme léopard dormant tout près de lui.
Pourtant il reprit bien vite son sang-froid et sortit doucement,
remerciant Dieu d'avoir préservé sa vie.
Chassé d'une localité, il s'en fut
s'asseoir sur un rocher et là, perdu dans ses réflexions,
il n'aperçut pas
une grande panthère noire s'approchant en rampant, prête
à sauter sur lui. Quand il la vit, le coeur battant,
mais plein de confiance en Dieu, il se leva tranquillement et
s'éloigna. De retour au village, il raconta son
aventure ; elle remplit les villageois d'étonnement :
cette panthère avait tué plusieurs des leurs. Ce Sadhou,
pensèrent-ils, devait être un très saint
homme et, dès ce moment, leur attitude envers lui changea
totalement. Ils s'assemblèrent autour de lui, heureux
de l'entendre parler de ce Jésus qui est toujours avec
ses serviteurs et qui aime tous les hommes.
Jamais, dira le Sadhou, une bête féroce
ne m'a fait le moindre mal.
Le Tibet possède des chats sauvages,
des tigres, des léopards, des lynx, des yacks. Si le yack est un
animal très utile comme bête de somme quand il est
apprivoisé, n'étant pas sujet au mal de montagne
comme le cheval ou le mulet, il est dangereux à l'état
sauvage.
Sundar fut attaqué une fois par un yack sauvage qui fonça
furieusement sur lui. Il trouva un refuge sur le
sommet d'un rocher qu'il escalada avec agilité. Lorsque
son compagnon tibétain vit l'animal posté au pied
du roc, il poussa de grands cris qui firent surgir une bande
de brigands. Ceux-ci mirent le yack hors de
combat en le lapidant, puis ils dépouillèrent les
deux voyageurs de tout ce qu'ils possédaient, et les
emmenèrent dans leur logis.
Là, le Sadhou saisit l'occasion de parler
du Dieu au service duquel il était. Ils furent vivement
impressionnés, rendirent tout ce qu'ils avaient dérobé,
et offrirent à leurs prisonniers de la nourriture et un
gîte.
Les Tibétains boivent un thé
couleur chocolat, avec du sel et du beurre, qui n'a rien de commun avec
le
nôtre ; ils nettoient leurs assiettes et leurs tasses en
y passant la langue. Le Sadhou, sachant cela, leur dit :-
Voulez-vous, s'il vous plaît, me permettre de nettoyer
ma tasse ?- Alors l'un d'eux, devançant son désir,
tira une longue et large langue avec laquelle il arriva sans
peine jusqu'au fond du bol. Il n'y avait rien à faire
qu'à attendre que l'opération soit terminée.
Quand le thé fut versé, le Sadhou, au lieu de le boire, s'en
servit
pour nettoyer sa tasse à son tour. Les Tibétains,
très étonnés, se mirent à rire pensant sans
doute que leurs
hôtes étaient des gens bien étranges ; le
compagnon de Sundar leur expliqua qu'un Hindou ne pouvait boire
dans une tasse qui n'avait pas été purifiée
; à quoi les brigands répliquèrent que s'il fallait
laver les coupes et
les plats, il faudrait en faire de même, chaque jour, pour
son estomac, ce qui n'était pas possible.
Les maisons des Tibétains, bâties
en pierre et en boue, sont très petites et sales ; les vêtements,
bien
que faits avec de la laine blanche, sont complètement
noirs n'étant jamais nettoyés. Un jour que le Sadhou
et son compagnon tibétain chrétien lavaient leurs
vêtements dans une rivière près du village de Kiwa,
les
habitants s'assemblèrent, fort curieux de voir une chose
aussi extraordinaire. Le lama réprimanda le
Sadhou, disant :- Il n'y a point de mal pour les méchants
à laver leurs vêtements, mais pour les saints
hommes, c'est une chose très mauvaise en vérité.-
Ce fut un supplice que l'on peut facilement imaginer,
pour un homme habitué à une propreté raffinée
de vivre au milieu de ce peuple d'une saleté indescriptible.
Les brigands étaient constamment
à redouter.- Vous devriez avoir une arme avec vous, disait-on au
Sadhou, une épée ou un fusil, car bien des gens
ont été tués dans ces contrées.- J'ai ma Bible
et une
couverture, répondait-il ; la Parole de Dieu est mon épée
; le Seigneur de la vie est avec moi et il me
délivrera.
- En vérité, ces mêmes brigands qui
avaient commis tant de meurtres, vinrent à nous et ne nous firent
pas
de mal, grâce à Dieu.- Car, en dépit de leur
violence et de leur manière de vivre si répugnante, les Tibétains
ont bon coeur et sont naturellement religieux : dans chaque famille
le fils aîné est destiné à devenir lama.
Un jour, alors qu'il enseignait dans une ville tibétaine
appelée Rasar, Sundar fut fait prisonnier et conduit
devant le chef des lamas. Accusé d'avoir enseigné
le christianisme, il fut déclaré coupable et condamné
à
mort.
Une des manières de mettre un
criminel à mort sans le tuer soi-même, ce qui est contraire
à la loi
bouddhique, consiste à le jeter dans un puits et à
le laisser périr lentement au milieu des ossements et des
cadavres putréfiés. Sundar, suivi d'une foule véhémente
et avide d'un pareil spectacle, fut conduit au bord
d'un puits profond de quarante pieds et entouré d'un mur
d'enceinte. Avec une grosse clef, on ouvrit la
lourde porte recouvrant l'orifice de la citerne, puis, afin d'ôter
au prisonnier toute possibilité de ressortir, on
lui cassa brutalement le bras gauche avant de le jeter dans la
fosse. Les deux portes, celle du mur
d'enceinte et celle du puits, furent soigneusement refermées
et le Sadhou fut abandonné dans les ténèbres
de cet horrible charnier dont l'odeur nauséabonde était
écoeurante. Les heures s'écoulaient lentement.
