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Biographie du Saddhou Sundar Singh

AU TIBET

Je lui montrerai tout ce qu'il doit souffrir pour mon nom. Actes 9. 16.

Dès le début de son activité missionnaire, le Sadhou envisagea la grande et périlleuse entreprise de porter l'Évangile au Tibet, cette forteresse du bouddhisme, ce pays inaccessible, éloigné des contrées environnantes par sa situation géographique, fermé à l'Évangile et à toute influence étrangère. L'impressionnante beauté de ses montagnes aux neiges éternelles, la richesse de ses monastères avec leurs trésors et leurs écrits sacrés, l'ignorance qui plane encore sur les moeurs et la mentalité de ce peuple que la civilisation européenne n'a pas encore atteint, font du Tibet un pays mystérieux et étrange, isolé du reste du monde par ses frontières closes. Sundar ne connaissait ni le pays, ni le peuple, ni la langue ; il savait seulement qu'il aurait à surmonter de grandes difficultés, mais dans son zèle et son amour pour le Christ, il ne reculait devant aucun danger ni aucune souffrance. N'était-il pas un Sikh, un soldat aux ordres de son Maître ? N'est-ce pas parce que le Christ avait besoin d'un témoin sans peur qu'il l'avait choisi pour cette mission dangereuse ? N'y avait-il pas un grand nombre de serviteurs de Dieu pour proclamer la bonne nouvelle du salut à travers l'Inde, tandis que personne n'était disposé à affronter les dangers de ce pays négligé et hostile ?

Élevé non loin des hautes montagnes de l'Himalaya, Sundar avait souvent laissé s'envoler sa pensée de l'autre côté de la frontière, vers ces peuplades plongées dans les ténèbres du paganisme et qui n'avaient jamais entendu parler de l'amour de Dieu. Les Tibétains sont extrêmement religieux, mais beaucoup sont fort ignorants et superstitieux. Les lamas gouvernent le pays, et gardent le peuple dans l'ignorance afin de conserver leur influence sur lui. Ils vivent ensemble dans des monastères ou lamaseries, et passent une grande partie de leur temps à étudier leurs livres sacrés. Beaucoup d'entre eux cherchent sincèrement la vérité et aspirent à vivre saintement. Mais d'autres, détenant la richesse et l'autorité, sont cruels, fanatiques, corrompus. Le peuple vit dans la crainte et attribue aux prières des lamas le pouvoir de le protéger contre des dieux et des démons sans nombre dont il se croit entouré et qu'il imagine être jaloux, puissants et vindicatifs. Pour apaiser leur colère et échapper à leurs maléfices, il apporte des offrandes aux lamas afin d'obtenir leur intercession. A la tête de tous les lamas, gouvernant le pays avec une souveraineté absolue, se trouve le Dalaï-lama ou grand prêtre. Il réside dans un magnifique palais construit au sommet d'un rocher, le Potala, dominant la cité sacrée de Lhassa. Le temple est consacré à Bouddha ; ses murs massifs, ses terrasses et ses bastions s'élèvent verticalement de la plaine ; il est couronné d'un dôme étincelant d'or et de turquoises. Au pied du monastère, la cité de Lhassa croupit dans la saleté.

Le Tibet est le pays des moulins à prières que l'on fait mouvoir machinalement; des drapeaux de prières flottent au vent ; dans certaines lamaseries, des cylindres contenant des millions de copies de prières tournent continuellement. Les Tibétains croient que par ces répétitions constantes, ils obtiennent le pardon des péchés et la bénédiction de leurs dieux. Le Sadhou ne fut pas le premier missionnaire qui tenta d'entrer dans ce pays inhospitalier. Les missions chrétiennes ont une remarquable histoire dont il serait trop long de parler ici. La mission la plus récente est celle des Frères moraves qui travailla à la frontière du Tibet et a pu parfois pénétrer jusqu'à l'intérieur du pays ; mais à la suite de difficultés insurmontables, les portes furent fermées non seulement par ordre des Tibétains, mais aussi par le gouvernement anglais. Celui-ci autorisa la mission morave à continuer son travail à condition de limiter son activité au territoire sous mandat britannique. On dit que les chrétiens hindous, qui sont entrés au Tibet comme marchands ou comme ascètes, sont morts en martyrs ; ce fut aussi le cas de Tibétains qui avaient accepté le Christ comme Sauveur,

Sundar Singh a plus d'une fois raconté le martyre d'un de ses concitoyens sikhs - Kartar Singh - dont l'histoire ressemble beaucoup à la sienne. Élevé comme lui dans le luxe, il trouva dans le christianisme la réponse aux profondes aspirations de son âme. Persécuté par sa famille, qui avait concentré sur lui toutes ses espérances comme unique héritier du nom, il eut beaucoup à souffrir. Chassé de chez lui, il se mit à prêcher dans son pays d'abord, puis il se dirigea vers les montagnes du Tibet et arriva jusqu'au coeur du pays. On essaya de le chasser du territoire, mais il ne cessa de proclamer son message jusqu'au jour où il dut comparaître devant le lama de Tsinghan. Inculpé de pénétration illicite dans le Tibet et d'y enseigner une religion étrangère, il fut condamné à mort. Il écouta silencieusement la sentence et s'en alla d'un pied ferme au lieu du supplice, pressant encore la foule qui l'entourait de chercher sans retard le salut qui est en Jésus-Christ. Sur la place d'exécution, Kartar fut dépouillé de ses vêtements et cousu dans une peau de yack humide qui, en se rétrécissant au soleil, cause à celui qu'elle enveloppe les plus cruelles souffrances. Pendant trois jours que dura ce supplice, il ne laissa pas échapper une plainte. Vers le soir, avant de mourir, il rendit à haute voix grâces à Dieu pour toutes ses consolations et expira avec ces mots sur les lèvres : « Seigneur Jésus, reçois mon esprit ».

Le premier secrétaire du lama, vivement impressionne par ce qu'il venait de voir, emporta le Nouveau Testament de Kartar pour l'étudier, et bientôt une nouvelle clarté pénétra son âme. Un jour il déclara au lama qu'il avait donné son coeur à Jésus-Christ. Pour lui aussi c'était la mort certaine, et il dut subir le même supplice que Kartar, aggravé encore par d'autres cruautés : on enfonça des éclats de bois sous ses ongles ; on le retira de sa peau de yack pour le traîner dans les rues de la ville, puis le croyant mort, on jeta son pauvre corps inanimé sur un tas d'immondices. Par miracle le malheureux revint à la vie et put ramper plus loin. Ses bourreaux furent terrifiés en le revoyant debout et guéri de ses blessures. Persuadés qu'il avait en lui un pouvoir surnaturel, ils n'osèrent plus lui faire de mal et il put continuer à prêcher Christ aux Tibétains. Il a raconté lui-même son histoire à Sundar Singh lorsque celui-ci le rencontra au cours de ses pérégrinations.

Un chrétien anglais, qui connaît mieux que personne les indescriptibles difficultés de travail au Tibet, écrivait : - Un miracle sera nécessaire pour vaincre cette colossale idolâtrie soutenue par toutes sortes de diaboliques inventions. Comment pourrons-nous lutter contre ces essaims de lamas, fous de rage envers ceux qui n'appartiennent pas à leur religion ? Il faudra de grands saints pour ouvrir le chemin dans ce pays de superstition. je tremble quand je pense à toutes les souffrances qu'il faudra endurer, mais la puissance de Dieu est sans limite. Ce fut ce champ de mission, le plus difficile de tous, que le jeune chrétien hindou de 19 ans choisit pour sa sphère d'activité. Sans soutien, sans ressources, sans préparation spéciale, se confiant uniquement dans la grâce de Dieu, et prêt à donner sa vie pour la cause de Christ, Sundar se disposa à affronter cette tâche surhumaine. Lorsqu'en 1908 il atteignit la station de la mission morave à Poo, il y trouva l'appui le plus empressé ; il put se familiariser avec les rudiments du langage tibétain, et un jeune évangéliste, Thanyat-Ali, fut mis à sa disposition pour l'accompagner. Chaque année, au printemps, lorsque s'ouvraient les routes bloquées par la neige et la glace, le Sadhou quittait Kotgarh (petit village entouré de forêts et possédant une église, un modeste hôpital et une école de la Mission) pour atteindre la frontière du Tibet. De là, le chemin traverse au début une terre cultivée, puis descend en zigzags à travers d'épaisses forêts d'où surgissent de magnifiques échappées sur la plaine où coule, quatre mille pieds plus bas, le Sutlej. La chaleur de cette contrée enfermée entre de hautes montagnes, est suffocante. C'est l'une des dernières vallées de l'Inde hindoue ; au-delà commence l'Asie centrale bouddhiste. Peu a peu le type mongol prédomine ; la culture hindoue disparaît et une nouvelle civilisation commence. La route du Tibet s'élève abrupte. Souvent dangereuse, elle devient difficile à gravir.

