À LA RECHERCHE DE LA PAIX
Mon âme a soif de Dieu, du Dieu vivant. Ps. 42. 3.
C'est au sein de cette tribu religieuse
et guerrière que naquit, le 3 septembre 1889, le Sadhou Sundar
Singh.
Sa famille habitait une demeure ancestrale
à Rampour, village sikh dans l'État de Patiala, au nord du
Punjab. Son père, Sardar Sher Singh, était un Sikh
de la classe dirigeante et instruite ; il possédait une
grande fortune et était considéré par les
villageois des environs comme leur chef. Sundar, le cadet de la
famille, fut élevé, comme ses deux frères
et sa soeur, au milieu du luxe et de tout le confort possibles.
Durant la saison chaude, la famille passait en général
l'été à Simla, dans l'Himalaya. La vie domestique
n'était point encore atteinte par la civilisation moderne,
et les anciennes traditions religieuses étaient
strictement observées. Une noble dignité régnait
dans ce milieu.
La mère de Sundar était
une femme remarquable par la pureté de son caractère et sa
grande piété.
Remplissant fidèlement ses devoirs religieux, certains
jours elle jeûnait afin que ses prières fussent plus
dignes de son Dieu ; toute son âme se répandait
en dévotions. Jamais agitée ou surmenée, ses occupations
de maîtresse de maison étaient tout imprégnées
de son attitude spirituelle.
Elle avait une affection toute spéciale
pour son fils cadet et lui apprit tout ce qu'un jeune garçon doit
apprendre de sa mère : être pur et véridique,
brave et généreux, serviable, courtois envers chacun, et
persévérant dans sa piété. Elle lui
transmit très tôt son grand désir de faire de lui un
« Sadhou », un être
mis à part pour Dieu. Les Sadhous sont des hommes saints
qui, abandonnant toute possession terrestre,
vont de lieu en lieu, vêtus d'une longue robe jaune safran,
méditant, prêchant, enseignant, respectés de tous
et vivant de la charité qui leur est offerte.
Sundar était constamment auprès
de sa mère ; elle lui disait souvent :- il ne faut pas que tu sois
insouciant et mondain comme tes frères, il faut que tu
aimes la religion et que tu cherches la paix de l'âme
et un jour tu deviendras un Sadhou.
C'est elle qui lui apprit qu'il y a
une paix du coeur « Shanti » qui est le plus précieux
trésor du monde,
et qu'on ne peut l'acquérir qu'en la recherchant avec
persévérance. C'est elle qui a éveillé en lui
ce désir
intense de trouver la perle de grand prix. Il en vint très
tôt à considérer cette vie de Sadhou comme la seule
digne d'être vécue.
Voici ce qu'il dit lui-même sur
son enfance et au sujet de sa mère pour laquelle il a toujours gardé
une
grande vénération et une profonde affection :
- je suis né dans une famille sikh
où l'hindouisme était la base de l'éducation. Ma mère
était pour moi
une vivante image de cet enseignement. Elle se levait avant la
lumière du jour et, son bain pris, avant de
faire quoi que ce soit d'autre, lisait les livres sacrés
hindous. J'ai été influencé plus que le reste de la
famille
par sa vie pure et son exemple. De bonne heure elle a imprimé
en moi la notion que mon premier devoir en
me levant, avant de prendre aucun aliment, était de prier
Dieu afin d'obtenir sa bénédiction et la nourriture
spirituelle de mon âme. J'insistais parfois pour avoir
d'abord mon déjeuner, mais ma mère, avec amour ou
sévérité a fermement fixé dans mon
esprit cette nécessité de chercher Dieu en tout premier lieu.
Bien que
je fusse trop jeune alors pour apprécier la valeur de
cette habitude, j'en compris l'importance dans la suite
et je remercie Dieu pour l'éducation et l'exemple que
j'ai reçus dans ce domaine.
Ce témoignage rendu par son fils
à une mère hindoue est bien fait pour remplir de confusion
plus d'une
mère chrétienne, qui n'a pas compris l'importance
qu'il y a à inculquer à ses enfants l'habitude de lire la
parole de Dieu et de consacrer quelques instants à la
prière avant de commencer la journée. Sundar Singh
est un exemple frappant de l'influence profonde que peut exercer
cette sainte obligation pour l'orientation
de toute la vie.
- je ne pourrai jamais être assez reconnaissant
à Dieu, dit-il, de m'avoir donné une telle mère, qui
dans
mon enfance a imprimé en moi l'amour et la crainte de
Dieu. Elle a été pour moi la meilleure école de
théologie et elle me prépara, autant que ce fut
en son pouvoir, à consacrer ma vie a Dieu.
Il déclarait avec une profonde
émotion que sa mère seule, par ses prières quand il
était enfant, l'a gardé
près de Dieu. Elle a été inconsciemment
l'instrument pour le conduire à Jésus. Si elle avait vécu
plus
longtemps, il était convaincu qu'elle serait arrivée
à la pleine connaissance du Christ comme lui-même. Il ne
pouvait, dans sa pensée, séparer sa mère
bien-aimée de l'amour du Sauveur. Comme pour la plupart des
hommes et des femmes de profonde conviction, le fondement de
la foi de Sundar a été posé dans
l'enfance. Aucune base de vie religieuse n'est aussi solide que
celle-là.
- je crois, dira-t-il plus tard, que tout
homme religieux a eu une mère religieuse. (Cette vaste
généralisation, provenant de sa propre expérience,
n'est pas loin de la vérité.)
Elle instruisit son fils pendant sa petite
enfance, puis le remit à un maître, un « Pundit »
et a un Sadhou
sikh. L'un et l'autre venaient deux ou trois heures par jour
l'initier à la connaissance des écrits sacrés.
Fort jeune il apprit à lire, et sut
par coeur une grande partie du Granth, non pas en ourdou, sa langue
maternelle, mais en sanscrit. Celui-ci était pour les
Sikhs ce qu'est le latin pour nos pays d'Europe.
À mesure que Sundar grandissait,
s'éveillait en lui une soif de plus en plus intense de trouver cette
paix
« Shanti » dont sa mère lui avait tant parlé,
et qui est à la fois la paix du coeur et la pleine satisfaction
de
l'âme. Il ne se souciait guère des jeux des garçons
de son âge et cherchait à apaiser le désir ardent de
son
coeur en étudiant les livres saints.- Souvent tard dans
la nuit, dit-il, je lisais, non seulement les livres sacrés
des Sikhs, mais encore ceux de la religion hindoue et aussi le
Coran des musulmans, dans l'espoir de
trouver la paix. Mon père m'en blâmait.- C'est nuisible
pour ta santé, me disait-il. Les garçons de ton âge
ne pensent qu'à jouer. Pourquoi cette manie te possède-t-elle
si jeune ? Tu auras bien le temps de songer à
ces choses plus tard dans la vie. C'est sans doute ta mère
et le Sadhou qui t'ont inculqué ces idées
- Mes maîtres, dira Sundar, m'enseignèrent
avec beaucoup de sympathie et me mirent au bénéfice de
leurs expériences, mais il n'y avait pas en eux-mêmes
la véritable bénédiction à laquelle mon âme
aspirait.