- Pendant trois jours je fus sans manger et sans boire,
mon bras me faisait cruellement souffrir, mais au
fond de cette prison, je fis l'expérience d'une paix et
d'une joie ineffables, et la présence de mon Sauveur
changea pour moi cet enfer en le ciel même. je pensais
que Dieu allait me reprendre à lui.- Mais le
troisième jour Sundar entendit une clef tourner dans la
serrure, et une bouffée d'air frais pénétra jusqu'à
lui.
Une voix lui enjoignait de saisir la corde qui lui était
lancée. Puis il se sentit doucement, mais fermement,
soulevé et déposé hors du puits. Il faisait
nuit, il ne put reconnaître son Sauveur, qu'il prit pour un soldat
tibétain venu pour le conduire à un nouveau supplice.
Le lourd couvert fut remis en place et refermé avec
la grosse clé. Lorsque le Sadhou eut franchi le mur d'enceinte,
il ne vit plus personne ; il attendit vainement
et réalisa qu'une vie nouvelle l'envahissait, et que la
douleur de son bras avait entièrement disparu. Tout ce
qu'il put faire fut de rendre grâces à Dieu pour
sa miraculeuse délivrance. N'avait-il pas envoyé son ange
selon les anciennes promesses de sa Parole ?
Le Sadhou retourna à Rasar et,
le jour suivant, recommença à prêcher dans les rues
de la ville. Quand
les gens virent celui qu'ils croyaient mort, vivant devant eux,
ils furent stupéfaits. L'extraordinaire nouvelle
fut rapidement rapportée au lama qui pensa qu'un traître
avait délivré le condamné. Il fit comparaître
Sundar qui raconta ce qui était arrivé. Quelqu'un
fut envoyé pour vérifier si le puits était fermé
: tout était
en parfait état. La clef, la seule qui existât,
se trouva comme à l'ordinaire suspendue à la ceinture du
lama.
Celui-ci commença à se sentir fort
mal à l'aise et demanda à Sundar de lui montrer son bras.
Il l'étendit
sans difficulté et se souvint qu'au sortir du puits son
sauveur avait posé sa main sur lui et qu'il avait été
guéri. Le laina lui dit :- Ton Dieu est un Dieu puissant,
Il t'a protégé et nous ne voulons pas te faire de mal,
mais va-t-en de notre province, de peur que la malédiction
ne nous frappe.
Ne croyons-nous pas lire le livre des
Actes des Apôtres et entendre le Sadhou dire, comme Pierre
délivré de sa prison : « je vois maintenant
d'une manière certaine, que le Seigneur a envoyé son ange
et
qu'Il m'a délivré de la main d'Hérode, et
de ce que tout le peuple attendait. »
- Le temps des miracles n'est pas passé, disait
le Sadhou, mais bien le temps de la foi.- Aucun de ceux qui
ont eu le privilège de l'entendre lui-même, ne peuvent
mettre en doute que Dieu fasse encore des miracles
de nos jours.
Dans bien d'autres occasions, Dieu vint
en aide, d'une manière surnaturelle, à son fidèle
serviteur.
Dans la localité de Kamyan, nul ne semblait
désirer l'écouter, et il ne lui fut pas donné le moindre
morceau de pain. Quand vint la nuit, fatigué et affamé,
il ne trouva ni asile pour dormir, ni fruits sauvages
pour apaiser sa faim. Il se coucha sous un arbre et s'assoupit.
Au milieu de la nuit il fut réveillé par un
attouchement et vit deux hommes debout à ses côtés,
lui offrant de la nourriture et de l'eau. Pensant que
c'étaient deux villageois plus compatissants que les autres,
il prit avec reconnaissance ce qui lui était offert
mais lorsqu'il voulut remercier ses bienfaiteurs, ils avaient
mystérieusement disparu sans laisser de traces.
Une autre fois, prêchant à
Khantzi dans le Népal, les gens furent si furieux contre lui qu'ils
le saisirent,
l'attachèrent fermement dans sa couverture et le jetèrent
hors du village. Un étranger passant par là, eut
pitié de lui et l'aida à se libérer. Le
jour suivant le Sadhou était de retour dans le même lieu,
prêchant Christ
comme auparavant. Cette fois, les villageois exaspérés
lui lièrent les pieds et les mains et le fixèrent
solidement à un arbre. Les heures passaient et Sundar
défaillait, épuisé par la tension de ses membres et
par la faim. Des fruits pendaient au-dessus de lui, mais il lui
était impossible de les atteindre. La nuit vint ;
anéanti de fatigue, il finit par s'endormir. A son réveil
il se trouva, à son grand étonnement, couché au pied
de l'arbre et libéré de ses liens. Quelqu'un avait
dû couper les cordes qui le retenaient ; à sa portée,
sur le
sol, quelques fruits étaient posés.
