1. Je voudrais voir tous les Juifs et les païens présents dans cette
assemblée, je voudrais recevoir des mains des Juifs le livre des saintes
Écritures et lire devant eux ce psaume. Car vous savez que devant les tribunaux
et en général dans toutes les affaires, le témoignage rendu par des ennemis est
une preuve non suspecte de vérité. Donnons-en aujourd'hui un exemple, et
produisons un témoignage propre à confondre les Juifs et les païens; les Juifs
qui le lisent sans le comprendre, les païens qui voient nos ennemis nous
remettre eux-mêmes les livres qui le renferment. Ils ne pourront dire en effet
que c'est nous qui avons inventé ces témoignages, puisque c'est de ceux mêmes
qui ont crucifié Jésus Christ que nous tenons les livres qui parlent de sa
Puissance. Mais, qu'ils soient présents on non, remplissons notre devoir et
commençons l'explication de ce psaume. Il a pour objet Jésus Christ, et c'est
pour cela que le titre porte : «Pour le bien-aimé» et «pour ceux qui seront
changés.» Jésus Christ, en effet, est pour nous l'Auteur d'un bien grand
changement et d'un état tout nouveau qui a succédé au premier. C'est à ce
changement que saint Paul fait allusion lorsqu'il dit : «Si donc quelqu'un est
en Jésus Christ une nouvelle créature.» (2Cor 5,17). Voilà pourquoi le
Roi-prophète ne commence pas ainsi : «Mon coeur a dit». Les paroles qu'il allait
faire entendre n'avaient rien d'humain, elles étaient toutes spirituelles et
toutes célestes, et le fruit non de ses recherches personnelles, mais de
l'Action et de l'Inspiration divines, c'est pour cela qu'il se sert du mot
d'éructation ou de renvoi. En effet, l'éructation n'est pas chez nous
volontaire, tandis qu'il dépend de nous de parler et de nous taire quand nous
voulons. Le Roi-prophète veut donc nous montrer que ses paroles ne sont pas le
fruit d'un effort humain, mais qu'elles viennent de l'Inspiration divine qui les
lui suggère, et c'est pour cela qu'il assimile sa prophétie à l'éructation ou au
renvoi. L'odeur exhalée par la bouche participe à la nature des aliments dont on
se nourrit, il en est ainsi pour la doctrine spirituelle. Le prophète exhalait
ce dont il se nourrissait. Nous voyons un autre prophète exprimer cette
opération par une comparaison sensible, lorsqu'il mange avec plaisir le livre
qui lui est présenté : «Il fut à ma bouche, dit-il, doux comme le miel.» (Ez 3,
3). Ils avaient reçu une grâce toute spirituelle, et ils exhalaient une grâce de
même nature. Voulez-vous une preuve qu'il n'est ici question ni d'une action
extérieure, ni d'aliments sensibles ? Écoutez quelle parole est proférée, et
quel est celui qui la profère; ce n'est point l'estomac qui reçoit les aliments,
mais le coeur. «Mon coeur, dit-il, a eu comme un renvoi.» Et quelle odeur a-t-il
exhalée ? L'odeur, non pas de la nourriture, non pas de la boisson, mais des
choses dont il s'est nourri à cette table spirituelle. «Une bonne parole»;
c'est-à-dire qui a pour objet le Fils unique de Dieu, car il est bon
essentiellement et par-dessus tout. «Je suis venu, dit-il, non pour juger le
monde, mais pour le sauver.» (Jn 12,47). Tout respire la douceur, tout éloigne
l'idée même de châtiment. Or, si le Roi-prophète prononce de semblables paroles,
c'est qu'il a pris soin de purifier son coeur. Lorsque l'estomac est plein
d'humeurs impures, il renvoie des gaz fétides; si au contraire il est dans son
état normal, il renvoie une odeur qui annonce également la santé. C'est ainsi
que le coeur du prophète, après s'être purifié de ses péchés, a reçu la Grâce de
l'Esprit saint, et nous rend une excellente parole. Nous apprenons encore ici
que les prophètes sont tout différents des devins. Lorsque le démon s'empare de
l'âme de ces derniers, il leur ôte l'usage de la raison, obscurcit leur
intelligence, et les oracles qu'ils font entendre sortent de leur bouche sans
qu'ils les comprennent, semblables aux sons qui sortent d'un instrument. C'est
ce qu'un de leurs philosophes exprime en ces termes : «De même que les devins et
ceux qui rendent des oracles parlent sans comprendre ce qu'ils disent.» Telle
n'est point l'action de l'Esprit saint, il laisse à l'âme la faculté de
comprendre ce qu'Il lui inspire. Si elle ne le comprenait pas, comment le
Roi-prophète pourrait-il dire : «Mon coeur a proféré une excellente parole » ?
Le démon, qui est notre ennemi déclaré, fait la guerre à notre nature, mais
l'Esprit saint, qui ne veut que notre bien, qui nous comble de ses grâces, donne
à ceux qui le reçoivent l'intelligence des dons qu'il leur accorde, et des
vérités qu'il leur révèle.
«C'est au roi que j'adresse et que je consacre mes oeuvres.» Une autre
version porte : « Mes actions.» Quelles sont ces oeuvres ? Sa prophétie.
L'oeuvre de l'artisan qui travaille le fer est de faire une hache; l'oeuvre de
l'architecte est de bâtir une maison; l'oeuvre du constructeur de navires est
d'ajuster les différentes parties qui les composent; ainsi l'oeuvre du prophète
est de méditer l'objet de sa prophétie. Voulez-vous une preuve que c'est là une
oeuvre véritable, écoutez Jésus Christ disant de ses apôtres : «L'ouvrier est
digne de sa récompense»; (Lc 10,7) et saint Paul : «Surtout ceux qui travaillent
à la prédication de la parole et à l'instruction.» (1Tm 5,17) L'oeuvre est ici
la conséquence naturelle du travail. Et quelle oeuvre plus honorable ? En
est-il de plus utile ? Cette oeuvre est d'un ordre plus élevé que toutes les
industries. Quelle est donc cette oeuvre que le Roi-prophète dit au Roi ? C'est
cette hymne, cette prophétie. Il ne spécifie pas quel est ce roi, pour nous
apprendre qu'il s'adresse au Dieu de l'univers. Lorsque nous voulons parler du
roi des Perses, nous ne disons pas simplement : le roi, mais nous ajoutons des
Perses, ou des Arméniens, s'il en est question. Mais quand nous parlons de notre
roi, toute autre addition est inutile, il nous suffit de dire le roi; de même il
suffit au prophète qui parle ici de Celui qui est Roi en vérité, de dire
simplement : «au Roi.» Ainsi encore lorsque nous parlons du Tout-Puissant, il
n'est besoin de rien ajouter, parce qu'il n'y a point un second Tout-Puissant;
de même lorsque nous disons le Roi, nous n'ajoutons rien autre chose, puisqu'il
n' a point d'autre Dieu qui soit Roi. D'ailleurs celui qui s'exprimait de la
sorte était roi lui-même; nouvelle preuve qu'il ne voulait point parler d'un
homme, mais du Dieu de l'univers. Aussi il ne dit point : au roi, Basileî sans l'article, mais : au roi, tw
Basileî pour signifier par l'addition de l'article le souverain empire de
Dieu.