Comment auraient-ils pu m'aider à la recevoir ? J'exposais
fréquemment au « pundit » mes difficultés
spirituelles, mais il me répondait qu'en grandissant j'acquerrais
plus d'expérience et que ces difficultés
s'évanouiraient d'elles-mêmes.- Ne vous tourmentez
pas au sujet de ces choses, suivez le conseil de votre
père.- Mais, lui dis-je, supposez que je ne vive pas jusqu'à
l'âge adulte, alors qu'arrivera-t-il ? Si un garçon
affamé demande du pain, vous ne lui direz pas : Va, amuse-toi
et lorsque tu seras grand et que tu pourras
comprendre le sens réel de la faim, alors tu recevras
du pain ! Sera-t-il satisfait en jouant, s'il a faim, et
pourra-t-il attendre d'être grand pour recevoir la nourriture
dont il a besoin ? Il veut manger maintenant : je
suis affamé du pain spirituel, je le veux maintenant.
Si vous ne l'avez pas reçu vous-mêmes, je vous en
prie, dites-moi où et comment je peux le recevoir.-
Le « pundit » répondait :- Vous ne pouvez encore
comprendre ces choses profondes et spirituelles, un temps prolongé
est essentiel. Pourquoi avezvous tant
de hâte ? Si cette soif de votre âme n'est pas
satisfaite dans cette vie, elle le sera dans votre prochaine
réincarnation.- Il s'évadait ainsi et mon problème
n'était pas résolu.
Le Sadhou, lui aussi, ne me donnait qu'une
réponse évasive.- Ne vous tourmentez pas, il est inutile
de
perdre votre temps à résoudre ces questions ; le
temps viendra où toutes vos difficultés s'évanouiront.
- J'étais désappointé
et ne trouvais nulle part cette nourriture spirituelle dont j'étais
affamé.
Dès mes plus jeunes années,
ma mère m'enseigna à m'abstenir de toutes les formes du péché
et à venir
en aide à tous ceux qui étaient dans le malheur.
Un jour mon père me donna quelque
argent de poche. je courus au bazar pour le dépenser. En chemin,
je rencontrai une très vieille femme pauvre, qui avait
froid et faim ; elle me demanda l'aumône et je
ressentis une telle pitié pour elle que je lui donnai
tout mon argent. En rentrant à la maison, je dis à mon
père qu'il devait procurer à cette pauvre femme
une bonne couverture, sinon elle mourrait de froid. Il me
renvoya, expliquant qu'il l'avait déjà secourue
et que c'était le tour des voisins de faire leur part.
Quand je vis qu'il refusait de lui venir
en aide, Je pris cinq roupies dans son porte-monnaie dans
l'intention d'acheter la couverture. J'eus d'abord une grande
satisfaction en pensant que je pourrais secourir
cette femme, mais bientôt la pensée que j'étais
un voleur me tourmenta. Le reproche de ma conscience
augmenta encore lorsque le soir mon père, découvrant
qu'il lui manquait cinq roupies, me demanda si je les
avais prises et que je le niai. J'échappai au châtiment,
mais ma conscience me tourmenta toute la nuit,
m'empêchant de dormir. Le matin de bonne heure, j'allai
vers mon père et lui confessai mon vol et mon
mensonge en lui rendant l'argent. Le fardeau qui pesait sur mon
coeur tomba aussitôt et mon père, au lieu
de me punir, me prit dans ses bras et me dit avec des larmes
dans les yeux :- Mon fils, j'ai toujours eu
confiance en toi et maintenant j'ai la preuve que je ne me suis
pas trompé.- Non seulement il me pardonna
et me donna les cinq roupies pour la pauvre femme, mais il en
ajouta une pour moi.
Dans la suite il ne refusa jamais ce
que je lui demandai et, de mon côté, je résolus de
ne plus faire
quelque chose contre ma conscience ou contre la volonté
de mes parents.
Le moment vint où Sundar fut envoyé
pour son éducation dans l'école de la Mission presbytérienne
américaine. Là, il subit une nouvelle influence,
car chaque jour il entendait la lecture de la Bible des
chrétiens. Son sang sikh se réveilla et la colère
bouillonnait en lui. Pourquoi devait-il écouter pareille chose
?- je suis Sikh et c'est le Granth qui est notre livre saint
!- Tout son être se rebella. Il acheta un Nouveau
Testament, mais tout ce qu'il y trouva ne fit qu'augmenter sa
haine du christianisme.
Il avait quatorze ans lorsqu'il eut
la grande douleur de perdre sa mère si tendrement aimée.
Peu après
son frère aîné mourut aussi. Ce fut un grand
chagrin dans sa vie.- La pensée que je ne les reverrais jamais,
dit-il, me jeta dans le désespoir, car je ne pouvais savoir
sous quelle forme ils renaîtraient, ni deviner ce que
je serais moi-même dans une existence future. Dans la religion
hindoue la seule consolation pour un coeur
brisé comme le mien, était de me soumettre et de
m'incliner devant l'inexorable loi du Karma *.
Après la mort de sa mère, le
désir de trouver la vérité qui repose derrière
le voile de l'existence humaine
devint de plus en plus impérieux.- Les choses de ce monde
ne peuvent me satisfaire, disait-il, je dois
trouver Dieu à tout prix.
À côté de ses études,
il apprit à pratiquer le « Yoga » il réussit
à entrer dans un état de transe qui lui
procurait un soulagement passager, mais après lequel il
était plus désemparé qu'auparavant. D'une part il
constatait la totale impuissance de sa religion ; d'autre part
il estimait le christianisme faux et s'y opposait de
toutes ses forces. Son père voyant sa haine devenir de
plus en plus violente, décida de l'envoyer dans une
école du gouvernement plus éloignée de Rampour,
mais la longue marche, par une chaleur suffocante, fut
plus qu'il ne put supporter et il dut revenir à sa première
école et réentendre lire la Bible jour après jour.
Son fanatisme le mit bientôt à la tête des
adversaires du christianisme.- Je haïssais le Christ, je pensais que
les missionnaires avaient une religion fausse et qu'ils étaient
venus pour corrompre notre peuple. Je me
rappelle le jour où je leur jetai des pierres et demandai
aux serviteurs de mon père d'en faire autant.
Malgré la haine féroce
de Sundar, le levain de l'Évangile pénétrait peu à
peu en lui sans qu'il s'en doutât.
L'enseignement sur l'amour de Dieu l'attirait malgré lui.
Le récit de la Croix l'impressionna vivement.
Certains le mettaient en garde contre la Bible :- Ne lisez pas
ce livre, lui disait-on, car il y a en lui un
pouvoir magique qui ferait de vous un chrétien.- Il sentait
une mystérieuse puissance se dégager, comme
une attraction divine, de la Parole de Dieu, mais il ne voulait
pas s'y abandonner.- Nous sommes Sikhs,
c'est le Granth qui est notre livre sacré ; il peut y
avoir de bonnes choses dans la Bible, mais elle est contre
notre religion.
Cependant dans les profondeurs de son
âme tourmentée sonnait l'appel du Christ : « Venez à
moi, vous
tous qui êtes fatigués et chargés, et vous
trouverez le repos de vos âmes. » Ce repos de l'âme,
n'était-ce
pas là ce qu'il désirait si ardemment ? Une autre
parole du Christ avait pénétré profondément
en lui : «
Dieu a tant aimé le monde qu'Il a donné son Fils
unique, afin que quiconque croit en lui ne périsse point,
mais qu'il ait la vie éternelle. »
Ces affirmations revenaient constamment
à son esprit, sans qu'il en pût saisir toute la signification.
Personne, dans la religion hindoue, n'avait pu dire : «
Je vous donnerai le repos » et moins encore : « je
vous donnerai la vie éternelle ». Comment Jésus,
un simple homme pourrait-il le faire ? Lui qui n'avait pu
se sauver lui-même, pouvait-il sauver les autres ? L'hindouisme
est la plus belle religion du monde, pensait
Sundar ; puisqu'il ne peut me donner ce repos, comment une autre
religion pourrait-elle le faire ?