Un jour, averti que des gens désiraient
entendre son message, il partit à leur recherche. Mais ayant pris
une mauvaise direction, il se perdit dans la jungle. Arrivé
au bord d'une rivière, il ne put la traverser à cause
de la force du courant. La nuit tombait, et dans la forêt
toute proche on entendait déjà le réveil des fauves
cherchant leur proie. Que pouvait-il faire, seul et désarmé,
sinon élever son coeur à Dieu en une ardente
prière ? Alors, à travers les dernières
lueurs du jour, il distingua de l'autre côté de l'eau, un
homme qui lui
criait :- je viens à ton secours.- Et plongeant dans la
rivière, l'homme nagea rapidement jusqu'à lui, prit
Sundar sur son dos et regagna l'autre rive. Là un bon
feu était allumé et le Sadhou put y sécher ses
vêtements. Soudain son étrange ami disparut, et
il se retrouva seul, à l'abri des bêtes sauvages, émerveillé
une fois de plus de l'amour et des soins de son Dieu.
Chassé d'un endroit où
il avait en vain essayé de prêcher l'Évangile, il trouva
un refuge dans une
caverne ; torturé par la faim et la soif, il demandait
à Dieu son secours, lorsqu'il trouva près de là quelques
feuilles qui lui parurent la plus délicieuse nourriture
qu'il eût jamais goûtée, et qui lui rendirent ses forces.
Peu après il vit une troupe, armée de pierres et
de bâtons, s'approcher de sa retraite.
Se recueillant, il pria :- Que ta volonté
se fasse, je remets mon esprit entre tes mains.- Bientôt le silence
se fit autour de lui, il rouvrit les yeux et vit la foule s'éloigner.
Qu'était-il arrivé ?... Il se coucha et
s'endormit. Le lendemain, la même foule de 50 à
60 personnes réapparut, mais cette fois-ci sans bâtons ni
pierres il était cependant certain qu'on voulait le tuer.-
je suis heureux de donner ma vie pour mon Sauveur,
me voici, faites de moi ce que vous voulez.- Un homme s'avança
et prit la parole :- Nous venions pour te
tuer hier soir, mais aujourd'hui nous sommes là pour te
poser une question. Nous avons déjà vu des
hommes de bien des pays, Chinois, Hindous, Européens ;
nous les distinguons tous, mais nous ne
connaissons pas d'hommes pareils à ceux qui entouraient
ta retraite. Nous voudrions savoir de quel pays ils
sont. Jamais nous n'avons vu des gens aussi merveilleux ! Ils
encerclaient ta caverne et ne touchaient pas le
sol, aussi n'avons-nous plus eu le courage de t'abattre.- Alors
le Sadhou comprit que Dieu avait envoyé ses
anges pour le protéger. Lui ne les avait pas vus, mais
ils avaient été visibles aux yeux de cette foule. Ces
hommes invitèrent Sundar à revenir chez eux et
le prièrent de les instruire de ce qui concernait son Dieu, et
plusieurs furent amenés à la connaissance de Christ.
La haine du christianisme, et en général
de tous les étrangers, se retrouve aussi bien dans les États
limitrophes de l'Inde qu'au Tibet. Au risque de sa vie, le Sadhou
pénétra au Népal, sachant bien qu'il n'en
ressortirait peut-être pas.
Le Népal est une longue vallée s'étendant
entre deux montagnes très élevées de la chaîne
de l'Himalaya.
Elle est habitée entre autres par la fière tribu
des Gourkas. Partout le Sadhou y rencontra une vive hostilité.
Arrivé depuis peu dans la ville de Ilom, il lui fut enjoint
de se taire ; il n'obéit pas et fut pris à partie par un
indigène fort irrité auquel il donna un évangile
de Marc. Celui-ci le déchira aussitôt, et alla dénoncer
Sundar
à la police qui l'arrêta et le condamna à
six mois d'incarcération.
Jeté dans la prison commune, avec des voleurs
et des meurtriers, Sundar trouva ces hommes tout prêts à
écouter l'histoire de Celui qui s'est appelé l'ami
des pécheurs. La paix de Dieu descendit dans ce lieu de
misère, et la semence répandue au travers de la
douleur produisit une riche moisson. Beaucoup acceptèrent
Christ comme leur Sauveur. Le geôlier, voyant le changement
qui s'opérait à la prédication du Sadhou, lui
ordonna de garder le silence.- je ne le puis, je dois obéir
à mon Maître et annoncer la bonne nouvelle,
quelles que soient les souffrances qui m'attendent. - Le geôlier,
se tournant alors vers les prisonniers, leur
défendit d'écouter Sundar, mais ils répliquèrent
qu'ils avaient été emprisonnés dans le but d'être
rendus
meilleurs : le Sadhou, par son enseignement, avait éveillé
en eux une vraie repentance de leurs mauvaises
actions. Comment cela pourrait-il être une offense contre
qui que ce soit ?
Le geôlier devint perplexe ; ne sachant que
répondre, il alla vers le gouverneur. Celui-ci donna l'ordre de
transférer Sundar dans une prison où il serait
solitaire.
On ne trouva qu'une écurie avec
une seule porte et sans fenêtre. Dans ce lieu sordide et malodorant,
le
Sadhou fut dépouillé de ses vêtements et
attaché, pieds et mains liés, à un poteau. Pour ajouter
encore à
son supplice, quelqu'un rapporta des sangsues de la jungle, et
en couvrit le corps nu de Sundar. Ces bêtes
voraces sucèrent son sang. Dans ses tortures il éleva
son coeur à Dieu, et une grande paix l'inonda. A
pleine voix il entonna un cantique de louanges. Le peuple se
massa devant la porte de l'écurie, et il put
annoncer Jésus. Dans cette foule se trouvait celui qui
l'avait dénoncé et avait attiré sur lui tous ces maux.