2. Le Roi-prophète nous déclare ensuite que ce qu'il va dire n'est le fruit
ni de ses pensées, ni de ses méditations, ni de son travail personnel, mais
l'oeuvre exclusive de la Grâce divine, et qu'il ne fait que prêter sa langue à
la parole inspirée. «Ma langue, dit-il, est comme la plume de l'écrivain
rapide.» Que signifie cette expression : «rapide» ? L'action de la Grâce de
l'Esprit saint. Celui qui parle d'après ses propres inspirations est obligé de
procéder avec lenteur; il médite, il compose; l'inexpérience, le défaut de
science, mille autres causes entravent la rapidité du discours. Mais lorsque
l'Esprit saint s'empare d'une âme, il n'y a plus de difficultés; semblable à une
eau qui se précipite avec véhémence et impétuosité, la grâce de l'Esprit saint
s'avance avec une rapidité inouïe, aplanissant tout sur son passage et
renversant tous les obstacles. Le Roi-prophète élève encore plus haut ses
pensées, et montre que ce n'est point un langage humain qu'il va faire entendre.
«Tu surpasses en beauté les enfants des hommes.» (Ibid. 3) Quelques-uns
prétendent que ces paroles se rapportent à la langue qui, au dire du prophète,
est une plume d'une forme magnifique; mais mon opinion est que le prophète parle
exclusivement de Jésus Christ dans tout le reste du psaume. Aussi, un autre
interprète a-t-il traduit de la sorte : «Les enfants des hommes T'ont orné d'une
éclatante beauté.» Le vif désir et l'ardent amour du Roi-prophète pour Jésus
Christ, lui fait adresser directement la parole au Sauveur comme Jacob qui
disait autrefois : «Tu t'es élancé de ton germe, ô mon fils; dans ton repos tu
as dormi comme un lion.» (Gn 49, 9). Sous le feu de l'inspiration divine, il
s'entretient avec le Fils de Dieu, et lui adresse directement la parole. Il
évite de faire ici aucune comparaison, et ne dit pas : Tu es plus beau, mais :
«Tu l'emportes en beauté sur tous les enfants des hommes.» C'est une beauté d'un
genre tout différent. Remarquez que le prophète parle tout d'abord de
l'incarnation du Fils de Dieu, comme le prouvent les paroles suivantes. Car
après avoir dit : «Tu l'emportes en beauté sur les enfants des hommes», il
ajoute : «La grâce est répandue sur tes Lèvres.» Or, Dieu n'a point de lèvres,
et il s'agit par conséquent de son union avec la nature humaine. Un autre
interprète l'indique plus clairement en traduisant : «La grâce s'est répandue de
tes Lèvres.» Que signifient ces paroles : «S'est répandue de tes Lèvres ?» Cette
grâce qui était à l'intérieur a jailli comme d'une source. Comment donc un autre
prophète a-t-il pu dire : «Nous L'avons vu, Il n'avait ni éclat, ni beauté;
son Aspect était méprisable, et Il était le dernier de tous les hommes ?» (Is
53, 2-3). Isaïe ne veut point parler ici de sa laideur, à Dieu ne plaise, mais
des opprobres dont Il était couvert. Dès que le Fils de Dieu eut résolu de se
faire homme, Il Se soumit à tous les mépris, à toutes les humiliations; ce n'est
point une reine qu'Il choisit pour sa mère, Il n'est point déposé en naissant
sur un lit rehaussé d'or, mais dans une crèche. (Lc 2,7). Il n'est point élevé
dans un palais magnifique, mais dans l'humble atelier d'un simple artisan.
Lorsqu'Il choisit ses disciples, Il ne les prend point parmi les orateurs, les
philosophes, les rois de la terre, mais parmi les pécheurs et les publicains.
(Mt 4,18; 9,9). Il reste toujours fidèle à ce genre de vie modeste et pauvre. Il
n'a point de demeure; (Lc 9, 58) Il ne porte pas de riches vêtements, sa table
n'est point somptueuse, Il vit des aumônes qui Lui sont faites, Il est en butte
à tous les mépris, à tous les outrages, Il est chassé et persécuté par ses
ennemis. Il se réduit à ces excès d'humiliation pour abattre le faste et
l'orgueil des hommes. C'est donc parce qu'Il n'était environné d'aucun éclat
extérieur, qu'Il n'avait ni suite ni gardes, et qu'Il marchait ordinairement
seul comme un homme du vulgaire que le prophète dit : «Nous L'avons vu, Il
n'avait ni éclat, ni beauté.» (Is 53,2). Tandis qu'ici David en Le proclamant
«le plus beau des enfants des hommes,» a en vue la Grâce, la Sagesse, la
Doctrine, les Miracles du Sauveur. Il fait ensuite la description de cette
beauté : «La grâce a été répandue sur tes Lèvres.» Vous voyez qu'il parle de la
nature humaine dont Il S'est revêtu. Or, quelle est cette grâce ? La grâce de sa
Doctrine et de ses Miracles, grâce qui est descendue sur la nature humaine du
Sauveur. «Celui sur qui vous verrez l'Esprit descendre comme une colombe et Se
reposer, fut-il dit à saint Jean, c'est Celui-là qui baptise dans le saint
Esprit.» (Jn 1,33). Toute l'abondance des grâces, en effet, a été répandue sur
ce temple, car Dieu ne donne point l'Esprit avec mesure. «Nous avons tous reçu
de sa Plénitude»; (Jn 1,16); mais ce temple a été inondé de la plénitude même de
la grâce. C'est ce qu'Isaïe voulait exprimer lorsqu'il disait : «L'Esprit du
Seigneur reposera sur Lui, l'Esprit de sagesse et d'intelligence, l'Esprit de
conseil et de force, l'Esprit de science et de piété. Et Il sera rempli de
l'Esprit de la crainte du Seigneur.» (Is 11,2-3). Nous voyons ici la plénitude
même de la grâce, tandis que les hommes n'ont reçu qu'une petite partie, qu'une
goutte de cet océan de grâces. Aussi le prophète ne dit pas : «Je donne mon
Esprit», mais : «Je répandrai de mon Esprit sur toute chair.» (Jn 2, 28).