- J'étais si fermement ancré
dans mon opinion, et mon trouble intérieur était si grand
qu'un jour- c'était
le 16 décembre 1904- je déchirai la Bible et la
jetai au feu. Mon père qui était présent me dit- Pourquoi,
mon fils, fais-tu une chose aussi stupide ?- Parce que cette
religion de l'Occident est fausse et que nous
devons la détruire.
Je pensais avoir fait une bonne action
en brûlant la Bible ; cependant le trouble de mon coeur ne fit
qu'augmenter et j'étais tourmenté par le doute
et l'inquiétude. Où était la vérité
? Y a-t-il un Dieu ?
Jésus-Christ n'était qu'un homme, mort il y a dix-neuf
cents ans ! Pendant deux jours je fus très
malheureux. je ne pus supporter cette angoisse de mon âme
et pris la résolution de mettre fin à mes jours :
si je ne pouvais trouver la vérité dans cette vie,
je l'obtiendrais dans la vie future.
Sundar n'avait alors que quinze ans,
mais un jeune Hindou de quinze ans est beaucoup plus développé
qu'un Européen du même âge, et le suicide
n'est pas condamné aux Indes comme il l'est chez nous. Sundar
alla vers son père :- je viens vous dire adieu, je serais
mort demain matin.- Pourquoi veux-tu te tuer ?-
Parce que la religion hindoue ne peut me satisfaire, ni la richesse,
ni le confort, ni aucune possession, ni
votre argent. Tout cela peut satisfaire les besoins de mon corps,
mais pas les aspirations de mon âme. J'en
ai assez de cette misérable vie, je veux y mettre fin.
Sundar fit soigneusement ses plans. La
ligne du chemin de fer traversait l'extrémité de leur propriété
et
chaque matin à 5 heures l'express y passait. S'il ne trouvait
pas la réponse qu'il attendait, il se jetterait sous
le train.
Sundar s'éveilla à 3 heures
du matin. C'était le 18 décembre. Il prit un bain froid,
puis il se mit à prier :-
S'il y a un Dieu, qu'il veuille se révéler à
moi et me montrer le chemin du salut, afin que le trouble de mon
coeur se dissipe et je le servirai toute ma vie.- J'étais
fermement résolu, si ma prière n'obtenait pas de
réponse, à aller, avant que le jour fût levé,
mettre ma tête sur la ligne du chemin de fer au passage du train.
je restai en prière une heure et demie environ, attendant
et espérant voir apparaître Krishna ou Bouddha,
ou quelque autre saint de la religion hindoue, mais ils n'apparurent
pas. je n'avais plus qu'une demi-heure
devant moi. je priai plus instamment encore :- 0 Dieu ! si tu
existes, révèle-toi à moi!- Soudain une grande
lueur illumina ma chambre, je crus que la maison était
en feu, j'ouvris ma porte, mais au dehors tout était
sombre.
Alors il se passa quelque chose que je
n'avais jamais attendu : la chambre fut remplie d'une merveilleuse
lumière qui prit la forme d'un globe et je vis un homme
glorieux debout au centre de cette lumière. Ce
n'était pas Bouddha, ni Krishna, c'était le Christ.
Durant toute l'éternité, je n'oublierai pas sa face glorieuse,
si pleine d'amour, ni les quelques mots qu'il prononça
: « Pourquoi me persécutes-tu ? je mourus pour toi,
pour toi j'ai donné ma vie, je suis le Sauveur du monde.
»
Ces mots furent inscrits comme en lettres
de feu sur mon coeur. Le Christ que je croyais mort était
vivant devant moi. je vis la marque des clous ; j'avais été
son ennemi, mais je tombai à genoux devant lui
et l'adorai. Là, mon coeur fut rempli d'une inexprimable
joie et d'une paix merveilleuse ; ma vie fut
entièrement transformée ; le vieux Sundar mourut
et un nouveau Sundar Singh naquit, pour servir le Christ.
Lorsque je me relevai, rempli de joie,
tout avait disparu. Après quelques instants, j'allai vers mon père
encore endormi ; je lui racontai la vision que je venais d'avoir
et lui déclarai que j'étais chrétien.
– Comment, me dit-il, il y a deux jours seulement tu brûlais
la Bible et tu dis que tu es un chrétien ? Tu
haïssais le Christ et maintenant tu veux le servir, comment
cela se peut-il ?- Parce que j'ai vu le Christ
vivant et j'ai entendu sa voix. je veux et je dois lui consacrer
ma vie.
Cette apparition du Christ a été le point tournant
de la vie de Sundar Singh. Ce qu'aucune religion n'avait
pu lui apporter, malgré des années d'attentes et
persévérantes recherches, le Christ, en un instant, le lui
donna. Il répondit à ses ferventes prières
en emplissant son âme de cette paix merveilleuse si profondément
désirée, que nulle épreuve ou persécution
ne pourra désormais lui ravir.
L'obscurité a fait place à
l'aube d'un jour nouveau et glorieux.
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*Loi tyrannique à la base de la doctrine de la réincarnation
: toutes nos actions, bonnes ou mauvaises, sont des germes qui nous
obligent sans cesse à renaître et à recommencer
cette vie d'illusion
EPREUVES ET PERSECUTIONS
Il m'a été fait la grâce, par
rapport à Christ, non seulement de croire en lui,
mais encore de souffrir pour lui. Saint Paul.
Sundar Singh regarde sa conversion comme
une chose absolument surnaturelle, un miracle dans toute
l'étendue du terme, un pur don de la grâce de Dieu.
- La religion hindoue, dit-il, m'enseigna
qu'il y a un ciel, et je fis tous mes efforts pour m'affranchir du
péché et faire en chaque chose, la volonté
de Dieu. Combien j'ai étudié nos livres sacrés, combien
j'ai lutté,
prié, cherché la paix dans mon âme ! J'essayais
de me sauver moi-même par mes bonnes oeuvres, ce qui
est impossible. J'étais fier de la religion et de la philosophie
hindoues, mais la philosophie n'a jamais sauvé
personne. En désespoir de cause, je suppliai Dieu de me
montrer le chemin du salut. En réponse à ma
prière, je vis le Seigneur et il me révéla
ce que J'étais moi-même.
Sundar n'a Jamais douté un instant de la réalité
de la vision divine : ce n'était pas une imagination ni un
rêve. On ne rêve pas lorsqu'on vient de prendre un
bain froid ! D'autres ont pu la mettre en doute, la tenir
pour une hallucination. Pour lui ce fut une inébranlable
certitude. De ses yeux il a vu le Christ vivant ; de
ses oreilles il l'a entendu lui parler dans sa propre langue,
l'hindoustani. A ce moment-là il est devenu un
homme nouveau, une nouvelle créature en Jésus-Christ.
Auparavant il haïssait le Christ, maintenant il est
prêt à souffrir et même à donner sa
vie pour lui. Un ennemi de Jésus a été changé
en un apôtre de
l'Évangile. « Les choses anciennes sont passées,
voici toutes choses sont devenues nouvelles. »
Le trouble de son coeur s'est évanoui
comme un songe.
- Là, dira-t-il, Christ m'a donné
sa paix, cette paix « qui surpasse toute intelligence », non
pour quelques
instants seulement, mais pour toujours. Il n'y a pas de mots
dans le langage humain pour décrire la joie
incomparable qui a rempli mon coeur, mais je puis témoigner
de sa réalité : c'est le ciel sur la terre.
Sundar séparait nettement, des
fréquentes visions qui venaient à lui dans la méditation
et la
contemplation intérieure, cette apparition du Christ,
tout à fait inattendue. Il déclare absolue la différence
entre une vision de l'esprit et cette apparition.- J'ai eu de
nombreuses visions pendant mes extases, mais
Jésus, je ne l'ai vu qu'une fois.