Pour pouvoir endurer, par tous les temps, les fatigues et les dangers de ces voyages, il fallait une vitalité, une endurance, un courage peu communs. Souvent le Sadhou, arrêté par le gouvernement anglais, ne put même franchir la frontière; mais d'autres fois il pénétrait jusqu'au centre du pays. La réception qui lui était faite n'était pas toujours hostile, et sa robe de Sadhou lui ouvrait bien des portes. Il fut heureux de trouver parfois, dans ces terres inhospitalières, des amis prêts à l'aider, entre autres un jeune Tibétain nommé Thapa qui lui servit d'interprète et qu'il baptisa. Mais bien souvent il se trouvait continuellement seul en face de grands dangers. Il n'a tenu aucun journal de ses voyages, en sorte qu'il n'est pas possible de fixer les dates et de placer les divers événements survenus au cours de ses pérégrinations dans un ordre chronologique. Dans ses récits, souvent fragmentaires, de ses voyages au nord de l'Inde, au Népal ou au Tibet, il énumère les nombreux périls auxquels il fut exposé : le froid intense qui règne dans ces montagnes dont il eut à franchir des cols dépassant 5000 mètres d'altitude ; les vents furieux qui balayent les hauts plateaux du Tibet, les rivières ou les torrents qu'il fallait traverser à pied ou à la nage dans l'eau glacée, au risque d'être entraîné par le courant ; la faim et la soif auxquelles il était en proie dans des contrées arides ou par le refus des habitants de lui donner la moindre nourriture ; la fatigue des longues marches dans ce pays rocailleux et désertique, sans un abri pour y passer la nuit ; ou, s'il était reçu par les habitants du pays, l'inimaginable malpropreté de leurs logis et de leurs habitudes. Les bêtes féroces, les serpents venimeux étaient un danger constant, ainsi que les brigands qui infestent la contrée et dépouillent ou tuent les infortunés voyageurs. D'autre part le Sadhou eut à subir la violente hostilité des lamas, et les terribles persécutions qu'ils infligent aux chrétiens.

Tous ces dangers et toutes ces souffrances ont été l'occasion de magnifiques délivrances d'une mort qui paraissait parfois certaine : - Lorsque je me dirige vers le Tibet, je n'ose jamais espérer en revenir ; chaque fois je pense que c'est mon dernier voyage ; mais c'est sans doute la volonté de Dieu que je sois préservé. - Comme Paul, il pouvait dire : « je ne fais pour moi aucun cas de ma vie, comme si elle m'était précieuse, pourvu que j'accomplisse ma course avec joie, et le ministère que j'ai reçu du Seigneur Jésus d'annoncer la bonne nouvelle de la grâce de Dieu. » - Au commencement de juillet, raconte le Sadhou, je partis pour le Tibet, prenant avec moi le jeune chrétien Thanyat. Nous annonçâmes l'Évangile dans les villages sur notre route avant d'atteindre la frontière du Tibet. De là, pendant des kilomètres, nous ne vîmes que des bergers, mais aucune habitation, en sorte que nous fûmes obligés de coucher à la belle étoile. Le froid devint intense pendant la nuit, et il nous fallut franchir un passage de montagne très élevé, traversant des glaciers avec de nombreuses crevasses. Bien des gens meurent de froid dans ces régions et nous vîmes trois cadavres au travers du chemin. La respiration devient difficile à cette altitude, mais par la bonté de Dieu, nous parvînmes de l'autre côté de ce dangereux passage. - Lorsqu'ils atteignirent le village de Mudh, ils furent reçus avec bonté par le chef de la localité qui invita le lama à partager leur repas ; comme ce dernier comprenait un peu l'hindoustani, il entendit le message du salut avec joie ; d'autres encore furent tout disposés à écouter l'Évangile. De là les deux voyageurs parvinrent au monastère tibétain de quatre cents lamas, Kee-Gunpa. Ils y passèrent deux jours auprès du chef lama qui ne leur fit point de mal, mais qui entra avec le Sadhou dans de vives controverses. Par contre, dans les villages qu'ils traversèrent ensuite, ils rencontrèrent la plus violente opposition.

Au cours de l'un de ses voyages, non loin du village de Garhwal, le Sadhou vit deux hommes dont l'un disparut soudainement. Sundar rejoignit le voyageur solitaire qui l'arrêta en lui montrant un corps enveloppé d'un drap. - C'est mon ami qui vient de mourir, dit-il, je suis un étranger ici, je vous demande de m'aider pour payer l'enterrement. - Sundar n'avait que deux pièces de monnaie qui lui avaient été données pour acquitter le droit de passage d'un pont ; il les lui tendit et poursuivit sa route. Peu après il fut rejoint par l'homme qui arrivait en courant, la figure bouleversée, annonçant dans les larmes, que son ami était vraiment trépassé. Le Sadhou lui demanda ce qu'il voulait dire, et finit par comprendre l'histoire suivante : depuis des années ces deux imposteurs faisaient à tour de rôle le prétendu mort pour exploiter les passants. Mais cette fois-ci, le mendiant revenu vers son ami, l'appela en vain et, soulevant le drap, vit qu'il était réellement mort. Il supplia le Sadhou de lui pardonner car il était certain d'être en présence d'un très saint homme qu'il avait dépouillé et que les dieux, dans leur courroux, le châtiaient. Sundar lui parla du seul vrai Dieu et de son pardon pour ceux qui se repentent de leurs mauvaises actions. Plein d'une sincère contrition, le coupable accepta le message du salut. Le Sadhou laissa cet homme l'accompagner pendant un certain temps, puis l'envoya dans la station missionnaire de Garhwal où plus tard il fut baptisé.

Le Sadhou traversait un jour les montagnes, avec un compagnon tibétain, par un froid intense et une abondante neige. Tous deux souffraient violemment et désespéraient d'atteindre le but de leur voyage. Arrivés près d'un précipice, ils trouvèrent un homme gisant au bas d'une pente glacée, inanimé. Sundar proposa de le transporter jusqu'à un abri, mais le Tibétain s'y refusa ; voulant avant tout sauver sa propre vie, il passa outre. Le Sadhou, à grand-peine, souleva le moribond, le chargea sur son dos puis avança à pas lents avec son lourd fardeau. Cependant, l'effort ne tarda pas à le réchauffer, et il communiqua sa chaleur au pauvre homme qui se ranima à son tour. Peu après il trouva son malheureux compagnon tibétain étendu au bord de la route. Il était mort de froid, tandis que Sundar parvenait au but de son voyage avec l'homme dont il venait de préserver la vie. « Celui qui voudra sauver sa vie la perdra, mais celui qui la perdra à cause de moi la retrouvera. »

A Narcanda, dans les montagnes entre Simla et Kotgarh, le Sadhou passa auprès de quelques hommes moissonnant un champ ; il s'approcha pour s'entretenir avec eux. Ils firent peu attention à lui, mais bientôt se fâchèrent d'entendre parler d'une religion étrangère. L'un d'eux le maudit et, prenant une pierre, la lui jeta à la tête et le blessa. Tôt après, cet ouvrier fut saisi d'un violent mal de tête et dut abandonner son travail. Le Sadhou, relevant la faux, reprit la tâche inachevée. Voyant cela, les autres moissonneurs changèrent d'attitude envers lui, et lorsque le travail fut terminé, ils l'invitèrent à venir chez eux. Il accepta, heureux de pouvoir délivrer son message avant de quitter le village. Après son départ, lorsque ces hommes mesurèrent la moisson rentrée ce jour-là, ils constatèrent avec étonnement qu'elle était beaucoup plus considérable que d'habitude. Une grande crainte s'empara d'eux : l'étranger devait être un saint, cette superbe moisson en était un signe certain. Ils se mirent à sa recherche, mais en vain. L'homme qui avait lancé la pierre, envoya ce récit à un journal du nord de l'Inde, priant le Sadhou, si ces lignes tombaient sous ses yeux, de revenir auprès d'eux.