3. Cette prophétie s'est accomplie. Toute la terre est entrée en
participation de cet Esprit. Il a commencé à se communiquer à la Palestine, puis
Il S'est répandu sur l'Égypte, la Phénicie, la Syrie, la Cilicie, les contrées
arrosées par l'Euphrate, la Mésopotamie, la Cappadoce, la Galatie, la Scythie,
la Thrace, la Grèce, la Gaule, l'Italie, toute la Lybie, l'Europe, l'Asie et
jusque sur l'océan lui-même. Qu'est-il besoin d'en dire davantage ? Cette Grâce
de l'Esprit saint s'est étendue à toutes les régions qu'éclaire le soleil, et
cette petite parcelle, cette goutte de l'Esprit saint a rempli l'univers entier
de la science de Dieu. C'est par la vertu de cette grâce que les miracles
étaient opérés et que tous les péchés étaient remis. Et cependant, cette grâce
qui se répandit sur un si grand nombre de contrées, n'est qu'une faible partie
et comme un gage de ce don divin. «Il a donné dans nos coeurs, dit l'Apôtre,
l'arrhe, le gage de l'Esprit saint.» (2Cor 1,22). C'est-à-dire une partie des
effets qu'il produit en nous; car l'Esprit saint Lui-même ne souffre point de
division. Considérez cependant l'abondance de cette source : «L'un reçoit du
saint Esprit le don de parler avec sagesse; l'autre reçoit du même Esprit le don
de parler avec science; un autre reçoit le don de la foi; un autre reçoit du
même Esprit le don de guérir les maladies; un autre le don des miracles; un
autre le don de prophétie; un autre le discernement des esprits; un autre le don
de parler diverses langues.» (1 Cor 12,8-10). La grâce du baptême, qui a versé
tous ces dons sur des peuples si nombreux, s'est répandue sur l'univers tout
entier. Voilà ce qu'a produit une seule goutte de cet Esprit divin. Car ce
n'était vraiment qu'une goutte, comme Dieu le déclare par son prophète : «Je
répandrai de mon Esprit» (Jl 2,28); et au témoignage de saint Paul qui l'appelle
une arrhe, un gage; preuve évidente que ce n'est qu'une partie du don tout
entier. Saint Jean exprimait la même vérité lorsqu'il disait : «Et nous
avons tous reçu de sa plénitude.» (Jn 1,16). C'est-à-dire nous en avons tous
reçu, parce qu'elle était pour ainsi dire à son comble, parce qu'elle débordait
et se répandait par son abondance même.
Considérez donc la plénitude et l'abondance de cette Grâce de l'Esprit saint,
qui suffit dans tous les temps à tous les besoins du monde entier, sans être
limitée dans ses effets, sans jamais être tarie. Elle remplit tous les hommes de
richesses et de grâce, et sa fécondité demeure inépuisable. Mais comme le nom
d'esprit s'applique à différents êtres, à l'ange par exemple, à l'âme, au vent
même et à beaucoup d'autres objets; le prophète ajoute : «De mon Esprit.» Car la
liaison étroite qui unit l'esprit de l'homme à l'homme lui-même existe aussi
entre Dieu et son Esprit, tout en laissant subsister la distinction des
personnes. C'est ce que saint Paul voulait exprimer lorsqu'il disait : «Qui
d'entre les hommes connaît ce qui est dans l'homme, sinon l'esprit de l'homme
qui est en lui ?» De même, personne ne connaît ce qui est en Dieu, si ce n'est
l'Esprit de Dieu. (1Cor 2,11). Saint Paul ne confondait point ici les hypostases
ou les personnes, mais il voulait relever la Dignité de l'Esprit saint. L'union
qui existe entre le Père et l'Esprit saint est donc aussi étroite que l'union de
l'âme humaine avec elle-même. De même que nous donnons au Fils de Dieu le nom de
Verbe, pour faire connaître l'union intime du Fils avec le Père, mais sans que
le Fils perde pour cela sa Personnalité, ainsi l'Esprit saint s'appelle l'Esprit
de Dieu, tout en restant une Personne distincte. C'est parce que le Verbe est le
Fils propre du Père, qu'Il nous communique la Grâce de l'adoption divine; et
c'est aussi parce que l'Esprit saint possède la même nature que Dieu qu'Il
répand sur nous ses Dons. C'est ainsi que l'homme, par cela même qu'il est
homme, peut reproduire l'image de l'homme. «C'est pour cela que Dieu T'a béni
éternellement.» Un autre interprète traduit : «À cause de cela.» Vous voyez avec
quelle ardeur de sentiments le prophète s'adresse au Fils de Dieu. C'est par le
même motif que dans un autre psaume, il ne se contente pas de prédire l'avenir,
mais qu'il prend le ton du reproche et de l'accusation. «Pourquoi les nations
ont-elles frémi, pourquoi les peuples ont-ils médité de vains complots ?» (Ps
2,1). Et il dit de même ici : «C'est pourquoi Dieu T'a béni éternellement.» Il
ne parle ni de sa Naissance, ni de son Éducation, ni des autres circonstances de
sa vie, Il se contente d'en faire une simple mention. Pour quelle raison ? C'est
le devoir des évangélistes de faire une narration suivie des événements; le
prophète leur laisse donc cette tâche qui leur appartient, tandis que la
prophétie choisit seulement quelques événements auxquels elle s'attache de
préférence. C'est ce que font continuellement les prophètes, ils s'emparent
seulement de quelques faits historiques qu'ils enveloppent encore d'une certaine
obscurité. Voilà pourquoi le Roi-prophète dit ici : «Dieu T'a béni
éternellement», pour faire connaître que ses paroles étaient pleines d'une Grâce
infinie. Considérez ici la puissance de cette Grâce. Jésus Se promène sur les
bords de la mer, Il trouve Jacques et Jean et leur dit : «Suivez-moi, et Je vous
ferai pêcheurs d'hommes». Et ceux-ci, quittant leurs filets et leur père, Le
suivirent» (Mt 4,21-22). Et lorsque dans un autre endroit Il posait cette
question à tous ses apôtres : «Et vous aussi voulez-vous vous en aller ?»,
Pierre Lui répondit : «Seigneur, Tu as les paroles de la vie éternelle. Et nous
avons cru et nous avons connu que Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant.» (Jn
6, 68-70). Mais pourquoi parler de ses disciples ? Les pharisiens eux-mêmes,
lorsqu'ils Lui envoyèrent leurs suppôts, entendirent ces derniers leur déclarer
que jamais homme n'avait parlé comme cet Homme. (Jn 7, 46). Ailleurs la
multitude s'écriait : «Jamais rien de semblable n'a paru dans Israël.» (Mt
9,33). «Et ils étaient dans l'admiration de sa Doctrine, parce qu'Il les
instruisait comme ayant autorité, et non comme les scribes et les pharisiens.»
(Mt 7,28-29).
4. Voulez-vous avoir une juste idée de la Grâce de Jésus Christ et comprendre
toute l'étendue de sa Puissance ? Considérez l'importance et la difficulté des
commandements qu'Il nous impose : «Celui qui ne renonce pas à tout ce qu'Il
possède, et qui ne hait pas son âme, n'est pas digne de Moi.» (Lc 14,33; Jn
12,25; Mt 10,37-38). Cette seule parole eut assez de puissance pour déterminer
les plus grands sacrifices, tant l'opération de la grâce était forte.