Sundar ne s'est jamais prévalu
de cette manifestation du Christ comme d'un sujet de gloire personnelle
;
il s'humiliait du fond du coeur dans le sentiment de sa propre
indignité et de sa rébellion passée. Il avait haï
le Christ, combattu la foi chrétienne, brûlé
la Bible devant tous et cependant, tandis qu'il était animé
de cet
esprit de haine, il avait été conquis par l'amour
qui pardonne.- Quand Christ se révéla à moi, alors
je vis
que j'étais un pécheur et qu'il était le
Sauveur.
Il fit l'expérience fondamentale
de l'entière grâce de Dieu révélée par
la mort de Christ sur la Croix, et
de l'inutilité des efforts propres. Par là, il
appartient à la lignée des saint Paul et des Luther, et de
toute âme
pour laquelle la question du péché et de la grâce
est le problème central de la vie.
- Il y a des heureux, disait-il, qui n'ont
jamais péché comme moi et ne sont pas ouvertement opposés
a
Jésus-Christ ; il y en a d'autres qui ont vécu
avec Christ depuis leur enfance et n'ont pas besoin d'une
preuve extérieure de ce qu'ils ont reçu intérieurement.
En toute humilité Sundar se plaçait
aux pieds du dernier des disciples du Christ ; il se considérait
comme
indigne de l'amour que Dieu avait manifesté envers lui.
- Une révélation extérieure
n'est pas essentielle, dit-il ; l'expérience de la grâce de
Dieu est tout aussi
réelle sans être accompagnée de miracles.
« Heureux ceux qui n'ont pas vu et qui ont cru. »- Mais Sundar
était convaincu que, dans ses circonstances personnelles,
il n'aurait jamais trouve le salut sans cette
révélation directe. Comme Thomas, il a été
incrédule et très lent à croire,- c'est pourquoi,
dit-il, je serai à la
dernière place dans le royaume de Dieu.
La pensée de son péché
le rendait profondément repentant.- Ces mains, dira-t-il avec humiliation,
ont
brûlé la Parole de Dieu et l'ont réduite
en cendres. Ce sont les mains d'un pécheur que seul l'amour de Dieu
a racheté ; l'unique fondement de mon pardon est la croix
de Jésus-Christ, mon Seigneur. Cela reste
comme une écharde dans ma chair d'avoir été
un ennemi de Jésus ; cette pensée m'humilie jusque dans la
poussière.- Et parce qu'il était si certain de
l'amour de Christ et de son pardon, il trouvait difficile de se
pardonner à lui-même.
Il nous semble l'entendre dire avec
saint Paul : « je ne suis pas digne d'être appelé apôtre,
parce que j'ai
persécuté l'Église de Dieu », ou encore
: « Jésus-Christ est venu dans le monde pour sauver les pécheurs,
dont je suis le premier. »
Désormais Sundar Singh était
uni à Christ pour toujours, par un lien indissoluble. « Loin
de moi la
pensée de me glorifier d'autre chose que de la Croix de
notre Seigneur Jésus-Christ, par qui le monde est
crucifié pour moi, comme je le suis pour le monde. »
- Après ma conversion, dit-il, je passai
trois jours en prière dans un endroit solitaire. pour demander
pardon et confesser mon péché. je disais à
Dieu : Pardonne-moi, car J'étais aveugle spirituellement, je ne
comprenais pas ta Parole. Là, j'ai reçu l'assurance
du pardon.- « Tu étais aveugle, maintenant j'ai ouvert
tes yeux et tu iras pour rendre témoignage. »- Après
cela j'annonçai à ma famille ce que j'avais vu et que
j'étais chrétien. Les gens pensèrent que
j'étais devenu fou ; d'autres que j'avais rêvé ; mais
lorsqu'ils virent
qu'ils ne pouvaient m'ébranler, ils commencèrent
à me persécuter ; cependant ce n'était rien comparé
au
misérable état dans lequel J'étais auparavant.
Dans ce même temps trois jeunes
garçons voulurent devenir chrétiens ; mais deux d'entre eux
y
renoncèrent a cause des punitions que leurs parents leur
infligèrent. Le troisième fut baptisé ; puis son père,
prétextant une grave maladie de sa mère, le fit
revenir chez lui où il mourut peu après, sans doute
empoisonné.
Pendant neuf mois, Sundar ne quitta
pas la maison paternelle. Il dut subir l'incompréhension,
l'opposition et même la persécution.
Tout d'abord son père lui parla
avec tendresse, le suppliant de ne pas déshonorer sa famille. Comment
lui, un Sikh, d'une branche fière et influente, pouvait-il
faire partie de cette secte de chrétiens et renoncer à
l'avenir qui s'ouvrait devant lui : honneurs, richesses et brillante
situation ? Ce fut pour Sundar une grande
tentation, car l'idée qu'il attirait le blâme sur
ceux qu'il aimait le bouleversait. Mais il entendait la voix de
Jésus : « Celui qui aime son père ou sa mère
plus que moi n'est pas digne de moi. » Son coeur se déchira
en voyant les larmes de son père ; pourtant il ne pouvait
se soustraire à la vision d'En haut et à l'appel du
Christ.
Un oncle, haut placé et très
riche, tenta à son tour de le détourner de sa foi. Il le
conduisit un jour dans
sa splendide demeure et le fit entrer avec lui dans un caveau
dont il referma la porte. Ouvrant un grand
coffre-fort, il montra à son neveu ébloui, des
richesses inouïes, des bijoux de grand prix, des pierres
précieuses, des billets de banque, de l'or et de l'argent
en quantité.- Tout cela est à toi si tu renonces à
devenir chrétien et si tu ne déshonores pas notre
nom !
Devant tant de splendeurs, Sundar se
sentit un instant ébranlé, ému aussi des humbles supplications
de
son oncle vénéré, mais à ce moment
même son coeur fut rempli d'un tel amour pour le Christ et d'un
sentiment si vif de son approbation, qu'il ne lui fut pas difficile
de repousser la tentation.
Il n'avait alors que quinze ans ; il
savait bien que pour un garçon de son âge, se déclarer
chrétien
représentait une impardonnable offense envers les siens
et que cet acte sapait la très grande autorité de son
père comme chef de famille. Il était seul ; personne
pour le comprendre ou lui donner un conseil ; aucune
sympathie autour de lui, mais une farouche hostilité.
Son propre frère devint son pire ennemi, ses anciens
amis le tourmentèrent et la population du village s'éleva
contre lui avec indignation.
Le directeur de la mission presbytérienne
fut accusé d'exercer une pression sur ses élèves pour
en faire
des chrétiens ; mais Sundar et un ami sikh- qui se convertit
lui aussi à cette époque- certifièrent devant les
magistrats de l'innocence de leur maître. Cependant, à
la suite de toute cette effervescence, plusieurs
chrétiens durent quitter le village et bientôt la
mission elle-même ne fut plus tolérée et dut fermer
ses
portes. Sundar, dont la vie était en danger, comprit qu'il
ne lui était plus possible de rester davantage dans
la maison paternelle. Il quitta Rampour et alla se réfugier
dans l'école de la mission presbytérienne
américaine à Loudhiana. Là, les missionnaires
le reçurent avec une grande bonté mais, dit-il,- je fus surpris
et scandalisé de la manière de vivre de certains
garçons ; car j'avais l'idée que ceux qui suivaient le Christ
devaient tous être des saints ; en ceci je me trompais
tristement. Si je n'avais pas eu cette apparition du
Christ, et reçu de lui une vie nouvelle, je serais peut-être
revenu en arrière et resté un ennemi du
christianisme.