Le Sadhou a parfois rencontré, dans ses pérégrinations à travers les montagnes de l'Himalaya, quelques-uns de ces célèbres ermites tibétains qui s'enferment, solitaires, dans des cavernes naturelles. Séparés du reste des humains, privés de la lumière du soleil, plongés dans l'obscurité, ils se nourrissent des aliments déposés par les passants dans un trou pratiqué à cet effet. Absorbés dans de profondes méditations et tournant sans relâche un moulin a prières, ces ascètes espèrent par là atteindre le Nirvâna, l'extinction de tout désir. Le Sadhou a pu parfois introduire dans leurs maisons quelques portions des Évangiles, espérant qu'ils les liraient lorsqu'ils sortiraient de leurs tombeaux. Un jour, en escaladant une montagne rocheuse, Sundar découvrit dans une grotte un homme en prière ; pour lutter contre le sommeil, il avait attaché ses longs cheveux au rocher de la voûte et, heure après heure, il implorait le pardon de ses péchés, et cherchait la paix de son âme. - Avez-vous trouvé cette paix ? lui demanda Sundar. - Le pauvre Tibétain lui répondit que jusqu'à présent il ne l'avait pas reçue. Alors le Sadhou lui raconta l'histoire de Jésus qui a dit : « Venez à moi et je vous donnerai le repos ». L'homme écoutait attentivement, son âme s'ouvrait à la lumière et il s'écria : - Maintenant j'ai trouvé cette paix ; conduis-moi à lui, je veux être son disciple ! - Sundar l'invita à venir jusqu'à une station missionnaire, afin d'être instruit dans la foi chrétienne et de recevoir la grâce du baptême.

- J'ai appris une grande leçon de ces ermites, dit Sundar, car ces gens se livrent volontairement à toutes ces souffrances pour atteindre le Nirvâna qui n'offre aucune joie pour la vie future et ne conduit qu'à l'extinction de la vie. Combien plus devons-nous être prêts à servir le Christ et porter joyeusement sa Croix, lui qui s'est donné pour nous et qui nous a apporté la vie éternelle ! Un des récits les plus remarquables du Sadhou, en relation avec ses voyages à la recherche de ces ermites, fut sa rencontre avec le Maharishi de Kailash. Dans l'été 1912, le Sadhou voyageait seul dans les hauts parages d'un chaînon de l'Himalaya appelé le Kailash. C'est là, à près de 2800 mètres d'altitude, que le puissant Indus prend sa source, dans un paysage d'une sublime grandeur. Le célèbre lac sacré de Mansarowar se trouve à deux ou trois jours de marche, et Sundar en parle comme de l'un des endroits les plus merveilleux qu'il ait jamais vus. Mais les tribus nomades des environs sont des plus cruelles. Sur une des sommités du Kailash, à 4300 mètres environ, s'élèvent les ruines d'un ancien temple bouddhiste abandonné. Le paysage est d'une impressionnante beauté ; des sources d'eau bouillante jaillissent du sol gelé, au milieu des neiges éternelles. C'est à quelques kilomètres de là que vit le Maharishi.

Au cours d'une de ses excursions de l'été 1921, Sundar, épuisé par ses vains efforts à la recherche de ces saints solitaires, perdit tout à coup l'équilibre et tomba d'un rocher à l'entrée d'une large caverne. Quand il fut remis de son étourdissement, il fut saisi de surprise à la vue d'un homme étrange et sans âge qui, sortant de sa profonde méditation, jeta sur lui un regard perçant. A son grand étonnement il se trouvait en face non pas d'un ermite tibétain, mais d'un chrétien, qui l'invita à s'agenouiller et à prier avec lui, terminant sa vivante intercession par le nom de Jésus. Il déploya un volumineux exemplaire des Évangiles en grec, et lut à haute voix quelques versets du Sermon sur la montagne, après quoi il raconta à Sundar son histoire.

Il était né à Alexandrie de parents musulmans ; à trente ans il entra dans l'ordre des Dervishs, mais ni l'étude du Coran, ni ses prières ne lui donnèrent la paix. Dans sa détresse intérieure il alla vers un chrétien venu des Indes en Égypte pour y annoncer l'Évangile. Ce saint lui lut cet appel du Christ : « Venez à moi, vous tous qui êtes travaillés et chargés, et vous trouverez le repos de vos âmes. » Ces paroles, les mêmes qui, plus tard, devaient frapper Sundar, l'amenèrent à Christ. Il quitta son monastère, fut baptisé, et partit pour annoncer l'Évangile. Après une longue période de travail missionnaire, arrivé à l'âge de cent ans environ, il se retira du monde, et le Seigneur lui fit connaître qu'il le laisserait encore de nombreuses années en vie afin qu'il intercédât pour les saints de Dieu répandus sur la terre.

C'est dans les montagnes du Kailash qu'il passa sa vie solitaire en méditation et en prière. Dieu lui accorda de grandes révélations et de glorieuses visions apocalyptiques sur l'au-delà. Il acquit une solide connaissance des plantes et de leurs vertus curatives et donna à Sundar, transi de froid, quelques feuilles qui, dès qu'il les eut mangées, le réchauffèrent et le ranimèrent délicieusement. Le Sadhou visita trois fois le vieil ermite et reçut de lui une inspiration nouvelle pour sa vie intérieure et pour son ministère ; mais il évita toujours d'en parler en public. Il désapprouvait la curiosité provoquée par cette histoire extraordinaire, déplorant plusieurs inexactitudes qui s'étaient répandues. - je ne suis pas appelé à prêcher le Maharishi, dit-il, mais à proclamer Jésus-Christ.

La preuve de l'existence de cet ermite a été confirmée par les membres de la mission des Sannyasis et par un ingénieur américain voyageant dans ces contrées jamais parcourues par les Blancs, et qui, avant de mourir, parla d'un mystérieux ermite chrétien, très âgé, demeurant dans ces montagnes. Des marchands tibétains, eux aussi, racontèrent qu'ils avaient vu un vénérable Rishi vivant non loin des neiges éternelles. Et lorsque nous-mêmes avons entendu le Sadhou, pendant son séjour en Suisse, nous parler de ses visites au Maharishi, nous ne pouvions douter de la véracité de ses récits.

ENCORE LE TIBET

je suis prêt non seulement à être lié mais encore à mourir pour le nom du Seigneur Jésus. Saint Paul.

Pendant les premières années de son travail, Sundar Singh arriva un jour dans un village nommé Doniwala ; épuisé à l'extrême par une longue marche, il avait grand besoin de nourriture et surtout de repos et cherchait un abri pour la nuit ; mais dès qu'on apprit qu'il était chrétien, tout secours lui fut refusé. Il pleuvait et le temps était froid. Il trouva une pauvre hutte abandonnée, sans porte ni fenêtre, et trop fatigué pour aller plus loin, il étendit sa couverture dans le coin qui lui parut le moins humide et, remerciant Dieu pour cet abri, s'endormit affamé. Quand il se réveilla à l'aube, il remarqua soudain, dans la pénombre, une large tache sombre et ronde sur sa couverture ; il regarda plus attentivement ; c'était un énorme cobra enroulé tout près de lui. Il se leva promptement, sortit, puis rentra sans faire de bruit ; prenant la couverture par un bout, il secoua le gros serpent venimeux qui, brusquement réveillé, alla paresseusement s'enrouler dans un autre coin de la hutte, sans se soucier de celui qui venait de le troubler. Sundar bénit Dieu qui l'avait protégé durant son sommeil.

Une fois, raconte un élève du collège théologique de Delhi, alors que j'étais en séjour avec le Sadhou à Béréri, près de Kotgarh, nous vîmes, avant de nous coucher, des lumières se mouvant dans la vallée ; ce devait être sans doute des hommes à la poursuite d'un léopard. Au milieu de la nuit, Sundar se leva et descendit, à l'extérieur de la maison, l'escalier de bois dont j'entendis les craquements. Sachant que souvent le Sadhou passait des heures de la nuit en prière, je ne fus pas surpris, mais voyant le temps passer et me souvenant du léopard rôdant dans les environs, je devins anxieux. je me levai et regardai par la fenêtre du côté de la forêt. A peu de distance de la maison, le Sadhou était assis, le regard tourné vers la profonde vallée. La nuit était splendide, les étoiles étincelaient dans un ciel sans nuage, une légère brise agitait les feuilles des arbres. je fixai la paisible silhouette du Sadhou, lorsque mes regards furent attirés par quelque chose se mouvant à sa droite. Un animal s'avançait vers lui : je reconnus un léopard. Saisi de frayeur, je demeurai immobile, incapable d'appeler. Alors le Sadhou se tourna vers l'animal, puis étendit sa main en un geste silencieux. Comme un chien fidèle, le léopard se coucha non loin de lui et baissa la tête, subjugué par une puissance invisible. Ce fut une scène étrange que je ne pourrai jamais oublier. Peu après le Sadhou rentra et s'endormit bientôt ; mais je restai éveillé, me demandant ce qui donnait à cet homme un tel pouvoir sur les bêtes féroces...