Qu'avons-nous de plus intime que notre âme ? Et cependant nous la méprisons pour
obéir aux commandements du Sauveur. Ces paroles : «Dieu T'a béni», ne doivent
point du reste vous scandaliser ni amoindrir l'idée que vous devez avoir du Fils
de Dieu. Comme je l'ai déjà dit, le Roi-prophète parle ici de sa Nature humaine,
qui a des Lèvres et qui a reçu la grâce et la bénédiction; car comme Dieu, Il
n'a besoin ni de bénédiction ni de grâce, rien ne manque à la Divinité. «Comme
le Père, nous dit-il, ressuscite les morts et leur rend la vie, ainsi le Fils
donne la vie à ceux à qui Il veut.» (Jn 5,21). Et encore : «Les oeuvres que fait
le Père, le Fils les fait également comme Lui.» (Ibid. 5,19). Et dans un autre
endroit : «Comme le Père Me connaît, ainsi Je connais le Père.» (Jn 10,17).
Ces expressions : ainsi, également, comme, signifient que le Fils est en tout
semblable au Père. Mais ici il est question de la nature humaine dont Il S'était
revêtu. Nous L'entendons encore dire dans une autre circonstance : «C'est pour
cela que le Père M'aime, parce que Je donne ma vie.» (Jn 10,17). Est-ce donc que
le Père avait attendu jusque-là pour L'aimer ? Comment donc aurait-Il pu dire :
«Celui-ci est mon Fils bien-aimé.» (Mt, 3,17). En S'exprimant de la sorte, le
Sauveur a donc voulu nous faire comprendre la grandeur et l'excellence de l'acte
qu'Il allait consommer. Dans ces dernières paroles, nous voyons une des causes
de l'Amour de Dieu, et dans le psaume qui nous occupe, la cause est aussi
clairement indiquée. Aussi le Roi-prophète a commencé par dire : «Tu l'emportes
en beauté sur les enfants des hommes, la grâce a été répandue sur tes Lèvres»,
avant d'ajouter : «C'est pour cela que le Seigneur T'a béni éternellement», et
il applique ces paroles à l'Humanité du Sauveur, afin que ce qu'il pourra dire
de moins digne en apparence de sa Gloire ne vous cause aucune surprise, parce
que vous saurez à qui ses paroles se rapportent. Jacob avait aussi en vue
l'Incarnation du Fils de Dieu lorsqu'il disait : «Ses yeux sont plus beaux que
le vin, et ses dents plus blanches que le lait.» (Gn 49,12). Or, la Nature
divine n'a point de dents. Un autre prophète dit encore : «Il frappera la terre
de sa Parole et l'anéantira par le souffle de sa Bouche.» (Is 11, 4). Langage
semblable à celui de saint Paul : «Le Seigneur le tuera par le souffle de sa
Bouche et le détruira par l'éclat de sa Présence.» (2Th 2,8).
Le Roi-prophète vous montre donc la puissance de la Divinité, pour prévenir
l'impression défavorable que ces paroles pourraient produire. Il ne sépare point
la Chair de la Divinité, ni la Divinité de la Chair; il ne confond point les
substances, à Dieu ne plaise, mais il établit leur union : «Le Seigneur, dit-il,
T'a béni éternellement.» Quelle est la nature de cette bénédiction ? Il est
entouré des anges, des archanges, des trônes, des dominations, des principautés,
des puissances qui célèbrent ses louanges; et toute la terre depuis une
extrémité jusqu'à l'autre proclame et chante la Gloire du Dieu incarné. Le
premier Adam a été frappé d'une grande malédiction, le second est l'objet d'une
bénédiction sans égale. Le premier Adam entendit Dieu lui dire : «Tu seras
maudit dans tes oeuvres.» (Gn 3,17) Et il fut dit à un autre après lui : «Maudit
est celui qui fait l'oeuvre de Dieu négligemment.» (Jr 48,10). Et encore :
«Maudit celui qui ne demeure pas dans tous les préceptes qui sont écrits dans ce
livre» (Dt 27,96). Et enfin : «Maudit est celui qui est suspendu au bois.» (Dt
21,23). Voyez que de malédictions réunies ! Or, Jésus Christ vous a
délivrés de toutes ces malédictions, en Se rendant Lui-même malédiction. (Ga
3,13). De même qu'Il S'est humilié pour vous élever, de même qu'Il est mort pour
vous rendre immortel, ainsi Il S'est fait malédiction pour nous combler de
bénédictions. Que peut-on comparer à cette bénédiction achetée au prix de la
malédiction dont Il est l'objet. Il n'avait pas besoin pour Lui de bénédiction,
et c'est à vous qu'Il la donne.
Lorsque je dis que le Fils de Dieu S'est humilié, ces paroles n'impliquent
aucun changement dans sa Nature, mais expriment simplement les humiliations de
la nature qu'Il S'est unie. De même lorsque je dis qu'Il a été béni, je ne
prétends point pour cela qu'Il avait besoin de bénédiction, mais je donne une
nouvelle preuve des abaissements de son Incarnation. C'est donc sur la Nature
humaine que s'est répandue cette bénédiction, car Jésus Christ, une fois
ressuscité des morts, ne meurt plus. (Rm 6,17). Il n'est plus soumis à la
malédiction; disons mieux, Il n'y a jamais été soumis, mais Il S'est rendu
volontairement malédiction pour nous en délivrer. «Ceins ton épée à ton Côté,
Toi qui es tout-puissant.» (Ibid. 4). Un autre interprète traduit : «Place ton
Épée sur ta Cuisse.» Un autre : «Applique ton Glaive sur ta Cuisse. Revêts-Toi
de ta Gloire et de ta Majesté.» (Ibid. 5). Suivant une autre version : «De ta
Gloire et de ton Autorité.» Suivant une autre : «De ta Gloire et de ta
Magnificence.» Quel est ce changement et que signifie ce langage si différent de
celui qui précède ? Il vient de nous représenter le Fils de Dieu comme docteur
dans ces paroles : «La grâce a été répandue sur tes Lèvres,» et il Le dépeint
tout à coup comme un Roi couvert de ses armes. Et ce n'est plus ici une
prophétie, mais une prière, car il ne dit pas : Il sera ceint de son épée, il
emploie la forme de la prière : «Ceins-Toi de ton épée.» Ajoutez qu'ici la
Beauté Se trouve jointe à la Force, et qu'il nous représente tout à la fois le
Fils de Dieu comme un Guerrier revêtu de ses armes, et comme un Homme tout
éclatant de beauté. «Revêts-Toi, dit-il, de ta Beauté et de ta Majesté.» Il est
également habile à tirer de l'arc : «Tes Flèches sont aiguës, ô Toi qui es
tout-puissant.» (Ibid. 6). Nous Le voyons ensuite comme un vainqueur triomphant
: «Les peuples tomberont à tes Pieds, tes Flèches perceront le coeur des ennemis
du Roi.» Enfin le Roi-prophète nous représente ce Guerrier tout armé, ce Roi,
cet Archer, ce Vainqueur couvert de parfums : «Tes vêtements exhalent l'odeur de
la myrrhe, de l'aloès et de la casse.»