Sundar décida de quitter cette
école et ces chrétiens de nom pour retourner chez lui. Sa
famille, le
voyant revenir, pensa qu'il avait abandonné ses idées
étranges, mais quand ils virent qu'il était plus résolu
que jamais, l'oppression devint plus violente encore.
Tout d'abord on chercha à le persuader
d'être chrétien en secret, sans confesser ouvertement sa foi.
Ce
fut une vraie tentation et bien des raisons plausibles pouvaient
être invoquées : il n'avait pas encore l'âge
légal pour agir de son propre chef ; ne pouvait-il pas
attendre d'être plus âgé ? Mais la voix intérieure
était
péremptoire. « Celui qui me confessera devant les
hommes, je le confesserai aussi devant mon père qui est
dans les cieux. »
Il fut conduit au maharaja qui avait
eu connaissance de son histoire. Il le fit comparaître devant le
«
Durbar », assemblée de l'État, et le somma
d'expliquer sa conduite. On lui offrit de nouveau richesses,
pouvoir, belle situation ; le maharaja fit appel à son
orgueil de race ; n'était-il pas un sikh, un lion, et
voulait-il tomber si bas, jusqu'à devenir un chrétien,
un chien ?
Rien ne put l'ébranler. Il fit
un pas de plus et rompit les derniers liens qui pouvaient encore le rattacher
à
la religion de son peuple : il coupa ses longs cheveux, ce signe
visible des vrais disciples de Nânak, et dont
les Sikhs sont si fiers.
Alors ce courageux témoin de
Jésus fut en proie aux plus cruelles persécutions, traité
comme le dernier
de tous, un hors caste, un intouchable. Il dut prendre sa nourriture
et dormir hors de la maison, comme un
lépreux.
- je me souviens, écrira-t-il plus
tard, du soir où je fus chassé de chez moi ; je n'oublierai
pas cette
première nuit passée sous un arbre, par un temps
froid. je n'avais jamais été soumis à pareille épreuve.
je
songeais : hier encore je vivais entouré de tout le luxe
de ma maison, maintenant je tremble de froid, j'ai
faim et j'ai soif, je suis sans abri, privé de vêtements
chauds et de nourriture. je restai toute la nuit sous cet
arbre et une joie merveilleuse et la paix inondaient mon âme
; je sentais la présence de mon Sauveur. je
tenais mon Nouveau Testament dans ma main et ce fut pour moi
comme ma première nuit passée au ciel.
je comparais avec bonheur mon état présent à
ma vie luxueuse d'autrefois. Au milieu des richesses et du
confort, je n'avais pu trouver la paix ; maintenant la présence
de mon Sauveur changeait la souffrance en
joie. Depuis lors j'ai toujours senti sa présence.
Maudit par son père, il dut définitivement
quitter la maison. Il n'emportait que les minces vêtements
qu'il avait sur lui et juste assez d'argent pour prendre le train
jusqu'à une station voisine. Dans
sa
détresse il se souvint qu'il y avait à Rampour
des chrétiens ayant dû fuir les persécutions et quitter
Rampour; il s'y rendit et se dirigea vers la maison d'un pasteur
hindou et de sa femme. A peine arrivé le
pauvre garçon tomba violemment malade; un docteur appelé
déclara que Sundar avait été empoisonné. Il
était clair que du poison avait été mêlé
à la nourriture préparée avant son départ dans
l'espoir qu'il mourrait
avant d'atteindre le but de son voyage. N'était-il pas
préférable qu'il mourût plutôt que de déshonorer
sa
famille ?
La femme du pasteur ne quitta pas son
chevet. Le docteur ayant déclaré l'état désespéré,
promit de
revenir le lendemain matin pour les funérailles. Sundar
souffrait cruellement, mais malgré son extrême
faiblesse, il était convaincu que Dieu ne le laisserait
pas mourir avant qu'il ait pu faire quelque chose pour
son Sauveur. Il demanda au docteur de lire le récit de
la résurrection de Jésus dans l'Évangile de Marc.
Le
docteur, qui n'était pas chrétien, se moqua de
l'absurdité de cette histoire.
Mais le matin venu, Sundar se sentait
si bien qu'il se leva et sortit au soleil devant la maison. Le
docteur, stupéfait de le retrouver vivant malgré
son pronostic, s'en retourna sans même lui adresser la
parole. (Quelques années plus tard, alors que Sundar travaillait
à Burma, quelqu'un vint à lui :- Me
reconnaissez-vous ?- Oui, dit Sundar, la dernière fois
que je vous ai vu, J'étais aux portes de la mort.- Alors
le docteur lui conta que sa miraculeuse guérison avait
fait sur lui une telle impression, qu'il avait acheté une
Bible et commencé à la lire. Il devint chrétien,
fut baptisé, et entreprit un travail missionnaire à Burma.)
Lorsque Sundar fut rétabli, il
se rendit à Loudhiana auprès de ses amis de la mission américaine.
Ses
parents firent plusieurs essais pour l'enlever de vive force.
La tentative la plus douloureuse pour Sundar fut
celle de son père venu lui adresser un suprême appel.
Il ne put retenir ses larmes en voyant la douleur de
celui-ci qui, ravagé par le chagrin, lui parlait avec
émotion de l'amour de sa mère, du bonheur de la vie de
famille, le suppliant de revenir à eux. Il fallut soutenir
ce combat plus rude encore que la persécution.
Le dernier sacrifice était fait
et Sundar se retrouva seul, dépouillé de tout, renié
des siens, mais uni par
un amour indissoluble à son Sauveur. « Pour son
amour il voulut tout perdre. »
Afin de le soustraire aux attaques perfides
de ses ennemis, on l'envoya à Sabathou, petite localité non
loin de Simla où vivait le Révérend Redman,
un chrétien âgé qui fut pour lui comme un père
et dont la
maison lui était ouverte chaque fois qu'il passait à
Simla.
Le Rév. Redman était directeur
de la Church Missionnary Society. Il l'examina avec soin et fut frappé
de son extraordinaire connaissance de la vie et de l'enseignement
de Jésus et de son expérience personnelle.
Sundar lui dit qu'il était certain que Christ l'avait
appelé à être son témoin, et que baptisé
ou non, il devait
aller prêcher l'Évangile.
Ce fut le dimanche 3 septembre 1905,
à l'âge de seize ans, que Sundar Singh fut baptisé
à Simla par M.
Redman, selon le rite de l'Église anglicane. Le premier
verset du Psaume 23, lu pendant le service divin, fut
comme le mot d'ordre de la vie qu'il allait entreprendre : «
L'Éternel est mon Berger, je ne manquerai de
rien. » Ce Psaume du bon Berger, ainsi que le chapitre
53 d'Esaïe, furent les passages favoris de Sundar.
Ils façonnèrent sa vie.
Dès le lendemain de son baptême,
il retourna à Sabathou, le coeur débordant de joie. Toutes
les luttes
et les souffrances passées s'évanouirent comme
une fumée devant le grand bonheur de porter le nom de
Christ et de lui appartenir pour toujours.
SADHOU
Je regarde toutes choses comme une perte à cause de l'excellence
de la connaissance de Jésus-Christ mon Sauveur,
pour lequel j'ai renoncé à tout. Saint Paul.
- Un jour vous serez un Sadhou, lui avait
dit sa mère, à maintes reprises. Il n'avait jamais perdu
de vue
le désir prophétique de celle qui lui avait appris
à donner à Dieu la première place dans sa vie.