Au matin, le jeune homme demanda au Sadhou si, en face de ce fauve, il n'avait pas été effrayé ?- Pourquoi ce léopard m'aurait-il fait du mal, répondit-il, je n'étais pas son ennemi,- et il ajouta :- Aussi longtemps que je me confie en Jésus-Christ je n'ai aucune raison d'avoir peur. Cependant le Sadhou lui-même confessa qu'en une autre occasion, il fut un moment terrifié, lorsque, s'éveillant subitement dans une grotte où il s'abritait, il vit un énorme léopard dormant tout près de lui. Pourtant il reprit bien vite son sang-froid et sortit doucement, remerciant Dieu d'avoir préservé sa vie. Chassé d'une localité, il s'en fut s'asseoir sur un rocher et là, perdu dans ses réflexions, il n'aperçut pas une grande panthère noire s'approchant en rampant, prête à sauter sur lui. Quand il la vit, le coeur battant, mais plein de confiance en Dieu, il se leva tranquillement et s'éloigna. De retour au village, il raconta son aventure ; elle remplit les villageois d'étonnement : cette panthère avait tué plusieurs des leurs. Ce Sadhou, pensèrent-ils, devait être un très saint homme et, dès ce moment, leur attitude envers lui changea totalement. Ils s'assemblèrent autour de lui, heureux de l'entendre parler de ce Jésus qui est toujours avec ses serviteurs et qui aime tous les hommes. Jamais, dira le Sadhou, une bête féroce ne m'a fait le moindre mal.

Le Tibet possède des chats sauvages, des tigres, des léopards, des lynx, des yacks. Si le yack est un animal très utile comme bête de somme quand il est apprivoisé, n'étant pas sujet au mal de montagne comme le cheval ou le mulet, il est dangereux à l'état sauvage. Sundar fut attaqué une fois par un yack sauvage qui fonça furieusement sur lui. Il trouva un refuge sur le sommet d'un rocher qu'il escalada avec agilité. Lorsque son compagnon tibétain vit l'animal posté au pied du roc, il poussa de grands cris qui firent surgir une bande de brigands. Ceux-ci mirent le yack hors de combat en le lapidant, puis ils dépouillèrent les deux voyageurs de tout ce qu'ils possédaient, et les emmenèrent dans leur logis. Là, le Sadhou saisit l'occasion de parler du Dieu au service duquel il était. Ils furent vivement impressionnés, rendirent tout ce qu'ils avaient dérobé, et offrirent à leurs prisonniers de la nourriture et un gîte.

Les Tibétains boivent un thé couleur chocolat, avec du sel et du beurre, qui n'a rien de commun avec le nôtre ; ils nettoient leurs assiettes et leurs tasses en y passant la langue. Le Sadhou, sachant cela, leur dit :- Voulez-vous, s'il vous plaît, me permettre de nettoyer ma tasse ?- Alors l'un d'eux, devançant son désir, tira une longue et large langue avec laquelle il arriva sans peine jusqu'au fond du bol. Il n'y avait rien à faire qu'à attendre que l'opération soit terminée. Quand le thé fut versé, le Sadhou, au lieu de le boire, s'en servit pour nettoyer sa tasse à son tour. Les Tibétains, très étonnés, se mirent à rire pensant sans doute que leurs hôtes étaient des gens bien étranges ; le compagnon de Sundar leur expliqua qu'un Hindou ne pouvait boire dans une tasse qui n'avait pas été purifiée ; à quoi les brigands répliquèrent que s'il fallait laver les coupes et les plats, il faudrait en faire de même, chaque jour, pour son estomac, ce qui n'était pas possible.

Les maisons des Tibétains, bâties en pierre et en boue, sont très petites et sales ; les vêtements, bien que faits avec de la laine blanche, sont complètement noirs n'étant jamais nettoyés. Un jour que le Sadhou et son compagnon tibétain chrétien lavaient leurs vêtements dans une rivière près du village de Kiwa, les habitants s'assemblèrent, fort curieux de voir une chose aussi extraordinaire. Le lama réprimanda le Sadhou, disant :- Il n'y a point de mal pour les méchants à laver leurs vêtements, mais pour les saints hommes, c'est une chose très mauvaise en vérité.- Ce fut un supplice que l'on peut facilement imaginer, pour un homme habitué à une propreté raffinée de vivre au milieu de ce peuple d'une saleté indescriptible.

Les brigands étaient constamment à redouter.- Vous devriez avoir une arme avec vous, disait-on au Sadhou, une épée ou un fusil, car bien des gens ont été tués dans ces contrées.- J'ai ma Bible et une couverture, répondait-il ; la Parole de Dieu est mon épée ; le Seigneur de la vie est avec moi et il me délivrera. - En vérité, ces mêmes brigands qui avaient commis tant de meurtres, vinrent à nous et ne nous firent pas de mal, grâce à Dieu.- Car, en dépit de leur violence et de leur manière de vivre si répugnante, les Tibétains ont bon coeur et sont naturellement religieux : dans chaque famille le fils aîné est destiné à devenir lama. Un jour, alors qu'il enseignait dans une ville tibétaine appelée Rasar, Sundar fut fait prisonnier et conduit devant le chef des lamas. Accusé d'avoir enseigné le christianisme, il fut déclaré coupable et condamné à mort.

Une des manières de mettre un criminel à mort sans le tuer soi-même, ce qui est contraire à la loi bouddhique, consiste à le jeter dans un puits et à le laisser périr lentement au milieu des ossements et des cadavres putréfiés. Sundar, suivi d'une foule véhémente et avide d'un pareil spectacle, fut conduit au bord d'un puits profond de quarante pieds et entouré d'un mur d'enceinte. Avec une grosse clef, on ouvrit la lourde porte recouvrant l'orifice de la citerne, puis, afin d'ôter au prisonnier toute possibilité de ressortir, on lui cassa brutalement le bras gauche avant de le jeter dans la fosse. Les deux portes, celle du mur d'enceinte et celle du puits, furent soigneusement refermées et le Sadhou fut abandonné dans les ténèbres de cet horrible charnier dont l'odeur nauséabonde était écoeurante. Les heures s'écoulaient lentement. - Pendant trois jours je fus sans manger et sans boire, mon bras me faisait cruellement souffrir, mais au fond de cette prison, je fis l'expérience d'une paix et d'une joie ineffables, et la présence de mon Sauveur changea pour moi cet enfer en le ciel même. je pensais que Dieu allait me reprendre à lui.- Mais le troisième jour Sundar entendit une clef tourner dans la serrure, et une bouffée d'air frais pénétra jusqu'à lui. Une voix lui enjoignait de saisir la corde qui lui était lancée. Puis il se sentit doucement, mais fermement, soulevé et déposé hors du puits. Il faisait nuit, il ne put reconnaître son Sauveur, qu'il prit pour un soldat tibétain venu pour le conduire à un nouveau supplice. Le lourd couvert fut remis en place et refermé avec la grosse clé. Lorsque le Sadhou eut franchi le mur d'enceinte, il ne vit plus personne ; il attendit vainement et réalisa qu'une vie nouvelle l'envahissait, et que la douleur de son bras avait entièrement disparu. Tout ce qu'il put faire fut de rendre grâces à Dieu pour sa miraculeuse délivrance. N'avait-il pas envoyé son ange selon les anciennes promesses de sa Parole ?

Le Sadhou retourna à Rasar et, le jour suivant, recommença à prêcher dans les rues de la ville. Quand les gens virent celui qu'ils croyaient mort, vivant devant eux, ils furent stupéfaits. L'extraordinaire nouvelle fut rapidement rapportée au lama qui pensa qu'un traître avait délivré le condamné. Il fit comparaître Sundar qui raconta ce qui était arrivé. Quelqu'un fut envoyé pour vérifier si le puits était fermé : tout était en parfait état. La clef, la seule qui existât, se trouva comme à l'ordinaire suspendue à la ceinture du lama. Celui-ci commença à se sentir fort mal à l'aise et demanda à Sundar de lui montrer son bras. Il l'étendit sans difficulté et se souvint qu'au sortir du puits son sauveur avait posé sa main sur lui et qu'il avait été guéri. Le laina lui dit :- Ton Dieu est un Dieu puissant, Il t'a protégé et nous ne voulons pas te faire de mal, mais va-t-en de notre province, de peur que la malédiction ne nous frappe.