5. Mais qu'y a-t-il de commun entre les armes et les parfums ? Entre l'action
de se parfumer et le maniement de l'épée, entre la doctrine et la guerre, entre
un arc et la beauté ? Je vois d'un côté les symboles de la paix, de l'autre, les
signes de la guerre et les préparatifs du combat. Quel est donc celui qui est
tout ensemble ami de la paix, et exercé dans l'art de la guerre ? Quel est celui
qui exhale l'odeur des parfums et qui est revêtu de ses armes, qui sort de ses
palais d'ivoire, et qui met en fuite d'innombrables ennemis et en fait un
immense carnage ? Comment résoudre cette difficulté ? En nous rappelant que les
saintes Écritures tiennent le même langage en parlant du Père. En effet, le
Roi-prophète nous Le représente aussi dans un autre endroit revêtu de son armure
: «Si vous ne vous convertissez, Il fera briller son épée; son arc est tendu, Il
l'a préparé, Il a rempli son carquois d'instruments de mort.» (Ps 7,13). Et un
autre auteur inspiré nous dit : «Il prendra la justice pour cuirasse.» (Sg
5,19). Vous voyez aussi qu'ils ont tous deux la même autorité. D'un côté, le
Roi-prophète dit du Père : «Il fera briller son épée sans en recevoir l'ordre de
personne, et de sa propre autorité»; de l'autre, Il dit également du Fils : «Les
Flèches du Tout-Puissant sont aiguës, les peuples tomberont à tes Pieds, et
elles pénétreront jusqu'au coeur des ennemis du roi.» Comme preuve qu'Il agit en
tout de Lui-même, le prophète ajoute : «Et ta Droite vous fera faire des progrès
merveilleux». C'est-à-dire, la vertu de ton Action ne vient pas d'une impulsion
étrangère, elle est tout entière en Toi-même. Entendez encore le Dieu de paix
dire à ses disciples : «Je ne suis pas venu apporter la paix sur la terre mais
le glaive.» (Mt 5,34). Et encore : «Je suis venu apporter le fer sur la terre,
et que désirai-Je, sinon de le voir allumé ?» (Lc 12,49). Le Roi-prophète de son
côté, prédit en ces termes sa Venue sur la terre : «Il descendra comme la pluie
sur une toison et comme l'eau qui tombe goutte à goutte sur la terre.» (Ps
71,6). Je vous fais ces citations pour réveiller votre attention, pour vous
faire comprendre le véritable sens des expressions de la sainte Écriture et vous
faciliter ainsi la solution de toute difficulté. En effet, les expressions
figurées signifient les différentes Opérations du Sauveur. Lors donc que le
Roi-prophète Lui dit : «Ceins ton épée à ton Côté, ô Toi qui es le
Tout-Puissant», ces expressions figurées sont le symbole de son Opération, de
même que l'arc et les flèches. En effet, lorsque l'Écriture représente Dieu
comme entrant en colère, elle ne l'entend point d'une passion qui troublerait
son Âme, elle veut simplement faire comprendre aux intelligences moins exercées
la juste vengeance que Dieu tire du crime. Or, c'est la même vérité que le
Roi-prophète veut exprimer, lorsqu'il décrit l'armure dont Dieu est revêtu.
Comme nos châtiments ne nous viennent pas de nous-mêmes, mais d'instruments qui
nous sont étrangers, le Prophète, pour nous convaincre que Dieu a le pouvoir de
nous punir, se sert d'expressions qui nous sont connues, non pour nous donner à
penser que Dieu Se sert d'armes véritables, mais pour faire ressortir d'une
manière plus saisissante la vengeance que Dieu exerce sur les pécheurs.
Cependant, me direz-vous, un grand nombre se sont scandalisés de ces paroles
? C'est bien gratuitement et par suite de leur ignorance; car dès qu'il est
question de Dieu, ils devaient comprendre que ces expressions étaient figurées.
Du reste, la sainte Écriture n'a point négligé de leur prouver en d'autres
endroits l'Impassibilité absolue de Dieu. Écoutez comme elle nous enseigne
ailleurs la facilité avec laquelle Dieu punit les coupables : «Que Dieu Se lève
et que ses ennemis soient dissipés.» (Ps 67, 2). A-t-Il donc besoin d'armes ?
A-t-Il besoin d'un glaive ? Non, il Lui suffit de Se lever. Mais cette
expression est encore trop matérielle; aussi le Roi-prophète nous dit souvent en
parlant de Lui : «Il regarde la terre, et Il la fait trembler.» (Ibid. 103, 32).
Et encore : «La terre a été ébranlée à la Présence du Seigneur.» Ibid. (103,7).
Cette manière de parler est encore trop humaine. Écoutez donc un langage plus
digne de Dieu : «Il a fait tout ce qu'Il a voulu.» (Ibid. 134, 6). C'est qu'en
effet, il Lui suffit de vouloir; mais considérez comme tout en employant ces
expressions matérielles, le Roi-prophète fait bien voir que Dieu n'a nul besoin
de ce qu'elles représentent. Il ne parle de ses Armes qu'après avoir proclamé sa
Puissance, et encore, après avoir fait l'énumération de ses Armes, il attribue
la victoire tout entière à sa Droite, c'est-à-dire à sa Nature et sa Puissance
divines. C'est la même pensée qu'exprimait un autre prophète, lorsqu'il disait :
«Le signe de sa Domination est sur son Épaule.» (Is 9,6). Non qu'il veuille
faire entendre que Dieu a des épaules, à Dieu ne plaise, mais pour vous faire
comprendre que Dieu n'a besoin du secours de personne. «Ceins ton Épée à ton
Côté, Toi qui es le Tout-Puissant; sers-Toi de ta Beauté et de ta Majesté.» Que
veut dire ici le Roi-prophète ? À l'aide de ces expressions figurées, il nous
fait comprendre l'étendue de l'Action divine du Sauveur qui a soumis le monde
entier à son Empire, a terminé heureusement la guerre qu'Il avait entreprise et
consommé son triomphe sur ses ennemis. Il avait à soutenir une guerre terrible,
une guerre des plus cruelles où Il devait combattre non contre des peuples
barbares, mais contre les démons qui avaient tendu partout leurs pièges et qui
étaient une cause de ruine pour la terre tout entière. C'est cette victoire que
proclamait Isaïe lorsqu'il disait : «Il distribuera Lui-même les dépouilles des
forts.» (Is 53,12). Et dans un autre endroit : «L'Esprit de Dieu repose sur Moi;
car le Seigneur M'a rempli de son Onction, Il M'a envoyé pour annoncer sa Parole
aux pauvres, pour prêcher la Grâce aux captifs.» (Is 61,1). Voilà pourquoi saint
Paul commence toutes ses épîtres par ce souhait : «Que la Grâce et la Paix de
Dieu notre Père soient avec vous», et qu'il dit dans son épître aux Éphésiens :
«C'est Lui qui est notre paix, c'est Lui qui des deux peuples n'en a fait
qu'un.» (Ep 2,14). Voulez-vous une nouvelle preuve que ces paroles : «Ceins-Toi
de ton Épée» ne doivent pas être prises dans un sens littéral et matériel ?