Rempli d'étonnement de ce qu'il entendait, il dit aux
geôlier :- Que pensez-vous de cet homme qui est si
joyeux malgré ses tourments ?- Il doit être fou,
répondit le geôlier.- Si en étant fou on peut avoir
une paix si
profonde, je voudrais l'être aussi et non seulement moi,
mais tous les habitants de la terre devraient le
devenir, car cette sorte de folie transformerait le monde en
un entier paradis !
Le geôlier, de plus en plus troublé
et déconcerté, retourna auprès du gouverneur :- Notre
but n'a pas été
atteint, nous espérions faire souffrir cet homme et l'empêcher
de prêcher, mais nous avons seulement
contribué a augmenter sa joie.- Il est fou, dit le gouverneur,
laissez-le aller.
Le Sadhou fut libéré ; il était
très faible, ayant perdu beaucoup de sang ; cependant il trouva
la force de
traverser la ville, proclamant son message avec une nouvelle
ardeur. Un grand encouragement lui fut
donné. L'homme qui s'était montré son pire
ennemi lui demanda s'il n'avait pas honte de prêcher l'Évangile
qui lui apportait tant de souffrances :- Quand j'étais
un Hindou comme vous, je n'ai pas eu honte de
déchirer la Bible, comment serais-je honteux maintenant
de dire ce que Christ a fait pour moi ?
- Alors son interlocuteur sollicita
un autre exemplaire de l'Évangile qu'il avait déchiré,
afin de chercher
lui-même le secret de cette paix et de cette joie qui se
manifestent au travers des plus grandes épreuves.
Dans le Nouveau Testament de Sundar, on a retrouvé ces
quelques mots : Népal, 7 juin 1914. La présence
de Christ a transformé ma prison en un véritable
ciel, alors que sera le ciel même ?
- je bénis Dieu, écrira-t-il, de ce qu'il
m'a choisi dès ma jeunesse, indigne comme j'étais, pour que
je
puisse mettre à son service les jours de ma vigueur. Dès
mon baptême je demandai à Dieu de me montrer
ma voie, et lui qui est le chemin, la vérité et
la vie, m'a appelé à le servir comme Sadhou et à prêcher
son
saint nom. Et maintenant, bien qu'ayant souffert la faim, le
froid, les chaleurs, la prison, les malédictions,
les infirmités, la persécution et des maux sans
nombre, je le bénis de ce que, par sa grâce, mon coeur est
toujours débordant de joie. Après dix ans d'expériences
je répète, sans la moindre hésitation, que la Croix
porte ceux qui la portent.
MINISTÈRE AU LOIN
Je n'ai pas honte de l'Évangile, c'est
une puissance de Dieu pour le salut de
quiconque croit. Saint Paul.
Dans les vastes solitudes de l'Himalaya,
le Sadhou passa des mois dans le silence et la communion avec
Dieu. Il parcourut seul des régions rarement visitées
par les hommes, et contempla dans la nature les
oeuvres puissantes du Créateur. C'est là que Dieu
scella sa vocation divine en lui faisant réaliser de
magnifiques expériences de sa puissance, et qu'il lui
accorda, dans des moments d'extase, des visions
spirituelles sur le monde invisible, qui illuminèrent
sa vie.
Il reçut une puissance en vue
du ministère qui allait être le sien dans l'empire des Indes
et dans ses
voyages missionnaires à travers le monde. Son nom devint
bientôt célèbre, et toutes les portes s'ouvrirent
devant ce serviteur du Christ dont on parlait avec tant d'étonnement
et d'admiration. Mais rien ne le
détournera de sa vocation de Sadhou, et il manifestera
la même humilité, la même douceur, la même
simplicité dans sa vie de renoncement. Son âme,
toujours éprise de silence et d'union avec Dieu, souffrira
de l'adulation des hommes et aspirera constamment à retrouver
la solitude des montagnes.
En 1918, Sundar se rendit à Madras,
et de là plus au sud, pour travailler momentanément parmi
les
communautés privées par la guerre, des missionnaires
allemands. C'est alors qu'il rencontra le Dr et Mme
Pierre de Benoit, venus aux Indes pour secourir les missionnaires
suisses restés sans abri à la suite de
l'expulsion, par le gouvernement anglais, des missionnaires allemands.
Partout le Sadhou exhortait les
chrétiens hindous à poursuivre le travail des missionnaires
européens et à ne pas laisser se perdre la tâche
entreprise. Il illustrait ses exhortations par la parabole suivante
:- Un homme avait un magnifique jardin ; les
plantes et les arbres en étaient très bien soignés
et chacun les admirait. Cet homme devant partir pour un
temps prolongé, se dit en lui-même :- Mon fils est
ici ; il gardera tout en bon ordre jusqu'à mon retour.-
Mais le fils ne se soucia pas du jardin, et nul n'en prit soin
: la porte en resta ouverte, les vaches du voisin y
entrèrent et broutèrent les fleurs et la verdure.
Personne n'arrosait les plantes, et bientôt tout se flétrit
et se
dessécha. Les passants s'étonnaient devant la négligence
de ce fils indolent et paresseux.- Oh ! répondit-il,
mon père s'en est allé sans me dire ce que je devais
faire !- Vous, chrétiens hindous, vous êtes exactement
comme ce fils : vos missionnaires ont dû partir ; ils seront
loin longtemps et vous ne faites rien pour
continuer leur travail. Si vous voulez être de vrais fils,
vous devez faire votre devoir sans attendre un ordre
spécial de votre père.