Ne croyons-nous pas lire le livre des Actes des Apôtres et entendre le Sadhou dire, comme Pierre délivré de sa prison : « je vois maintenant d'une manière certaine, que le Seigneur a envoyé son ange et qu'Il m'a délivré de la main d'Hérode, et de ce que tout le peuple attendait. » - Le temps des miracles n'est pas passé, disait le Sadhou, mais bien le temps de la foi.- Aucun de ceux qui ont eu le privilège de l'entendre lui-même, ne peuvent mettre en doute que Dieu fasse encore des miracles de nos jours.

Dans bien d'autres occasions, Dieu vint en aide, d'une manière surnaturelle, à son fidèle serviteur. Dans la localité de Kamyan, nul ne semblait désirer l'écouter, et il ne lui fut pas donné le moindre morceau de pain. Quand vint la nuit, fatigué et affamé, il ne trouva ni asile pour dormir, ni fruits sauvages pour apaiser sa faim. Il se coucha sous un arbre et s'assoupit. Au milieu de la nuit il fut réveillé par un attouchement et vit deux hommes debout à ses côtés, lui offrant de la nourriture et de l'eau. Pensant que c'étaient deux villageois plus compatissants que les autres, il prit avec reconnaissance ce qui lui était offert mais lorsqu'il voulut remercier ses bienfaiteurs, ils avaient mystérieusement disparu sans laisser de traces.

Une autre fois, prêchant à Khantzi dans le Népal, les gens furent si furieux contre lui qu'ils le saisirent, l'attachèrent fermement dans sa couverture et le jetèrent hors du village. Un étranger passant par là, eut pitié de lui et l'aida à se libérer. Le jour suivant le Sadhou était de retour dans le même lieu, prêchant Christ comme auparavant. Cette fois, les villageois exaspérés lui lièrent les pieds et les mains et le fixèrent solidement à un arbre. Les heures passaient et Sundar défaillait, épuisé par la tension de ses membres et par la faim. Des fruits pendaient au-dessus de lui, mais il lui était impossible de les atteindre. La nuit vint ; anéanti de fatigue, il finit par s'endormir. A son réveil il se trouva, à son grand étonnement, couché au pied de l'arbre et libéré de ses liens. Quelqu'un avait dû couper les cordes qui le retenaient ; à sa portée, sur le sol, quelques fruits étaient posés.

Un jour, averti que des gens désiraient entendre son message, il partit à leur recherche. Mais ayant pris une mauvaise direction, il se perdit dans la jungle. Arrivé au bord d'une rivière, il ne put la traverser à cause de la force du courant. La nuit tombait, et dans la forêt toute proche on entendait déjà le réveil des fauves cherchant leur proie. Que pouvait-il faire, seul et désarmé, sinon élever son coeur à Dieu en une ardente prière ? Alors, à travers les dernières lueurs du jour, il distingua de l'autre côté de l'eau, un homme qui lui criait :- je viens à ton secours.- Et plongeant dans la rivière, l'homme nagea rapidement jusqu'à lui, prit Sundar sur son dos et regagna l'autre rive. Là un bon feu était allumé et le Sadhou put y sécher ses vêtements. Soudain son étrange ami disparut, et il se retrouva seul, à l'abri des bêtes sauvages, émerveillé une fois de plus de l'amour et des soins de son Dieu.

Chassé d'un endroit où il avait en vain essayé de prêcher l'Évangile, il trouva un refuge dans une caverne ; torturé par la faim et la soif, il demandait à Dieu son secours, lorsqu'il trouva près de là quelques feuilles qui lui parurent la plus délicieuse nourriture qu'il eût jamais goûtée, et qui lui rendirent ses forces. Peu après il vit une troupe, armée de pierres et de bâtons, s'approcher de sa retraite. Se recueillant, il pria :- Que ta volonté se fasse, je remets mon esprit entre tes mains.- Bientôt le silence se fit autour de lui, il rouvrit les yeux et vit la foule s'éloigner. Qu'était-il arrivé ?... Il se coucha et s'endormit. Le lendemain, la même foule de 50 à 60 personnes réapparut, mais cette fois-ci sans bâtons ni pierres il était cependant certain qu'on voulait le tuer.- je suis heureux de donner ma vie pour mon Sauveur, me voici, faites de moi ce que vous voulez.- Un homme s'avança et prit la parole :- Nous venions pour te tuer hier soir, mais aujourd'hui nous sommes là pour te poser une question. Nous avons déjà vu des hommes de bien des pays, Chinois, Hindous, Européens ; nous les distinguons tous, mais nous ne connaissons pas d'hommes pareils à ceux qui entouraient ta retraite. Nous voudrions savoir de quel pays ils sont. Jamais nous n'avons vu des gens aussi merveilleux ! Ils encerclaient ta caverne et ne touchaient pas le sol, aussi n'avons-nous plus eu le courage de t'abattre.- Alors le Sadhou comprit que Dieu avait envoyé ses anges pour le protéger. Lui ne les avait pas vus, mais ils avaient été visibles aux yeux de cette foule. Ces hommes invitèrent Sundar à revenir chez eux et le prièrent de les instruire de ce qui concernait son Dieu, et plusieurs furent amenés à la connaissance de Christ.

La haine du christianisme, et en général de tous les étrangers, se retrouve aussi bien dans les États limitrophes de l'Inde qu'au Tibet. Au risque de sa vie, le Sadhou pénétra au Népal, sachant bien qu'il n'en ressortirait peut-être pas. Le Népal est une longue vallée s'étendant entre deux montagnes très élevées de la chaîne de l'Himalaya. Elle est habitée entre autres par la fière tribu des Gourkas. Partout le Sadhou y rencontra une vive hostilité. Arrivé depuis peu dans la ville de Ilom, il lui fut enjoint de se taire ; il n'obéit pas et fut pris à partie par un indigène fort irrité auquel il donna un évangile de Marc. Celui-ci le déchira aussitôt, et alla dénoncer Sundar à la police qui l'arrêta et le condamna à six mois d'incarcération. Jeté dans la prison commune, avec des voleurs et des meurtriers, Sundar trouva ces hommes tout prêts à écouter l'histoire de Celui qui s'est appelé l'ami des pécheurs. La paix de Dieu descendit dans ce lieu de misère, et la semence répandue au travers de la douleur produisit une riche moisson. Beaucoup acceptèrent Christ comme leur Sauveur. Le geôlier, voyant le changement qui s'opérait à la prédication du Sadhou, lui ordonna de garder le silence.- je ne le puis, je dois obéir à mon Maître et annoncer la bonne nouvelle, quelles que soient les souffrances qui m'attendent. - Le geôlier, se tournant alors vers les prisonniers, leur défendit d'écouter Sundar, mais ils répliquèrent qu'ils avaient été emprisonnés dans le but d'être rendus meilleurs : le Sadhou, par son enseignement, avait éveillé en eux une vraie repentance de leurs mauvaises actions. Comment cela pourrait-il être une offense contre qui que ce soit ? Le geôlier devint perplexe ; ne sachant que répondre, il alla vers le gouverneur. Celui-ci donna l'ordre de transférer Sundar dans une prison où il serait solitaire.

On ne trouva qu'une écurie avec une seule porte et sans fenêtre. Dans ce lieu sordide et malodorant, le Sadhou fut dépouillé de ses vêtements et attaché, pieds et mains liés, à un poteau. Pour ajouter encore à son supplice, quelqu'un rapporta des sangsues de la jungle, et en couvrit le corps nu de Sundar. Ces bêtes voraces sucèrent son sang. Dans ses tortures il éleva son coeur à Dieu, et une grande paix l'inonda. A pleine voix il entonna un cantique de louanges. Le peuple se massa devant la porte de l'écurie, et il put annoncer Jésus. Dans cette foule se trouvait celui qui l'avait dénoncé et avait attiré sur lui tous ces maux. Rempli d'étonnement de ce qu'il entendait, il dit aux geôlier :- Que pensez-vous de cet homme qui est si joyeux malgré ses tourments ?- Il doit être fou, répondit le geôlier.- Si en étant fou on peut avoir une paix si profonde, je voudrais l'être aussi et non seulement moi, mais tous les habitants de la terre devraient le devenir, car cette sorte de folie transformerait le monde en un entier paradis !