Après sa conversion il avait clairement entendu l'ordre
divin : « Tu me serviras de témoin ». Le moment
était venu d'obéir à cet appel. Ne trouvera-t-il
pas une porte ouverte s'il vient prêcher l'Évangile du Christ
dans une robe de Sadhou tenue pour sacrée aux Indes depuis
un temps immémorial ? Cette robe, symbole
d'une vie ascétique de renoncement au monde et de pauvreté
lui ouvrira sans doute l'entrée de toutes les
castes et même les portes des zénanas.
Sa décision fut prise ; trente-trois
jours après son baptême, le 3 octobre 1905, ce jeune chrétien
de seize
ans revêtit le vêtement jaune safran des saints Sadhous.
Il allait faire de lui un homme voué à une existence
errante de religieux, sans un lieu où reposer sa tête.-
J'ai fait le voeu de, consacrer ma vie entière à Christ
mon Sauveur, et, par sa grâce, je ne le romprai jamais
; le jour où je devins un Sadhou, j'ai revêtu cette
robe pour la vie, et aussi longtemps que cela dépendra
de moi, je ne m'en séparerai pas.
Sundar Singh voulait apporter l'histoire
de Jésus à son peuple de la manière qui lui serait
le plus
accessible, d'une façon toute hindoue. Car une difficulté
résidait pour les Hindous dans le comportement
des chrétiens. En effet, leur costume, leur nourriture,
leurs habitudes de vie, tout était différent et contraire
à la mentalité hindoue. Sundar lui-même avait
considéré autrefois les chrétiens comme des étrangers,
introduisant des coutumes étrangères. Même
après sa conversion il trouva parfois difficile de dominer ses
sentiments vis-à-vis de ceux qu'il avait si longtemps
méprisés ; son sang sikh semblait protester, mais sa
vivante communion avec Christ lui donna la victoire. La discipline
intérieure qu'il sut pratiquer triompha de
cet orgueil de race, si marqué chez les Sikhs, et produisit
en lui cette extraordinaire humilité envers tous les
hommes.
- L'eau de la vie, disait-il, a été
offerte aux âmes assoiffées de l'Inde dans des coupes européennes
et
non dans des vases hindous.- Il illustrait ce fait par le récit
suivant :- J'ai rencontré, lorsque je voyageais
dans le Radjpoutana, un brahmane d'une caste élevée.
Il se hâtait pour atteindre la station ; éprouvé par
la
chaleur il tomba épuisé sur le quai. Le chef de
gare, désireux de lui venir en aide, lui apporta de l'eau dans
une coupe occidentale, en porcelaine ; le brahmane ne voulut
pas y toucher, bien qu'il eût une soif intense.-
je ne puis boire cette eau, dit-il, je préfère
périr de soif ; je ne veux pas perdre ma caste et suis prêt
à
mourir.- Mais lorsque l'eau lui fut offerte dans sa propre coupe
de bronze, il ne fit plus aucune objection et
la but avidement. C'était la même eau, mais versée
dans un vase hindou.
Pieds nus, sans argent, se conformant
à la lettre aux instructions données par Jésus-Christ
à ses
disciples, Sundar Singh ne prit avec lui qu'une couverture et
son Nouveau Testament en ourdou. Il partit de
Sabathou pour aller de village en village, et de ville en ville,
annoncer à son peuple l'amour de Jésus-Christ.
N'était-il pas un témoin vivant de sa grâce
?
Il ne mendiait jamais. Lui, le fils d'un riche et
fier Sikh, dépendait pour sa subsistance de l'aumône qui lui
était librement accordée. S'il avait été
un Sadhou prêchant l'hindouisme, on l'eût traité avec
les plus grands
honneurs, rien ne lui eût manqué ; mais lorsqu'on
découvrait qu'il était chrétien et qu'il annonçait
Jésus, les
portes se fermaient devant lui ; on lui refusait logement et
nourriture. Il devait se contenter, pour vivre, de
quelques fruits sauvages, de racines ou de feuilles, et trouver
un abri dans de sordides caravansérails, dans
des grottes ou encore sous un arbre. Parfois maudit, injurié,
il était chassé et devait chercher un refuge
dans la jungle, malgré le danger des cobras et des léopards.
Pendant les premiers temps il trouva
peu de réponses à son persévérant effort ;
il répandait la bonne
semence dans des terrains durs et pierreux, au milieu de grandes
difficultés et d'épreuves de tous genres,
mais il savait que Christ était avec lui, et il ne se
décourageait jamais.
Il choisit comme premier champ de travail son propre
village. Il parcourut les rues familières de
Rampour, rendant témoignage à la puissance du Sauveur
et parlant à tous du bonheur qu'il avait trouvé en
lui. Les uns l'écoutaient, d'autres se détournaient
avec mépris. Il put cependant pénétrer dans les zénanas
et, dans un village voisin, une dame hindoue réunit chez
elle 60 à 70 femmes des meilleures familles.
Celles-ci, après l'avoir entendu, dirent entre elles :-
Ce qu'il annonce est vrai, nous croyons chacune de ses
paroles, Jésus est vraiment le Sauveur.
Quittant Rampour, Sundar alla d'un lieu à
l'autre, traversant ainsi une grande partie du Béloutchistan, de
l'Afghanistan, et des merveilleuses montagnes du Cachemire. Il
eut beaucoup à endurer dans ce premier
voyage missionnaire ; il affronta le froid, les pluies torrentielles,
la faim, la soif, la fatigue.
Dans la vallée de jalalabad, en
Afghanistan, il fut informé par un homme un peu moins méchant
que ses
compagnons, d'un complot ourdi contre lui pour l'assassiner.
Il écouta l'avertissement et se réfugia pour la
nuit dans le seul endroit possible, un caravansérail plein
de moustiques et de vermine.
Vers le matin, il alluma un feu pour sécher
ses vêtements trempés par la pluie. A ce moment arriva une
troupe de Pathans, tribu musulmane fanatique et cruelle. Au grand
étonnement de Sundar, le chef de la
bande tomba à ses pieds ; il lui expliqua que lui et ses
compagnons avaient eu en effet l'intention de le tuer,
mais ils furent si remplis d'étonnement et de crainte
en voyant que le froid intense de la nuit ne lui avait fait
aucun mal, qu'ils pensèrent qu'Allah l'avait protégé.
Ils lui demandèrent de venir les instruire. Sundar passa
une semaine au milieu de ces hommes farouches, leur parlant de
Jésus-Christ, son protecteur et son ami.
Il quitta Jalalabad, certain que Dieu lui-même
lui avait permis de répandre la bonne semence dans ces
coeurs sauvages, et qu'il saurait la faire germer en son temps.
Sundar revint à Kotgarh, petite
localité près de Simla dans l'Himalaya, à six mille
pieds d'altitude, qui
devint son port d'attache au retour de ses voyages.
C'est là qu'à la fin de 1906, il rencontra
M. Stokes. C'était un riche Américain, ayant abandonné
fortune
et bien-être pour apporter l'Évangile aux Indes
en prenant le chemin du renoncement et de la pauvreté,
cherchant à suivre l'exemple de saint François
d'Assise dont il était un fervent disciple.
Revêtant à son tour la robe de Sadhou,
il se joignit à Sundar, et ils unirent leurs forces pour entreprendre
un périlleux voyage à travers les montagnes et
dans des contrées malsaines. Ils supportèrent de grandes
souffrances. Sundar, épuisé par de fréquents
accès de fièvre et de violents maux d'estomac, tomba un jour
presque inconscient au bord du chemin.- J'étais anxieux
à son sujet, écrit M. Stokes, car nous étions seuls
et le temps était très froid ; la douleur se lisait
sur les traits de Sundar, je savais qu'il ne se plaignait jamais,
et me penchant à son oreille, je lui demandai comment
il se sentait.- je suis très heureux ! Comme il est
doux de souffrir pour l'amour de Christ ! murmura-t-il d'une
voix presque imperceptible, avec un léger
sourire sur son visage émacié.- Cette joie dans
la souffrance s'est manifestée à maintes reprises au travers
de ses épreuves ; elle a été un trait distinctif
de son expérience chrétienne et un des secrets de son
influence.