Soir et matin le Sadhou prêchait
devant de nombreuses assemblées ; jamais personne n'avait à
ce point
attiré l'attention et la sympathie des églises
de l'Inde. On venait à lui de toutes parts. Les conseils qu'il
donnait étaient toujours empreints de sagesse, de bon
sens et de pondération. L'exemple de sa pieuse mère
et l'éducation qu'elle lui avait donnée, revenaient
constamment dans ses entretiens avec les femmes.- Si une
mère païenne a pu faire tant pour son fils, combien
plus vous, mères chrétiennes, le pouvez-vous pour vos
enfants.
Bien souvent les Hindous sont allés le voir,
comme Nicodème, pendant les heures silencieuses de la nuit,
pour chercher la vérité. On le suppliait de visiter
les malades, de bénir les enfants ; le nombre de ceux qui
réclamaient ses prières était légion,
et beaucoup ont trouvé le soulagement attendu. Le bruit de ses
guérisons prit une telle extension qu'il refusa de répondre
à bien des appels. Les Hindous prêtent volontiers
un pouvoir magique à un « saint homme ».
- A Ceylan, un chrétien de bonne famille avait
un fils qui se mourait. Les médecins l'avaient condamné,
et
si mère me supplia de venir lui imposer les mains et de
prier pour lui. je lui dis :- Ces mains n'ont aucun
pouvoir, seules les mains percées du Christ peuvent guérir.
A la fin, pourtant, je consentis à aller voir le
jeune homme à l'hôpital ; je priai pour lui et posai
mes mains sur sa tête. Trois jours plus tard je l'aperçus,
assis à côté de sa mère, au fond d'une
salle où je prêchais. Malgré tous mes efforts, je ne
pouvais
convaincre les gens que la guérison n'était pas
obtenue par un pouvoir surnaturel, mais qu'elle était
accordée par Christ seul, en réponse à la
prière. On persistait à me regarder comme un faiseur de miracles,
et je compris qu'il était préférable de
ne pas encourager une superstition qui détournait l'attention de
l'Évangile.
Le Sadhou participa à une grande
convention de l'Eglise syrienne, où 20 000 chrétiens étaient
présents.
Cette communauté chrétienne se réclame de
l'apôtre Thomas, venu, dit-on, prêcher l'Évangile aux
Indes.
Que cette tradition soit vraie ou non, il est établi que
cette Eglise remonte au troisième siècle de l'ère
chrétienne. Sundar se rendit à un autre des congrès
de la branche Mar Thomas, dans le Travancor. Chaque
année, à la saison sèche, on élève
un vaste hangar sur une île de sable formée par le lit sec
d'une immense
rivière. Là, durant une semaine, se tiennent des
réunions d'évangélisation. Chaque matin, avant l'aurore,
un
homme parcourt le campement en criant : « Loué soit
Dieu ! Loué soit le Fils de Dieu ! » et de partout
s'élèvent des prières chantées sur
d'antiques mélodies syriennes. Ainsi monte vers le ciel, dans un
constant
crescendo, l'invocation qui doit faire descendre la bénédiction
sur les réunions de la journée.
Grâce à la présence
du Sadhou, il y eut cette année-là plus de monde que jamais.
Non moins de 32 000
auditeurs étaient assis sur le sable, tandis que sur une
plateforme élevée, deux évêques de l'Eglise
syrienne,
en robes de satin rouge aux ceintures d'or, coiffés de
turbans étranges, présidaient les séances. D'autres
prédicateurs et le Sadhou étaient assis sur l'estrade
à la façon indienne. Lorsque l'évêque indiquait
un sujet
de prière, un murmure s'élevait et allait croissant
jusqu'à devenir semblable au fracas de l'océan.
A ces vastes auditoires, Sundar parlait avec franchise, disant
qu'un grand privilège leur avait été accordé
par la connaissance qu'ils avaient de l'Évangile, depuis
tant de siècles. Il les priait de considérer
sérieusement pourquoi la bonne nouvelle de Christ était
restée confinée si longtemps dans cette petite partie
de l'Inde. A cause de leur négligence, Dieu avait dû
envoyer des messagers étrangers d'Europe et
d'Amérique, pour faire le travail qui leur avait été
confié à eux. Le Sadhou les pressait instamment de
répondre enfin à l'appel divin et d'apporter la
lumière aux millions d'Hindous qui meurent dans les ténèbres
(*).
Le Sadhou n'a jamais attaqué violemment
la religion dans laquelle il a été élevé. Il
accueillait tous ceux
qui avaient des principes religieux et ne cherchait pas à
engager des controverses ; il voulait construire et
non pas démolir. Par sa douceur, son humilité,
son acceptation paisible des humiliations et des injures, par
le témoignage silencieux de sa vie plus encore que par
ses paroles, il gagnait des coeurs qui voyaient en lui
l'amour même de Christ.
-Tout l'avenir de la foi chrétienne aux Indes,
écrit C. F. Andrew dans son livre sur Sundar Singh, est
centré sur l'idéal que le Sadhou a placé
devant les chrétiens. Christ sera trouvé par les Hindous
seulement si
ceux qui se disent chrétiens n'obscurcissent pas sa présence.-
Si tous ceux qui travaillent à étendre le
royaume de Dieu sur la terre appartenaient sans partage au Christ
vivant, dit Sundar, le monde entier serait
devenu chrétien depuis longtemps ; car les non-chrétiens
qui cherchent la vérité sont prêts à souffrir
pour la
trouver, mais je dois confesser que l'Eglise chrétienne,
elle, a grandement manqué.