Le geôlier, de plus en plus troublé et déconcerté, retourna auprès du gouverneur :- Notre but n'a pas été atteint, nous espérions faire souffrir cet homme et l'empêcher de prêcher, mais nous avons seulement contribué a augmenter sa joie.- Il est fou, dit le gouverneur, laissez-le aller. Le Sadhou fut libéré ; il était très faible, ayant perdu beaucoup de sang ; cependant il trouva la force de traverser la ville, proclamant son message avec une nouvelle ardeur. Un grand encouragement lui fut donné. L'homme qui s'était montré son pire ennemi lui demanda s'il n'avait pas honte de prêcher l'Évangile qui lui apportait tant de souffrances :- Quand j'étais un Hindou comme vous, je n'ai pas eu honte de déchirer la Bible, comment serais-je honteux maintenant de dire ce que Christ a fait pour moi ? - Alors son interlocuteur sollicita un autre exemplaire de l'Évangile qu'il avait déchiré, afin de chercher lui-même le secret de cette paix et de cette joie qui se manifestent au travers des plus grandes épreuves. Dans le Nouveau Testament de Sundar, on a retrouvé ces quelques mots : Népal, 7 juin 1914. La présence de Christ a transformé ma prison en un véritable ciel, alors que sera le ciel même ?

- je bénis Dieu, écrira-t-il, de ce qu'il m'a choisi dès ma jeunesse, indigne comme j'étais, pour que je puisse mettre à son service les jours de ma vigueur. Dès mon baptême je demandai à Dieu de me montrer ma voie, et lui qui est le chemin, la vérité et la vie, m'a appelé à le servir comme Sadhou et à prêcher son saint nom. Et maintenant, bien qu'ayant souffert la faim, le froid, les chaleurs, la prison, les malédictions, les infirmités, la persécution et des maux sans nombre, je le bénis de ce que, par sa grâce, mon coeur est toujours débordant de joie. Après dix ans d'expériences je répète, sans la moindre hésitation, que la Croix porte ceux qui la portent.

MINISTÈRE AU LOIN

Je n'ai pas honte de l'Évangile, c'est une puissance de Dieu pour le salut de quiconque croit. Saint Paul.

Dans les vastes solitudes de l'Himalaya, le Sadhou passa des mois dans le silence et la communion avec Dieu. Il parcourut seul des régions rarement visitées par les hommes, et contempla dans la nature les oeuvres puissantes du Créateur. C'est là que Dieu scella sa vocation divine en lui faisant réaliser de magnifiques expériences de sa puissance, et qu'il lui accorda, dans des moments d'extase, des visions spirituelles sur le monde invisible, qui illuminèrent sa vie.

Il reçut une puissance en vue du ministère qui allait être le sien dans l'empire des Indes et dans ses voyages missionnaires à travers le monde. Son nom devint bientôt célèbre, et toutes les portes s'ouvrirent devant ce serviteur du Christ dont on parlait avec tant d'étonnement et d'admiration. Mais rien ne le détournera de sa vocation de Sadhou, et il manifestera la même humilité, la même douceur, la même simplicité dans sa vie de renoncement. Son âme, toujours éprise de silence et d'union avec Dieu, souffrira de l'adulation des hommes et aspirera constamment à retrouver la solitude des montagnes.

En 1918, Sundar se rendit à Madras, et de là plus au sud, pour travailler momentanément parmi les communautés privées par la guerre, des missionnaires allemands. C'est alors qu'il rencontra le Dr et Mme Pierre de Benoit, venus aux Indes pour secourir les missionnaires suisses restés sans abri à la suite de l'expulsion, par le gouvernement anglais, des missionnaires allemands. Partout le Sadhou exhortait les chrétiens hindous à poursuivre le travail des missionnaires européens et à ne pas laisser se perdre la tâche entreprise. Il illustrait ses exhortations par la parabole suivante :- Un homme avait un magnifique jardin ; les plantes et les arbres en étaient très bien soignés et chacun les admirait. Cet homme devant partir pour un temps prolongé, se dit en lui-même :- Mon fils est ici ; il gardera tout en bon ordre jusqu'à mon retour.- Mais le fils ne se soucia pas du jardin, et nul n'en prit soin : la porte en resta ouverte, les vaches du voisin y entrèrent et broutèrent les fleurs et la verdure. Personne n'arrosait les plantes, et bientôt tout se flétrit et se dessécha. Les passants s'étonnaient devant la négligence de ce fils indolent et paresseux.- Oh ! répondit-il, mon père s'en est allé sans me dire ce que je devais faire !- Vous, chrétiens hindous, vous êtes exactement comme ce fils : vos missionnaires ont dû partir ; ils seront loin longtemps et vous ne faites rien pour continuer leur travail. Si vous voulez être de vrais fils, vous devez faire votre devoir sans attendre un ordre spécial de votre père.

Soir et matin le Sadhou prêchait devant de nombreuses assemblées ; jamais personne n'avait à ce point attiré l'attention et la sympathie des églises de l'Inde. On venait à lui de toutes parts. Les conseils qu'il donnait étaient toujours empreints de sagesse, de bon sens et de pondération. L'exemple de sa pieuse mère et l'éducation qu'elle lui avait donnée, revenaient constamment dans ses entretiens avec les femmes.- Si une mère païenne a pu faire tant pour son fils, combien plus vous, mères chrétiennes, le pouvez-vous pour vos enfants. Bien souvent les Hindous sont allés le voir, comme Nicodème, pendant les heures silencieuses de la nuit, pour chercher la vérité. On le suppliait de visiter les malades, de bénir les enfants ; le nombre de ceux qui réclamaient ses prières était légion, et beaucoup ont trouvé le soulagement attendu. Le bruit de ses guérisons prit une telle extension qu'il refusa de répondre à bien des appels. Les Hindous prêtent volontiers un pouvoir magique à un « saint homme ». - A Ceylan, un chrétien de bonne famille avait un fils qui se mourait. Les médecins l'avaient condamné, et si mère me supplia de venir lui imposer les mains et de prier pour lui. je lui dis :- Ces mains n'ont aucun pouvoir, seules les mains percées du Christ peuvent guérir. A la fin, pourtant, je consentis à aller voir le jeune homme à l'hôpital ; je priai pour lui et posai mes mains sur sa tête. Trois jours plus tard je l'aperçus, assis à côté de sa mère, au fond d'une salle où je prêchais. Malgré tous mes efforts, je ne pouvais convaincre les gens que la guérison n'était pas obtenue par un pouvoir surnaturel, mais qu'elle était accordée par Christ seul, en réponse à la prière. On persistait à me regarder comme un faiseur de miracles, et je compris qu'il était préférable de ne pas encourager une superstition qui détournait l'attention de l'Évangile.

Le Sadhou participa à une grande convention de l'Eglise syrienne, où 20 000 chrétiens étaient présents. Cette communauté chrétienne se réclame de l'apôtre Thomas, venu, dit-on, prêcher l'Évangile aux Indes. Que cette tradition soit vraie ou non, il est établi que cette Eglise remonte au troisième siècle de l'ère chrétienne. Sundar se rendit à un autre des congrès de la branche Mar Thomas, dans le Travancor. Chaque année, à la saison sèche, on élève un vaste hangar sur une île de sable formée par le lit sec d'une immense rivière. Là, durant une semaine, se tiennent des réunions d'évangélisation. Chaque matin, avant l'aurore, un homme parcourt le campement en criant : « Loué soit Dieu ! Loué soit le Fils de Dieu ! » et de partout s'élèvent des prières chantées sur d'antiques mélodies syriennes. Ainsi monte vers le ciel, dans un constant crescendo, l'invocation qui doit faire descendre la bénédiction sur les réunions de la journée.

Grâce à la présence du Sadhou, il y eut cette année-là plus de monde que jamais. Non moins de 32 000 auditeurs étaient assis sur le sable, tandis que sur une plateforme élevée, deux évêques de l'Eglise syrienne, en robes de satin rouge aux ceintures d'or, coiffés de turbans étranges, présidaient les séances. D'autres prédicateurs et le Sadhou étaient assis sur l'estrade à la façon indienne. Lorsque l'évêque indiquait un sujet de prière, un murmure s'élevait et allait croissant jusqu'à devenir semblable au fracas de l'océan. A ces vastes auditoires, Sundar parlait avec franchise, disant qu'un grand privilège leur avait été accordé par la connaissance qu'ils avaient de l'Évangile, depuis tant de siècles. Il les priait de considérer sérieusement pourquoi la bonne nouvelle de Christ était restée confinée si longtemps dans cette petite partie de l'Inde. A cause de leur négligence, Dieu avait dû envoyer des messagers étrangers d'Europe et d'Amérique, pour faire le travail qui leur avait été confié à eux. Le Sadhou les pressait instamment de répondre enfin à l'appel divin et d'apporter la lumière aux millions d'Hindous qui meurent dans les ténèbres (*).