M. Stokes parvint à conduire Sundar,
non sans peine, jusqu'à la demeure d'un Européen qui les
reçut
avec la plus grande bonté. Cet homme qui n'avait jamais
beaucoup pensé à Dieu et au salut de son âme, fut
si frappé par la sérénité, la foi,
l'amour, la patience de Sundar, qu'il se mit à réfléchir
et, peu après, se
tourna vers le Sauveur de son hôte.
En 1907, les deux amis travaillèrent ensemble
dans l'asile des lépreux à Sabathou, puis à Lahore
dans un
camp de pestiférés où, sans crainte de la
contagion, ils se consacrèrent jour et nuit aux soins des malades
et
des mourants. Ils rassemblèrent aussi, selon les instructions
de l'Évangile, les enfants infirmes, boiteux,
estropiés, aveugles, ou ceux de parents lépreux,
et organisèrent pour eux des camps dans l'air salubre des
montagnes. Ils voyaient Christ au travers d'eux. « ...
J'étais étranger et vous m'avez recueilli... J'étais
malade et vous m'avez visité. » On peut s'imaginer
la joie de ces enfants déshérités d'être au
bénéfice de
tant de soins et d'amour.
Lorsqu'en 1908, M. Stokes partit en vacances
en Amérique, le Sadhou se retrouva seul ; il décida alors
de donner suite à un projet qu'il avait depuis longtemps
dans l'esprit : un voyage à travers le Népal et le
Tibet dont les portes étaient entièrement fermées
à tout travail missionnaire. (*)
De 1909 à 1910, cédant aux sollicitations
de ses amis chrétiens, le Sadhou consentit à faire des études
de
théologie. Il semblait utile qu'il acquît des connaissances
plus vastes en vue d'élargir le cercle de son
influence, limitée à l'évangélisation
des païens, et de l'étendre aux communautés chrétiennes.
Il subit
l'examen de première année et entra d'emblée
en seconde année au collège théologique de Lahore.
Pendant
les vacances il continuait ses campagnes d'évangélisation.
Les études apportèrent peu de chose
à sa piété simple et directe. Il semble au contraire
qu'elles éveillèrent
en lui une certaine aversion pour l'intellectualisme théologique
dont il parlera si souvent dans ses discours.
Là, comme à Loudhiana,
il se sentit étranger parmi les étudiants qui se préparaient
au saint ministère.
Comme Sadhou, le niveau de sa vie spirituelle était bien
supérieur à la leur et ses habitudes religieuses
d'une autre essence que celle de la vie du séminaire ;
aussi passait-il seul dans sa chambre la plus grande
partie de son temps, à part les repas, les cours et les
heures fixées pour la prière. Les étudiants se sentaient
silencieusement condamnés par sa présence, bien
que Sundar fit son possible pour éviter tout ce qui
pouvait être considéré comme un blâme
de sa part ; il attendait humblement de gagner leur confiance et
leur affection, mais il ne semblait point y parvenir.
Un jour, un des étudiants, particulièrement
hostile au Sadhou, le vit assis seul sous son arbre ; il
s'approcha de lui sans être aperçu. A sa grande
surprise il trouva Sundar en larmes, répandant à haute voix
son coeur devant Dieu dans une ardente supplication en faveur
de cet étudiant venu là sans qu'il s'en
doutât. Il priait que, s'il y avait eu un tort de sa part,
Dieu veuille le lui pardonner, et qu'un véritable amour
puisse s'établir entre eux. En entendant cette fervente
prière, le jeune homme fut repris dans sa conscience
; il demanda aussitôt pardon à Sundar et, dès
ce jour, ils devinrent d'intimes amis. C'est cet étudiant
lui-même qui donne ce récit.
Le Sadhou fut profondément malheureux dans
cette école de théologie. Il semblait être comme un
oiseau
de la forêt battant des ailes aux barreaux de sa cage.
Il soupirait après la liberté de Kotgarh, sous le ciel bleu
et dans la solitude des montagnes.
En 1910 il reçut sa licence de
prédicateur dans l'Église anglicane ; mais lorsqu'il comprit
que, ministre
consacré, il ne pourrait pas prêcher dans d'autres
églises, ni annoncer librement l'Évangile partout où
Dieu
le conduirait, il considéra que ces restrictions ne s'accordaient
pas avec sa mission de Sadhou. Aussi après
beaucoup de prières, vit-il clairement qu'il ne devait
se rattacher à aucune organisation extérieure. Il pria
respectueusement l'évêque, qui avait été
spécialement bon pour lui au cours de ses études, de bien
vouloir
lui reprendre sa licence de bachelier en théologie. L'évêque,
comprenant la vocation du Sadhou, accepta sa
démission, mais elle ne l'excluait pas de l'Église
anglicane, à laquelle il appartenait par le baptême. Ses
relations avec ses amis anglicans restèrent aussi cordiales
qu'auparavant.
Dès lors, le Sadhou ne se joignit
jamais à aucune association humaine, si ce n'est l'Église
chrétienne
universelle.
Il disait :- Les rivières prennent leur source
dans les hautes montagnes de l'Himalaya, et se fraient leur
propre chemin en descendant vers la plaine apporter l'eau fraîche
et pure des sommets. C'est l'image d'une
vie chrétienne qui dépend directement du Christ
lui-même, source des eaux vives. Lorsque cette
eau
atteint la plaine, elle se divise en canaux et, par des moyens
artificiels, irrigue les terres desséchées,
entraînant avec elle beaucoup de boue qui en ternit la
pureté. Ces canaux ont leur utilité, mais pour être
constamment alimentés, ils ont besoin de l'eau pure qui
jaillit des hauts sommets.
Sundar reconnaissait qu'une organisation
pouvait être utile pour répandre l'Évangile parmi les
masses,
mais pensait que sa consécration à son Maître
le conduisait dans un chemin dépendant uniquement de
Dieu, individuel et solitaire. Il avait besoin d'une entière
liberté. Il était un jour ici et les jours suivants
ailleurs. Très tôt le matin, avant le lever du soleil,
il partait sans aviser personne, pour un nouveau voyage,
laissant un simple mot disant qu'il avait entendu l'appel de
Dieu, puis il réapparaissait soudainement, on ne
savait d'où.
Libéré de tout lien ecclésiastique,
il continua à rendre son témoignage comme Sadhou, annonçant
l'Évangile partout où il allait ; nul ne le rencontrait
sans apprendre que Jésus était venu dans le monde pour
sauver les pécheurs.
Le Sadhou redoutait par-dessus tout une
vie absorbée par une trop grande activité, ne laissant point
de
temps pour la prière. Il aimait la solitude de toute son
âme, mais contrairement à l'idéal hindou qui, pour
trouver Dieu, prêchait le détachement de toute société
humaine, il avait compris que le service des hommes
était un facteur primordial dans le service de Dieu. Son
ardent désir d'être entièrement à la disposition
de
Christ le faisait sortir de ses plus profondes méditations
par amour pour ceux qui souffraient et avaient
besoin de lui. Une vie livrée à Dieu est toujours
une vie consacrée aux autres.
Le Rév. Redman qui revit Sundar deux ans
après son baptême, fut profondément impressionné
par la
maturité de son caractère chrétien ; il
n'était plus le garçon d'alors, mais un jeune homme affermi
dans la
foi, bien qu'il eût à peine 19 ans.