Sundar passa six semaines à Ceylan,
où son séjour avait été préparé
par des missionnaires et des laïques
de toutes dénominations. Mahométans, hindous, bouddhistes,
catholiques, protestants, tous venus de loin,
se pressaient aux abords des salles dès longtemps avant
l'heure fixée. Aucune enceinte n'était assez vaste ;
à Colombo, des centaines de gens ne purent même
pas arriver jusqu'aux portes du local où il parlait. Son
nom était sur toutes les bouches.
En le voyant si calme et paisible, au milieu de
ces multitudes qui le poursuivaient jusque dans ses
moments de repos, personne ne se doutait de la souffrance que
lui causait cette popularité et combien cette
activité débordante était loin du genre
de vie qu'il affectionnait.
Il parla sévèrement aux chrétiens
de ce qu'il considérait comme un des plus grands obstacles à
la
diffusion de l'Évangile : le danger des richesses et du
luxe, et la lèpre de l'esprit de caste qui se retrouvait
même parmi les chrétiens. jamais encore, dans les
temps modernes, les populations de l'Inde n'ont été
secouées de leur torpeur comme elles le furent par le
simple message du Christ crucifié et ressuscité.
Le Sadhou était alors au faîte
de sa popularité, et ici se place l'expérience suivante :
Un jour qu'il s'en était allé dans
la jungle pour prier, un personnage plein de dévotion s'approcha
de lui :-
Pardonnez-moi de troubler votre solitude et d'interrompre vos
prières, mais n'est-ce pas un devoir de
chercher le bien des autres ? Votre vie pure et votre renoncement
m'ont profondément impressionne ainsi
que beaucoup de ceux qui cherchent Dieu. Bien que vous soyez
consacré corps et âme au bien des autres,
vous n'avez pas été suffisamment récompensé.
je veux dire ceci : En devenant chrétien, votre influence
s'est étendue à des centaines de gens, mais elle
reste limitée. Ne serait-ce pas mieux pour vous de devenir
un « leader » du peuple hindou ou musulman ? Si vous
y consentiez, vous verriez bientôt des millions vous
suivre et vous adorer comme leur Gourou.- Quand le Sadhou entendit
ces paroles, il répliqua aussitôt :- «
Arrière de moi, Satan », je sais que tu es un loup
habillé en mouton ; tu désires que je renonce a suivre
l'étroit chemin de la vie, qui est celui de la Croix,
pour prendre la route large qui mène à la mort. Ma
récompense est le Seigneur lui-même qui a donné
sa vie pour moi, et c'est mon bonheur et mon devoir que
de me livrer à lui avec tout ce que je possède.
Retire-toi de moi, je n'ai rien à faire avec toi !
Sundar pleura beaucoup et pria. Sa prière
terminée, il vit debout devant lui un être glorieux ; les
larmes
troublaient la vision du Sadhou, mais un fleuve d'amour envahit
son âme. Il repoussa la tentation de
devenir un Gourou hindou- tel que Nânak- honoré
de tous et unissant le christianisme et toutes les religions
de l'Inde en un système qui ferait de Jésus l'égal
de Mahomet ou de Bouddha.- Non. Pour le Sadhou il y
avait un seul Sauveur, Jésus-Christ, un seul Evangile,
la bonne nouvelle de la grâce de Dieu qui est Christ,
« le même hier, aujourd'hui et éternellement
».
Partout la remarquable personnalité
du Sadhou suscitait un intérêt extraordinaire et donnait une
grande
puissance à ses paroles. Il se dégageait de lui
comme une émanation d'énergie spirituelle, qui le faisait
aussitôt reconnaître pour un envoyé du Christ,
chargé d'un message spécial. Il a provoqué dans toutes
les
populations, un réveil dont il est impossible d'évaluer
l'importance. Il n'y a pas de doute que sa prédication
porte des fruits abondants et qu'il a fait naître un sentiment
plus vif et plus profond de ce que doit être la
vie chrétienne.
De Ceylan, Sundar se rendit à Calicut et
à Bombay il y prit la grippe qui sévissait alors aux Indes.-
Dieu
me donna par là un temps de repos que je n'avais pu avoir
dans le sud, dit-il.
Puis ce fut le départ pour son premier voyage missionnaire
hors des Indes. Il fut appelé à aller en Birmanie,
à Rangoon, à Mandalay, à Singapour. Il avait
commencé l'étude de l'anglais afin d'éviter l'inconvénient
des
traductions. Il ne prit avec lui aucun argent, restant fidèle
à la parole de Jésus : « Ne soyez pas en souci
pour votre vie, de ce que vous mangerez... et de quoi vous serez
vêtu... Votre Père céleste sait de quoi
vous avez besoin. »
A Penang, un Sikh l'invita à parler
dans le temple sikh et le gouverneur donna un après-midi de congé
aux fonctionnaires de la police afin qu'ils puissent l'entendre.
Quel contraste avec l'hostilité qu'il avait
rencontrée chez son peuple et dans son village natal !
De Singapour il accepta d'aller en Chine et au japon.
On vit des trains s'arrêter dans des stations
intermédiaires, et des bateaux retarder leur départ
pour le prendre à bord.