Le Sadhou n'a jamais attaqué violemment la religion dans laquelle il a été élevé. Il accueillait tous ceux qui avaient des principes religieux et ne cherchait pas à engager des controverses ; il voulait construire et non pas démolir. Par sa douceur, son humilité, son acceptation paisible des humiliations et des injures, par le témoignage silencieux de sa vie plus encore que par ses paroles, il gagnait des coeurs qui voyaient en lui l'amour même de Christ. -Tout l'avenir de la foi chrétienne aux Indes, écrit C. F. Andrew dans son livre sur Sundar Singh, est centré sur l'idéal que le Sadhou a placé devant les chrétiens. Christ sera trouvé par les Hindous seulement si ceux qui se disent chrétiens n'obscurcissent pas sa présence.- Si tous ceux qui travaillent à étendre le royaume de Dieu sur la terre appartenaient sans partage au Christ vivant, dit Sundar, le monde entier serait devenu chrétien depuis longtemps ; car les non-chrétiens qui cherchent la vérité sont prêts à souffrir pour la trouver, mais je dois confesser que l'Eglise chrétienne, elle, a grandement manqué.

Sundar passa six semaines à Ceylan, où son séjour avait été préparé par des missionnaires et des laïques de toutes dénominations. Mahométans, hindous, bouddhistes, catholiques, protestants, tous venus de loin, se pressaient aux abords des salles dès longtemps avant l'heure fixée. Aucune enceinte n'était assez vaste ; à Colombo, des centaines de gens ne purent même pas arriver jusqu'aux portes du local où il parlait. Son nom était sur toutes les bouches. En le voyant si calme et paisible, au milieu de ces multitudes qui le poursuivaient jusque dans ses moments de repos, personne ne se doutait de la souffrance que lui causait cette popularité et combien cette activité débordante était loin du genre de vie qu'il affectionnait. Il parla sévèrement aux chrétiens de ce qu'il considérait comme un des plus grands obstacles à la diffusion de l'Évangile : le danger des richesses et du luxe, et la lèpre de l'esprit de caste qui se retrouvait même parmi les chrétiens. jamais encore, dans les temps modernes, les populations de l'Inde n'ont été secouées de leur torpeur comme elles le furent par le simple message du Christ crucifié et ressuscité.

Le Sadhou était alors au faîte de sa popularité, et ici se place l'expérience suivante : Un jour qu'il s'en était allé dans la jungle pour prier, un personnage plein de dévotion s'approcha de lui :- Pardonnez-moi de troubler votre solitude et d'interrompre vos prières, mais n'est-ce pas un devoir de chercher le bien des autres ? Votre vie pure et votre renoncement m'ont profondément impressionne ainsi que beaucoup de ceux qui cherchent Dieu. Bien que vous soyez consacré corps et âme au bien des autres, vous n'avez pas été suffisamment récompensé. je veux dire ceci : En devenant chrétien, votre influence s'est étendue à des centaines de gens, mais elle reste limitée. Ne serait-ce pas mieux pour vous de devenir un « leader » du peuple hindou ou musulman ? Si vous y consentiez, vous verriez bientôt des millions vous suivre et vous adorer comme leur Gourou.- Quand le Sadhou entendit ces paroles, il répliqua aussitôt :- « Arrière de moi, Satan », je sais que tu es un loup habillé en mouton ; tu désires que je renonce a suivre l'étroit chemin de la vie, qui est celui de la Croix, pour prendre la route large qui mène à la mort. Ma récompense est le Seigneur lui-même qui a donné sa vie pour moi, et c'est mon bonheur et mon devoir que de me livrer à lui avec tout ce que je possède. Retire-toi de moi, je n'ai rien à faire avec toi !

Sundar pleura beaucoup et pria. Sa prière terminée, il vit debout devant lui un être glorieux ; les larmes troublaient la vision du Sadhou, mais un fleuve d'amour envahit son âme. Il repoussa la tentation de devenir un Gourou hindou- tel que Nânak- honoré de tous et unissant le christianisme et toutes les religions de l'Inde en un système qui ferait de Jésus l'égal de Mahomet ou de Bouddha.- Non. Pour le Sadhou il y avait un seul Sauveur, Jésus-Christ, un seul Evangile, la bonne nouvelle de la grâce de Dieu qui est Christ, « le même hier, aujourd'hui et éternellement ».

Partout la remarquable personnalité du Sadhou suscitait un intérêt extraordinaire et donnait une grande puissance à ses paroles. Il se dégageait de lui comme une émanation d'énergie spirituelle, qui le faisait aussitôt reconnaître pour un envoyé du Christ, chargé d'un message spécial. Il a provoqué dans toutes les populations, un réveil dont il est impossible d'évaluer l'importance. Il n'y a pas de doute que sa prédication porte des fruits abondants et qu'il a fait naître un sentiment plus vif et plus profond de ce que doit être la vie chrétienne. De Ceylan, Sundar se rendit à Calicut et à Bombay il y prit la grippe qui sévissait alors aux Indes.- Dieu me donna par là un temps de repos que je n'avais pu avoir dans le sud, dit-il. Puis ce fut le départ pour son premier voyage missionnaire hors des Indes. Il fut appelé à aller en Birmanie, à Rangoon, à Mandalay, à Singapour. Il avait commencé l'étude de l'anglais afin d'éviter l'inconvénient des traductions. Il ne prit avec lui aucun argent, restant fidèle à la parole de Jésus : « Ne soyez pas en souci pour votre vie, de ce que vous mangerez... et de quoi vous serez vêtu... Votre Père céleste sait de quoi vous avez besoin. »

A Penang, un Sikh l'invita à parler dans le temple sikh et le gouverneur donna un après-midi de congé aux fonctionnaires de la police afin qu'ils puissent l'entendre. Quel contraste avec l'hostilité qu'il avait rencontrée chez son peuple et dans son village natal ! De Singapour il accepta d'aller en Chine et au japon. On vit des trains s'arrêter dans des stations intermédiaires, et des bateaux retarder leur départ pour le prendre à bord. Partout un accueil enthousiaste l'attendait, et son message apportait lumière et vie. Il prêcha dans la cathédrale de Pékin, où un pasteur méthodiste lui servit d'interprète. à Hankow, ce fut le fils d'Hudson Taylor qui le traduisit en chinois. Au japon, il fut douloureusement impressionné par le matérialisme, l'amour des richesses, l'immoralité et l'indifférence religieuse. En Chine, il fut frappé de voir combien l'absence de castes rendait l'accès de l'Eglise chrétienne plus facile aux nouveaux convertis que cela n'était le cas aux Indes.

En été 1919, le Sadhou retourna à Sabathou, et de là dans son pays d'élection ; son coeur était toujours attaché au Tibet, et une fois de plus il entreprit le dangereux voyage dans les régions neigeuses de l'Himalaya. A son retour en octobre, après avoir traversé le Punjab, il se rendit à son village natal de Rampour. Son père, qui ne l'avait pas revu depuis 14 ans, l'accueillit avec bonté et lui demanda de lui montrer le chemin qui mène à Christ. Grandes furent l'émotion et la reconnaissance de Sundar en voyant ses persévérantes prières exaucées. Il recommanda à son père de lire la Bible et de prier. Celui-ci obéit et, peu après , dit à Sundar :- j'ai trouvé ton Sauveur ; il est devenu mon Sauveur. Mes yeux spirituel ont été ouverts par toi, c'est pourquoi je désire recevoir le baptême par tes mains.- Mais le Sadhou, qui avait refusé de baptiser des milliers de personnes, ne put accéder à cette émouvante prière.- Ce n'est pas pour baptiser que Christ m'a envoyé, c'est pour annoncer l'Évangile, comme le grand apôtre. C'est à d'autres à le faire ; je ne suis qu'un témoin de la grâce de Dieu et de la paix qui est en Jésus-Christ.