L'influence silencieuse de sa vie faisait
une grande impression. Chrétiens et non-chrétiens venaient
à lui
pour trouver aide et conseil, et sa réputation s'étendait
de plus en plus loin. Il fut appelé à participer à
des
conventions chrétiennes à travers tout le nord
de l'Inde.
A la fin de 1912, après un travail assidu,
il résolut de réaliser enfin le projet qu'il caressait depuis
longtemps de jeûner pendant quarante jours en un endroit
solitaire. Il pensait par là devenir plus conforme
à Jésus-Christ dans sa vie intérieure. Peut-être
était-il influencé, sans s'en rendre compte, par l'ascétisme
des Hindous.
Malgré l'avis négatif d'un
médecin franciscain qui travaillait avec lui et auquel il avait
confié son
intention, Sundar mit son plan à exécution et,
le 25 janvier 1913, il se retira dans la jungle pour se livrer à
la
méditation et à la prière. Afin de garder
quelque notion du temps écoulé, il avait placé près
de lui un tas de
quarante pierres. Chaque jour il en jetait une de côté,
mais ses forces déclinèrent rapidement, et il devint si
faible qu'il fut incapable de continuer ce geste. Sa vie spirituelle,
au contraire, grandit en clarté et en liberté.
Il vivait dans une sorte d'extase dans le monde surnaturel ;
tandis que sa vie physique s'affaiblissait, au
point de ne pouvoir plus distinguer les objets qui l'entouraient,
par sa vision spirituelle il contemplait le
Christ crucifié, ses mains et ses pieds percés
et son visage empreint d'un ineffable amour. Alors que son
corps était inerte et insensible, son âme goûtait
la plus profonde paix et la plus merveilleuse joie.
Avant qu'il eût atteint les quarante
jours, des bûcherons, coupeurs de bambous, le trouvèrent par
hasard
dans la jungle et le portèrent à Dehra-Dun. Là,
quelques paysans chrétiens l'identifièrent grâce à
son nom
inscrit dans son Nouveau Testament. Ils le transportèrent
en char dans le village chrétien de Annfield où il
fut soigné avec amour et se rétablit rapidement.
(Le bruit de sa mort s'était répandu
partout, sans doute par l'entremise du médecin catholique à
qui
Sundar avait donné l'adresse de ses amis. Par télégramme
il leur avait annoncé son décès qui sembla
confirmé par sa longue absence. Un service funèbre
fut organisé par le Rév. Redman à Simla, et sa mort
fut publiée dans les journaux missionnaires, accompagnée
d'une notice nécrologique.)
Sundar revint à Simla, où
son ami le Rév. Redman, le rendit attentif au danger d'une pareille
expérience. Mais le Sadhou resta convaincu des heureux
résultats de ce jeûne. Avant, il lui était arrivé
de se
plaindre intérieurement de ce que le Seigneur n'intervenait
pas lorsqu'il souffrait de la faim et de la soif,
puisqu'il lui avait donné l'ordre de ne pas prendre d'argent
avec lui. Après son jeûne il pensait : C'est la
volonté de mon Père, peut-être ai-je fait
quelque chose qui lui déplaît.
- J'étais parfois tenté d'abandonner
la vie de Sadhou et de retourner dans la maison de mon père, de
me
marier, et de vivre dans l'aisance. Ne pouvais-je pas être
un bon chrétien et mener, là aussi, une vie de
communion avec Dieu ? Mais, bien qu'il n'y ait pas de péché
pour d'autres à vivre dans le confort, à avoir
de l'argent et une famille, je compris que Dieu m'appelait à
suivre une autre voie. Mon réel mariage était
avec Christ.
Toutes ces tentations momentanées, et certains
doutes qui l'avaient parfois troublé, disparurent à tout
jamais : il savait qu'il avait été renouvelé
et fortifié dans sa vie intérieure. Il arrivait à
la certitude que l'âme
est indépendante du corps, question qui l'avait souvent
rendu perplexe. Par-dessus tout, il était maintenant
persuadé que la paix dont il jouissait n'était
pas une expérience subjective de quelque force secrète, mais
le
résultat objectif de la présence de Dieu en lui.
Sundar Singh entra en contact avec les
membres de la mission secrète des Sannyasis, chrétiens qui
se
considéraient comme les disciples du Christ asiatique.
Dispersés dans l'Inde entière, au nombre de plusieurs
centaines de mille, les Sannyasis appartiennent en général
à la classe cultivée ; ils ont l'habitude de se
rencontrer très tôt le matin dans des maisons de
prière qui ressemblent aux temples hindous. Bien souvent,
en temps de danger, le Sadhou avait été secouru
par eux ; à maintes reprises il les enjoignit de sortir de leur
christianisme secret et de proclamer Christ ouvertement, mais
ils répondaient :- Christ nous a appelés à être
pêcheurs d'hommes ; un pêcheur ne doit point faire
de bruit, sinon les poissons s'échappent de son filet.
C'est pourquoi nous travaillons dans le silence, et quand notre
filet sera plein, le monde verra ce que nous
avons fait.
Dans les années suivantes, Sundar
fit la connaissance du directeur de l'Université chrétienne
de
St-Stephen Collège à Delhi, le Principal Susil
Rudra. Ils se lièrent par une même consécration au
service du
Christ, et Sundar l'aima comme son père. Ce fut une grande
joie pour Susil Rudra, dont le coeur était
souvent attristé par la vie de beaucoup de chrétiens
hindous, de trouver ce disciple du Christ si entièrement
consacré à son Maître. Si seulement le témoignage
chrétien aux Indes pouvait suivre la voie tracée par ce
jeune Sadhou, tout irait bien !
De nombreux problèmes se posaient dans l'Église
chrétienne du Punjab, et certaines difficultés avaient
surgi parmi les jeunes étudiants venus de toutes parts
à St-Stephen Collège pour leur éducation
universitaire. Certains d'entre eux étaient destinés
à devenir des « leaders » dans l'État ou dans
l'Église.
Alors que les Européens cherchaient
à faciliter la vie matérielle des jeunes Hindous et vivaient
eux-mêmes assez confortablement, le message de la Croix
était voilé à leurs yeux et n'avait guère de
prise
dans une telle atmosphère.- Nous faisions notre travail,
dit le principal Rudra, entourés de trop de confort
extérieur, et il ne semblait pas possible de sortir de
ce cercle vicieux et de changer notre genre de vie. C'est
alors que le Sadhou vint inconsciemment à notre aide en
apportant son témoignage aux étudiants qui se
réunissaient autour de lui pendant de longues heures et
l'écoutaient jusque tard dans la nuit. Le simple récit
de ses voyages et de ses souffrances au Tibet, fait par lui-même,
enflamma leur coeur. Ils furent saisis par
l'esprit d'abnégation du Sadhou et désirèrent
monter à Kotgarh pour y vivre, à son contact, une vie de
sacrifice et de renoncement. Ce que nul autre n'avait pu faire
au collège, Sundar, un jeune comme eux,
l'accomplit plus encore par son exemple que par beaucoup de paroles.
Le changement qui se produisit chez
de nombreux étudiants fut remarquable, et plusieurs entrèrent
dans
une vie entièrement consacrée au service de Dieu
et de leurs frères. Comment expliquer ce miracle ?
Sundar avait perdu sa propre vie. Ainsi la Croix fut non seulement
prêchée, mais vécue, et là réside toute
la
différence.
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(*) Nous relaterons plus loin, aux ch. 5 et 6, divers épisodes
de ce voyage.
- suite