Écoutez la suite : «Sers-Toi de ta Beauté et de ta Majesté»; c'est-à-dire que
son Épée, c'est son Éclat, sa Beauté, sa Gloire, son Autorité, sa Majesté, sa
Grandeur. Car cette Nature divine n'a besoin d'aucun secours étranger pour
l'accomplissement de ses Desseins, son Indépendance est absolue. Le Roi-prophète
s'adresse donc à Lui pour Le prier d'entreprendre la guerre dans l'intérêt du
monde entier. Il descend ensuite de ces hauteurs et emploie de nouveau un
langage sensible et matériel. «Tends ton Arc, Lui dit-il, avance, sois heureux
et règne». L'expression : «Tends» indique clairement l'arc et les flèches; puis
il démontre une fois de plus que Dieu n'a nul besoin de ces armes, en ajoutant :
«Avance, sois heureux et règne.» Un autre interprète traduit : «Marche de succès
en succès.» Le règne dont il veut ici parler est le règne d'union et de vérité
que le Sauveur a fondé sur la terre dans les derniers temps.
6. Ces paroles sont l'expression du vif désir du Prophète qui voit par avance
tout ce que le Fils de Dieu devait accomplir, et la terre tout entière amenée
par Lui à la connaissance de la vérité, c'est ce qui explique son langage
figuré, et la parole de commandement qu'il semble lui adresser. Ce langage est
en effet celui des inférieurs, lorsqu'ils sont enflammés d'un zèle ardent pour
les intérêts de ceux qui sont élevés au-dessus d'eux. «Établis ton règne par la
vérité, par la douceur et par la justice.» Il ajoute ici la vérité aux deux
autres vertus. Vous voyez comme la sainte Écriture s'explique par elle-même et
nous montre qu'il s'agit d'une victoire toute intérieure et toute spirituelle.
Mais, comment après avoir décrit cet appareil de guerre, ces armes, ce glaive,
cet arc, le Roi-prophète parle-t-il de douceur ? Quel rapport existe entre la
guerre et la douceur, entre la modération et les combats ? Un très grand, si
nous voulons y réfléchir. En effet, David et Moïse étaient remplis de douceur,
l'Écriture leur rend ce témoignage, elle dit de l'un : «Souviens-Toi, Seigneur,
de David et de toute sa Douceur» (Ps 131,1); et de l'autre : «Moïse était le
plus doux entre tous les hommes qui étaient sur la terre.» (Nb 12,3). Et
cependant ces hommes si doux ont exercé les plus terribles vengeances.
Permettez-moi de vous parler d'abord de leur douceur. David s'était souvent
emparé de la personne de Saül, et il était le maître de lui ôter la vie; jamais
cependant il ne porta la main sur lui, et malgré les instances qui lui étaient
faites, il l'épargna toujours, et sut dominer son juste ressentiment. (1R 24,11;
26,7 et ss). Lorsque plus tard Semeï le chargeait d'outrages et insultait à son
malheur, ses généraux voulaient marcher sur lui et mettre à mort cet homme qui
se rendait coupable de tels excès; quelles paroles pleines de sagesse sortent
alors de la bouche de David ! Avec quel soin encore, recommande-t-il à ses
généraux ce fils parricide et incestueux en leur disant : «Épargnez mon fils
Absalom !» (R 17,5). Et quand, dans ses premières années, il s'entretient avec
ses frères à qui ses futures victoires inspiraient des sentiments de jalousie,
avec quelle douceur il leur répond : «N'est-il pas permis de parler ?» (1R
17, 29)
Quelle fut d'un autre côté la conduite de Moïse ? Écoutez la prière qu'il
adresse à Dieu pour ceux qui avaient voulu le lapider, (Ex 17,4), et tout fait
pour lui ôter la vie : «Si Tu juges à propos de leur pardonner cette faute, je
Te conjure de faire grâce, sinon, efface-moi de ton livre que Tu as écrit.» (Ex
32,31-32). Dans une autre circonstance, on cherche à lui inspirer des sentiments
d'envie et de colère, et il fait cette réponse si pleine de sagesse : «Plût à
Dieu que tout le peuple prophétisât.» (Nb 19,29). Et quelles prières, quelles
supplications pour sa soeur, qui elle aussi n'avait pas craint de l'insulter ?
(Nb 12,13). Nous pourrions donner mille autres preuves de sa douceur; ainsi
lorsqu'il fut rejeté de la terre promise et condamné à ne point entrer dans la
Palestine, les paroles qu'il adresse aux Hébreux respirent la plus grande
douceur. Et cependant, cet homme si doux, regarda comme un acte de justice que
Dathan, Abiron et Coré qui avaient usurpé les fonctions sacerdotales, fussent
engloutis sous la terre, et que ceux qui avaient offert un feu étranger fussent
consumés par le feu du ciel. (Nb 16,15 et ss). David lui-même, malgré sa grande
douceur, terrassa Goliath, mit en fuite l'armée des Philistins et remporta sur
eux une éclatante victoire. C'est qu'en effet, le caractère de la douceur est de
pardonner ses propres injures, et de prendre la défense de ceux qui sont
victimes de l'injustice. C'est l'exemple que nous donne notre Seigneur Jésus
Christ Lui-même. Lorsqu'Il fut attaché sur la croix, Il disait : «Mon Père,
pardonne-leur, car ils ne savent ce qu'ils font.» (Lc 23, 34). Et nous Le voyons
encore répandre des larmes sur Jérusalem en lui disant : «Combien de fois ai-Je
voulu rassembler tes enfants et tu n'as pas voulu» (Mt 23,37-38). Lorsqu'on Lui
donne un soufflet, Il ne cherche pas à le rendre, Il Se justifie simplement
devant celui qui Lui a fait cet outrage. (Jn 28, 22, 23). On L'appelle possédé
du démon, Il répond en chassant les démons. On Le traite de séducteur, d'ennemi
de Dieu, Il Se venge en conduisant dans son royaume ceux qui L'injurient. (Mt
9,32 et ss.; Jn 7,12). Il recommande à ses disciples de souffrir en toute
circonstance les mauvais traitements, les outrages, la persécution, et de
choisir toujours la dernière place : «Que celui qui veut être le premier parmi
vous, leur dit-il, soit votre serviteur.» (Mt 20,26). Et en cela, Il Se propose
Lui-même pour exemple : «Comme le Fils de l'homme qui n'est point venu pour être
servi, mais pour servir et donner sa Vie pour la rédemption de plusieurs.» (Mt
20, 28). S'Il chasse les démons, s'Il déclare la guerre à Satan et dissipe
toutes les erreurs, c'est encore par un effet de sa grande Douceur qu'Il détruit
le vice, brise les chaînes de ceux qu'il tenait captifs sous ses lois, déjoue
les embûches des démons, et délivre ceux qui étaient victimes de leurs mauvais
traitements.