Depuis bien des années Sundar avait le grand désir de visiter la Palestine, le pays où Christ a vécu, souffert et donné sa vie ; mais il ne put obtenir le passeport nécessaire et dut y renoncer. - Une nuit, dit-il, tandis que je priais, je reçus un appel de Dieu pour l'Angleterre ; dans la méditation, sa volonté devint claire pour moi ; je compris que je devais visiter les contrées appelées chrétiennes et que là aussi j'aurais à rendre mon témoignage.- Ce fut son père qui paya les dépenses de ce premier voyage en Europe.

En février 1920 Sundar arriva à Liverpool, visita Manchester, Birmingham, Oxford où il prêcha dans plusieurs collèges. A Londres, de grandes foules de diverses dénominations vinrent l'entendre; dans l'abbaye de Westminster il s'adressa à 700 clergymen anglicans, parmi lesquels l'archevéque de Canterbury et d'autres évêques. Il parla aussi à Cambridge et dans diverses réunions missionnaires. Invité par la Société des Missions de Paris, il fit un court séjour dans cette ville, puis de retour en Grande-Bretagne, visita l'Irlande et l'Ecosse. En mai il s'embarqua pour l'Amérique, où il rendit son témoignage à New York, Brooklyn, Baltimore, Philadelphie, Chicago et San Francisco. Il combattit l'influence de certains Hindous bouddhistes qui gagnaient de nombreux adeptes à la religion des Indes.

L'activité incessante, bruyante et trépidante des grandes cités américaines contrastait avec la nature calme, orientale et contemplative de ce grand ami de la solitude. Lorsque les Américains, fiers de leur civilisation, pensaient provoquer par leurs splendides inventions modernes l'admiration du Sadhou, il leur fit comprendre, sans dissimuler ses impressions, que l'oeuvre de Dieu l'intéressait davantage que l'oeuvre des hommes. Déçus, ils déclarèrent qu'étant seulement de passage au milieu d'eux, il ne pouvait en quelques jours apprendre à connaître et à apprécier le génie américain. A quoi le Sadhou répondit, dans son langage imagé :- Il faut beaucoup de temps, en botanique, pour étudier la structure d'une fleur et ses divers organes, mais il ne faut qu'un instant pour en sentir l'odeur.- Il ne parlait pas pour plaire aux hommes, mais selon la vérité et dans l'amour. Il disait :- Le Christ aurait dit ici : « Venez à moi, vous tous qui êtes chargés d'or, et je vous soulagerai. » Il avait pensé que la connaissance du Christ aurait transformé les nations de l'Occident, mais en voyant partout l'amour de l'argent le luxe, le confort, la recherche du plaisir et de toutes les choses que le monde peut donner, il était profondément déçu. Même chez ceux qui se disaient chrétiens, il trouva beaucoup d'activité, de bruit et d'agitation, mais peu de temps donné à Dieu dans la méditation. Les hommes de l'Occident étaient si occupés qu'ils avaient laissé la prière de côté dans leur vie journalière. Il trouva, comme on le lui avait dit avant son départ, que les pays soi-disant chrétiens s'étaient corrompus et n'étaient plus chrétiens dans leur ensemble. Il rencontra cependant bien des serviteurs fidèles de Christ et, à son retour, il dit à ses amis hindous que s'il avait décelé en Occident beaucoup de matérialisme, l'Inde avait encore besoin de missionnaires venus d'Europe et d'Amérique. L'intérêt que suscitent les missions est la force et la vie des Eglises chrétiennes de l'Occident, disait-il.

En juillet, il s'embarqua pour l'Australie. Un orage, pendant la traversée, lui suggéra l'image suivante :- Chaque matin nous recevions des nouvelles. Un jour, arrêt soudain, silence complet ! je demandai pourquoi:- C'est à cause de la tempête ; des perturbations atmosphériques empêchent la T.S.F. d'envoyer les messages.- Ainsi quelquefois, à cause du péché, l'atmosphère spirituelle est troublée et notre contact avec Dieu est interrompu. Cette tempête doit cesser, mais Jésus seul peut la calmer. Il peut parler avec autorité au vent et à la mer pour les apaiser. Quand tout est calme intérieurement, nous entendons sa voix, et nous avons la joie de sa présence dans nos coeurs. Sydney, Melbourne, Perth, Adélaïde, Freemantle reçurent la visite du Sadhou. Partout et toujours son influence bienfaisante unissait entre elles les diverses communautés chrétiennes.- A quelle Eglise appartenez-vous ? lui demandait-on souvent.- A aucune, j'appartiens à Christ, cela me suffit, et dans un sens, je suis de toutes les Eglises où se trouvent de vrais chrétiens. je ne crois pas aux unions obtenues par des moyens humains; l'union extérieure n'est d'aucune utilité. Ceux-là seuls qui sont unis en Christ, qui sont un en lui, seront unis dans le ciel. Comment les chrétiens qui ne peuvent vivre en bonne harmonie durant les courtes années de leur vie terrestre, pourraient-ils passer toute l'éternité ensemble dans le ciel ?

Après des mois d'une activité incessante, Sundar se retrouva avec joie à Sabathou, et passa quelques mois dans la tranquillité avant de reprendre, au printemps 1920, son travail au Tibet. Il avait rendu témoignage dans de nombreux pays, proclamant l'Évangile dans des églises bondées, entouré d'une foule enthousiaste. Maintenant il allait reprendre ses voyages dans des contrées solitaires et proclamer ce même Evangile dans des villes et des villages hostiles à son message. En 1922, il accepta les nombreuses invitations venues d'Europe et put enfin réaliser son désir passionné de visiter la Palestine. Là, il vécut dans la présence même de Jésus ; il le sentait avec lui partout, son âme débordait de joie et de reconnaissance en parcourant ces contrées où son Sauveur avait travaillé et souffert.

En visitant le pays sacré, la Bible fut pour lui comme illuminée et lui devint plus chère que jamais. Ce qui choque un esprit sensible : la foule des touristes, les affiches, le bruit des autos, la rivalité des sectes religieuses, tout le trafic et le vulgaire de la vie humaine, ne semble pas avoir produit sur lui une impression pénible. Et cela, sans doute, parce qu'il vivait en esprit si entièrement en communion avec Christ qu'il était conscient de sa présence.

Dans le temple de Jérusalem, il lui semblait percevoir les paroles du Christ : « je suis venu afin que vous ayez la vie et que vous l'ayez en abondance ». Il croyait l'entendre lui dire comme à ses disciples d'autrefois : « La paix soit avec vous ; comme mon Père m'a envoyé, Moi aussi je vous envoie ». Il savait qu'à son tour il avait et-' envoyé pour servir de témoin dans le monde. Bethléem, Emmaüs, Béthanie, le mont des Oliviers, le Saint-Sépulcre, le chemin du Calvaire, Nazareth, Capernaüm, le lac de Galilée, tout était pour lui un commentaire vivant des évangiles, tout lui parlait de la vie du Sauveur, du grand drame de la Croix et de la résurrection. Le puits de Jacob, auprès duquel il s'était arrêté, lui suggère la pensée suivante :- « Ceux qui boiront de cette eau auront encore soif, a dit le Christ, mais celui qui boira de l'eau vive que je lui donnerai n'aura jamais soif. » C'est vrai. J'ai bu l'eau de ce puits fameux, pourtant le soir ma soif n'était pas étanchée ; mais voilà plus de seize ans que Christ m'a donné son eau vive, et je puis dire en toute humilité et reconnaissance que mon àme a été désaltérée à jamais. Il est en vérité la source de la vie.

- Sur les rives du Jourdain, dit-il encore, je contemplai l'eau fraîche et douce qui se déverse continuellement dans la mer Morte qui, elle, reste morte parce qu'elle garde cette eau vive sans la répandre au loin. De même il y a des églises mourantes, des chrétiens morts, parce qu'ils gardent pour eux l'eau vive que donne Jésus. Ne soyez pas semblables à la mer Morte. Faites part aux autres des bénédictions que vous avez reçues ; employez au service de Christ vos dons, votre instruction, votre argent, alors vous recevrez des bénédictions toujours plus grandes. J'ai fait l'expérience que si nous faisons quelque chose pour Christ, nous recevons mille fois plus. Soyez toujours prêts à travailler pour votre Sauveur et à aider votre prochain.

De la Palestine, le Sadhou alla au Caire où il prêcha dans l'église copte. Une semaine après il débarquait à Marseille et, de là, partait directement pour la Suisse. Le lundi 27 février 1922, le Sadhou arrivait à Lausanne.

------------------------------------------------------------------------------------------ (*) Citation du livre de Mrs Parker.

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