Partout un accueil enthousiaste l'attendait, et
son message apportait lumière et vie. Il prêcha dans la
cathédrale de Pékin, où un pasteur méthodiste
lui servit d'interprète. à Hankow, ce fut le fils d'Hudson
Taylor qui le traduisit en chinois. Au japon, il fut douloureusement
impressionné par le matérialisme,
l'amour des richesses, l'immoralité et l'indifférence
religieuse. En Chine, il fut frappé de voir combien
l'absence de castes rendait l'accès de l'Eglise chrétienne
plus facile aux nouveaux convertis que cela n'était
le cas aux Indes.
En été 1919, le Sadhou retourna à
Sabathou, et de là dans son pays d'élection ; son coeur était
toujours
attaché au Tibet, et une fois de plus il entreprit le
dangereux voyage dans les régions neigeuses de
l'Himalaya.
A son retour en octobre, après avoir traversé
le Punjab, il se rendit à son village natal de Rampour. Son
père, qui ne l'avait pas revu depuis 14 ans, l'accueillit
avec bonté et lui demanda de lui montrer le chemin
qui mène à Christ. Grandes furent l'émotion
et la reconnaissance de Sundar en voyant ses persévérantes
prières exaucées. Il recommanda à son père
de lire la Bible et de prier. Celui-ci obéit et,
peu après , dit à
Sundar :- j'ai trouvé ton Sauveur ; il est devenu mon
Sauveur. Mes yeux spirituel ont été ouverts par toi,
c'est pourquoi je désire recevoir le baptême par
tes mains.- Mais le Sadhou, qui avait refusé de baptiser des
milliers de personnes, ne put accéder à cette émouvante
prière.- Ce n'est pas pour baptiser que Christ m'a
envoyé, c'est pour annoncer l'Évangile, comme le
grand apôtre. C'est à d'autres à le faire ; je ne suis
qu'un
témoin de la grâce de Dieu et de la paix qui est
en Jésus-Christ.
Depuis bien des années Sundar
avait le grand désir de visiter la Palestine, le pays où
Christ a vécu,
souffert et donné sa vie ; mais il ne put obtenir le passeport
nécessaire et dut y renoncer.
- Une nuit, dit-il, tandis que je priais, je reçus
un appel de Dieu pour l'Angleterre ; dans la méditation, sa
volonté devint claire pour moi ; je compris que je devais
visiter les contrées appelées chrétiennes et que là
aussi j'aurais à rendre mon témoignage.- Ce fut
son père qui paya les dépenses de ce premier voyage en
Europe.
En février 1920 Sundar arriva
à Liverpool, visita Manchester, Birmingham, Oxford où il
prêcha dans
plusieurs collèges. A Londres, de grandes foules de diverses
dénominations vinrent l'entendre; dans
l'abbaye de Westminster il s'adressa à 700 clergymen anglicans,
parmi lesquels l'archevéque de Canterbury
et d'autres évêques. Il parla aussi à Cambridge
et dans diverses réunions missionnaires.
Invité par la Société des Missions
de Paris, il fit un court séjour dans cette ville, puis de retour
en
Grande-Bretagne, visita l'Irlande et l'Ecosse.
En mai il s'embarqua pour l'Amérique, où
il rendit son témoignage à New York, Brooklyn, Baltimore,
Philadelphie, Chicago et San Francisco.
Il combattit l'influence de certains Hindous bouddhistes
qui gagnaient de nombreux adeptes à la religion
des Indes.
L'activité incessante, bruyante
et trépidante des grandes cités américaines contrastait
avec la nature
calme, orientale et contemplative de ce grand ami de la solitude.
Lorsque les Américains, fiers de leur
civilisation, pensaient provoquer par leurs splendides inventions
modernes l'admiration du Sadhou, il leur fit
comprendre, sans dissimuler ses impressions, que l'oeuvre de
Dieu l'intéressait davantage que l'oeuvre des
hommes. Déçus, ils déclarèrent qu'étant
seulement de passage au milieu d'eux, il ne pouvait en quelques
jours apprendre à connaître et à apprécier
le génie américain. A quoi le Sadhou répondit, dans
son langage
imagé :- Il faut beaucoup de temps, en botanique, pour
étudier la structure d'une fleur et ses divers organes,
mais il ne faut qu'un instant pour en sentir l'odeur.- Il ne
parlait pas pour plaire aux hommes, mais selon la
vérité et dans l'amour. Il disait :- Le Christ
aurait dit ici : « Venez à moi, vous tous qui êtes chargés
d'or, et
je vous soulagerai. » Il avait pensé que la connaissance
du Christ aurait transformé les nations de
l'Occident, mais en voyant partout l'amour de l'argent le luxe,
le confort, la recherche du plaisir et de toutes
les choses que le monde peut donner, il était profondément
déçu. Même chez ceux qui se disaient
chrétiens, il trouva beaucoup d'activité, de bruit
et d'agitation, mais peu de temps donné à Dieu dans la
méditation. Les hommes de l'Occident étaient si
occupés qu'ils avaient laissé la prière de côté
dans leur vie
journalière. Il trouva, comme on le lui avait dit avant
son départ, que les pays soi-disant chrétiens s'étaient
corrompus et n'étaient plus chrétiens dans leur
ensemble. Il rencontra cependant bien des serviteurs fidèles
de Christ et, à son retour, il dit à ses amis hindous
que s'il avait décelé en Occident beaucoup de
matérialisme, l'Inde avait encore besoin de missionnaires
venus d'Europe et d'Amérique. L'intérêt que
suscitent les missions est la force et la vie des Eglises chrétiennes
de l'Occident, disait-il.