Or, que signifient ces paroles : «Règne par ta Vérité, ta Douceur, ta Justice
?» Le Roi-prophète nous a parlé de guerre, il nous en a décrit les préparatifs;
il nous a fait voir le Soldat tout armé, il raconte maintenant les exploits de
son Règne, le genre et la nature de ses Victoires. Les autres rois de la terre,
sans exception, font la guerre pour conquérir des villes, des richesses, ou pour
venger des inimitiés personnelles, ou par un motif de vaine gloire. Mais ce
n'est point pour de tels motifs que le Fils de Dieu fait la guerre; c'est pour
la vérité et pour l'établir sur la terre; c'est pour la douceur, pour l'inspirer
à ceux qui surpassent en cruauté les bêtes féroces elles-mêmes; c'est pour la
justice, c'est-à-dire pour rendre justes d'abord par sa Grâce et ensuite par la
pratique des bonnes oeuvres, ceux qui gémissent sous le joug tyrannique de
l'iniquité. «Et ta Droite Te conduira d'une manière merveilleuse.» Un autre
interprète traduit : «Et ta Droite T'éclairera au milieu des plus terribles
épreuves.» Un autre : «Et ta Droite Te découvrira des choses terribles.»
7. Vous voyez comme le Roi-prophète fait de nouveau ressortir la Majesté de
Celui qui opère ces merveilles. Lorsque précédemment, il a parlé de ses Armes,
de son Épée, il s'est élevé aussitôt jusqu'à son immortelle Beauté, et a conduit
ainsi son auditeur jusqu'aux contemplations de l'esprit. De même ici, après
avoir décrit de nouveau son Armure, à l'aide d'expressions matérielles et
figurées, telles qu'un arc et des flèches, il élève encore peu à peu notre
pensée, en nous exposant les causes de la guerre, la vérité, la douceur, la
justice, aussi bien que le mode de la victoire. Quel est ce mode ? «Et ta Gloire
Te conduira admirablement.» C'est-à-dire ta Nature seule Te suffit, et vous
n'avez besoin que de ta Puissance pour voir les choses que vous devez faire et
pour les accomplir. La traduction d'un autre interprète : «Ta Droite est
terrible», présente un sens également conforme à la vérité, car rien de plus
terrible, rien de plus effrayant que les Exploits du Sauveur : la mort détruite,
les portes de l'enfer brisées, le paradis ouvert, le ciel devenu accessible, les
démons condamnés au silence, l'union de la terre avec les cieux, un Dieu fait
homme, l'Homme assis sur un trône, la foi à la résurrection ouvertement
proclamée, des espérances immortelles, la jouissance de biens ineffables, et
mille autres faits éclatants dont la Vie du Sauveur est pleine. Voilà pourquoi
le Roi-prophète dit : «Ta Droite Te conduira vers des oeuvres terribles,» et il
montre par là que sa Nature et sa Puissance divines lui suffisent pour
concevoir, entreprendre et accomplir ses Desseins. Les Septante traduisent : «Ta
Droite Te conduira admirablement,» c'est-à-dire qu'il ne faut pas seulement
admirer les faits éclatants de la Vie du Sauveur, mais la manière vraiment
extraordinaire dont ils ont été accomplis. C'est par la mort en effet que la
mort a été détruite, la malédiction a effacé la malédiction et elle est devenue
une source de bénédiction; c'est un manger coupable qui nous avait autrefois
éloignés de Dieu; c'est un manger salutaire qui nous en rapproche. Une vierge
nous avait chassés du paradis, une vierge nous fait retrouver la vie éternelle.
Ce qui a été la cause de notre condamnation devient le principe de notre
récompense. C'est en se représentant intérieurement ces merveilles que le
Roi-prophète s'écrie : «Ta Droite Te conduira d'une manière admirable.»
Qu'est-il besoin d'armes ? Qu'est-il besoin de glaive, d'arc, de flèches ? Vous
voyez comme sa Nature et sa Puissance suffisent largement à ses Entreprises.
Considérez maintenant comme le Roi-prophète, semblable à un artiste habile,
quitte ces hauteurs pour descendre à des idées moins élevées. «Tes Flèches sont
aiguës, Toi qui es tout-puissant. Les peuples tomberont à tes Pieds, elles
pénétreront jusqu'au coeur des ennemis du Roi.» (Ibid. 6). Vous voyez comme à
l'expression matérielle de flèches, il joint l'idée de la toute-puissance pour
vous apprendre que le Fils de Dieu n'a point besoin de flèches, mais qu'Il Se
suffit à Lui-même. Voici la suite naturelle de cette proposition : «Tes Flèches
sont aiguës, ô Toi qui es puissant, elles perceront le coeur des ennemis du
Roi.» Ces paroles : «Les peuples tomberont à tes Pieds», forment une parenthèse.
Ce passage peut s'entendre de deux manières : ou le prophète prédit ici la
captivité des Juifs, la destruction de leur ville et la ruine de leur nation; ou
il veut représenter dans le sens anagogique la puissance de la prédication sous
l'emblème de ces flèches. En effet, la Parole de Dieu a parcouru la terre tout
entière, plus rapide que la flèche qui fend les airs, elle a touché le coeur de
ses ennemis, non pour leur donner la mort, mais pour les attirer à elle, ce qui
s'est vérifié dans l'apôtre saint Paul. Rien de plus juste en effet que de
comparer à une flèche la Parole qui, envoyée du ciel, vint toucher son coeur et
d'ennemi qu'il était, le rendit ami de Dieu. «Les peuples tomberont à tes
Pieds.» Vous voyez l'heureuse issue de la guerre, la soumission des rebelles, et
l'enseignement de la doctrine qui leur est donné. Car cette chute qui les fait
tomber à ses Pieds devient pour tous le principe et le fondement de leur
élévation. Après les avoir affranchis de l'orgueil, de la vaine gloire, des
erreurs où les retenaient les démons, Il les soumet à son empire. C'est pour
cela qu'un autre prophète Le représente tout couvert de sang : «Qui est celui,
s'écrie-t-il, qui vient d'Édom et de Bosor avec des habits teints de sang ?» (Is
63,1). Il n'y a point ici d'armes, ni d'arcs, ni de flèches, mais seulement des
vêtements. L'image est encore un peu matérielle, mais moins cependant que les
précédentes, et cependant le prophète élève également l'esprit de l'auditeur de
cette image sensible à des idées toutes spirituelles. À la question que lui fait
le prophète pourquoi ses vêtements sont rouges, le Sauveur répond : «J'ai foulé
seul le pressoir.» (Is 63,2-3). Ces paroles : «J'ai foulé seul le pressoir», ont
une grande analogie avec celles-ci : «Ta Droite vous conduira d'une manière
admirable.» Rien n'est plus facile au vendangeur que de fouler les grappes de
raisin; or Dieu accomplit aussi facilement ses Desseins, que dis-je ? avec une
facilité beaucoup plus grande. «Ton Trône, ô Dieu, subsistera éternellement, le
sceptre de ton Règne est un sceptre de droiture.» (Ibid. 7). «Tu as aimé la
justice et haï l'iniquité, c'est pour cela que le Seigneur ton Dieu a versé sur
Toi le parfum de l'allégresse avec plus d'abondance que sur ceux qui doivent y
participer.» (Ibid. 8). Un autre interprète traduit : «Ton Trône subsistera pour
l'éternité et au delà.» Le texte hébreu porte : «Dieu, ton Dieu,» Éloim, Éloach.