En juillet, il s'embarqua pour l'Australie.
Un orage, pendant la traversée, lui suggéra l'image suivante
:-
Chaque matin nous recevions des nouvelles. Un jour, arrêt
soudain, silence complet ! je demandai
pourquoi:- C'est à cause de la tempête ; des perturbations
atmosphériques empêchent la T.S.F. d'envoyer
les messages.- Ainsi quelquefois, à cause du péché,
l'atmosphère spirituelle est troublée et notre contact
avec Dieu est interrompu. Cette tempête doit cesser, mais
Jésus seul peut la calmer. Il peut parler avec
autorité au vent et à la mer pour les apaiser.
Quand tout est calme intérieurement, nous entendons sa voix,
et nous avons la joie de sa présence dans nos coeurs.
Sydney, Melbourne, Perth, Adélaïde,
Freemantle reçurent la visite du Sadhou. Partout et toujours son
influence bienfaisante unissait entre elles les diverses communautés
chrétiennes.- A quelle Eglise
appartenez-vous ? lui demandait-on souvent.- A aucune, j'appartiens
à Christ, cela me suffit, et dans un
sens, je suis de toutes les Eglises où se trouvent de
vrais chrétiens. je ne crois pas aux unions obtenues par
des moyens humains; l'union extérieure n'est d'aucune
utilité. Ceux-là seuls qui sont unis en Christ, qui sont
un en lui, seront unis dans le ciel. Comment les chrétiens
qui ne peuvent vivre en bonne harmonie durant
les courtes années de leur vie terrestre, pourraient-ils
passer toute l'éternité ensemble dans le ciel ?
Après des mois d'une activité
incessante, Sundar se retrouva avec joie à Sabathou, et passa quelques
mois dans la tranquillité avant de reprendre, au printemps
1920, son travail au Tibet. Il avait rendu
témoignage dans de nombreux pays, proclamant l'Évangile
dans des églises bondées, entouré d'une foule
enthousiaste. Maintenant il allait reprendre ses voyages dans
des contrées solitaires et proclamer ce même
Evangile dans des villes et des villages hostiles à son
message.
En 1922, il accepta les nombreuses invitations venues
d'Europe et put enfin réaliser son désir passionné
de visiter la Palestine. Là, il vécut dans la présence
même de Jésus ; il le sentait avec lui partout, son âme
débordait de joie et de reconnaissance en parcourant ces
contrées où son Sauveur avait travaillé et souffert.
En visitant le pays sacré, la Bible fut pour
lui comme illuminée et lui devint plus chère que jamais.
Ce qui
choque un esprit sensible : la foule des touristes, les affiches,
le bruit des autos, la rivalité des sectes
religieuses, tout le trafic et le vulgaire de la vie humaine,
ne semble pas avoir produit sur lui une impression
pénible. Et cela, sans doute, parce qu'il vivait en esprit
si entièrement en communion avec Christ qu'il était
conscient de sa présence.
Dans le temple de Jérusalem, il
lui semblait percevoir les paroles du Christ : « je suis venu afin
que vous
ayez la vie et que vous l'ayez en abondance ». Il croyait
l'entendre lui dire comme à ses disciples
d'autrefois : « La paix soit avec vous ; comme mon Père
m'a envoyé, Moi aussi je vous envoie ». Il savait
qu'à son tour il avait et-' envoyé pour servir
de témoin dans le monde.
Bethléem, Emmaüs, Béthanie, le mont des Oliviers,
le Saint-Sépulcre, le chemin du Calvaire, Nazareth,
Capernaüm, le lac de Galilée, tout était pour
lui un commentaire vivant des évangiles, tout lui parlait de la
vie du Sauveur, du grand drame de la Croix et de la résurrection.
Le puits de Jacob, auprès duquel il s'était
arrêté, lui suggère la pensée suivante :- «
Ceux qui boiront de
cette eau auront encore soif, a dit le Christ, mais celui qui
boira de l'eau vive que je lui donnerai n'aura
jamais soif. » C'est vrai. J'ai bu l'eau de ce puits fameux,
pourtant le soir ma soif n'était pas étanchée ; mais
voilà plus de seize ans que Christ m'a donné son
eau vive, et je puis dire en toute humilité et
reconnaissance que mon àme a été désaltérée
à jamais. Il est en vérité la source de la vie.
- Sur les rives du Jourdain, dit-il encore,
je contemplai l'eau fraîche et douce qui se déverse
continuellement dans la mer Morte qui, elle, reste morte parce
qu'elle garde cette eau vive sans la répandre
au loin. De même il y a des églises mourantes, des
chrétiens morts, parce qu'ils gardent pour eux l'eau vive
que donne Jésus. Ne soyez pas semblables à la mer
Morte. Faites part aux autres des bénédictions que
vous avez reçues ; employez au service de Christ vos dons,
votre instruction, votre argent, alors vous
recevrez des bénédictions toujours plus grandes.
J'ai fait l'expérience que si nous faisons quelque chose
pour Christ, nous recevons mille fois plus. Soyez toujours prêts
à travailler pour votre Sauveur et à aider
votre prochain.
De la Palestine, le Sadhou alla au Caire
où il prêcha dans l'église copte. Une semaine après
il débarquait
à Marseille et, de là, partait directement pour
la Suisse. Le lundi 27 février 1922, le Sadhou arrivait à
Lausanne.
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(*) Citation du livre de Mrs Parker.
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