Que peuvent objecter ici les Juifs ? À qui faut-il appliquer ces paroles ? Que
disent de leur côté les hérétiques ? S'ils prétendent que c'est du Père qu'il
est dit : «Ton Trône, ô Dieu, subsistera éternellement,» comment lui appliquer
ce qui suit : «C'est pourquoi le Seigneur ton Dieu a versé sur Toi le parfum de
l'allégresse ?» Car le Père n'est point le Christ, et Il n'a pas reçu d'onction.
Il est donc évident qu'il s'agit ici du Fils unique de Dieu, dont le Prophète
avait déjà parlé précédemment, et dont Isaïe a dit aussi : «Et son règne n'aura
point de fin». (Is 9,7).
8. On demandera peut-être pourquoi le Roi-prophète traite maintenant de la
Divinité du Sauveur, après avoir commencé par parler de son Incarnation. Il suit
en cela la marche adoptée par saint Matthieu. En effet, cet évangéliste commence
par la génération charnelle du Sauveur, et voici son début : «Livre de la
génération de Jésus Christ.» (Mt 1,1). Saint Marc et saint Luc suivent le même
ordre, saint Jean seul s'en écarte. Ce n'est qu'après cet exorde sublime sur la
Divinité : «Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le
Verbe était Dieu» (Jn 1, 1) et de longues considérations sur le Verbe de Dieu,
que cet évangéliste ajoute : «Et le Verbe S'est fait Chair et Il a habité parmi
nous.» Or, cette marche différente qu'il suit dans la composition de son
évangile est une preuve de l'harmonie qui règne entre tous les évangélistes.
Mais comment soutenir avec quelqu'apparence de raison que l'accord et l'harmonie
résultent de l'opposition ? Ignorez-vous donc que cette opposition existe entre
ces deux choses, manger et ne pas manger, boire et ne pas boire, donner et ne
pas donner ? Cependant le médecin ordonne souvent ces deux choses si opposées,
sans se mettre en contradiction, et en restant parfaitement d'accord avec
lui-même, car il ne se propose qu'un seul but, la guérison du malade. C'est ce
que nous voyons aussi dans les évangélistes. Est-ce que l'été aussi n'est pas
opposé à l'hiver ? Et cependant ils ont une même fin, l'abondance et la maturité
des fruits. Disons plus, l'univers entier est un composé de contraires, et ces
contraires s'harmonisent parfaitement pour l'usage de notre vie. Jésus Christ
Lui-même a suivi une voie tout opposée à celle de Jean le Baptiste. Notre
Seigneur se nourrissait d'aliments ordinaires, tandis que Jean le Baptiste s'en
abstenait : «Jean le Baptiste, dit le Sauveur, est venu ne mangeant pas de pain
et ne buvant pas de vin, et ils disent : Il est possédé du démon. Le Fils de
l'homme est venu mangeant et buvant, et ils disent : Voici un homme de bonne
chère et qui aime le vin.» (Lc 7,33-34). Mais malgré cette manière de vivre
toute différente, ils n'avaient cependant qu'un seul et même but, le salut de
ceux qu'ils attiraient à eux. C'est ainsi que l'ordre adopté par saint Jean dans
l'exposé qu'il fait de la Divinité et de la Nature humaine du Sauveur, bien que
différent de l'ordre suivi par les autres évangélistes, ne laisse pas de
s'accorder parfaitement avec leur récit. Comment cela ? Le voici : dans les
commencements, lorsque la prédication de la parole ne s'étendait pas encore bien
loin, il était juste d'insister sur l'Incarnation du Fils de Dieu, et de faire
de sa Nature humaine l'objet principal de l'enseignement évangélique, en
commençant ainsi par ce qui était le plus sensible et le plus facile à
comprendre. (1Cor 3,1). Mais lorsque la doctrine se fut répandue, et que la
prédication eut retenti partout, le temps était venu d'élever les esprits à des
considérations plus sublimes.
Voilà pourquoi les prophètes, quand ils parlent du Fils de Dieu, commencent
toujours par le mystère de son Incarnation, et en font comme l'exorde de leurs
prophéties. Voyez, par exemple, comme le début du prophète Michée est humble et
modeste : «Et toi Bethléem, terre de Juda, tu n'es pas la plus petite entre les
villes de Juda, car de toi doit sortir le Chef qui gouvernera le peuple
d'Israël.» (Mi 5,2). Or ce n'était point la Nature divine qui devait sortir de
Bethléem, mais la nature humaine. Aussi le prophète n'en reste pas là, et il
s'élève aussitôt jusqu'à la Divinité : «Et sa sortie est du commencement et des
jours de l'éternité.» (Ibid.) Écoutez maintenant Isaïe : «Voici que la Vierge
concevra et enfantera un Fils, et Il sera appelé Emmanuel, c'est-à-dire Dieu
avec nous.» (Is 7,14; Mt 1,2-3). Vous voyez comment ce prophète s'élève de la
Nature humaine jusqu'à la Nature divine. Dans un autre endroit, il suit cette
même marche : «Un petit Enfant nous est né, un Fils nous est donné, et Il sera
appelé l'Ange du grand conseil, le Conseiller admirable, le Dieu fort et
puissant, le prince de la paix, le père du siècle futur.» (Is 9,6).
Remarquez-vous comme il part de nouveau de l'enfance du Sauveur, de sa Nature
humaine, pour s'élever de là comme par autant de degrés jusqu'à sa Divinité ?
C'est ainsi que Dieu le Père S'est révélé d'abord par le moyen des créatures :
«En effet, les Perfections invisibles de Dieu sont devenues visibles depuis la
création du monde par tout ce qui a été fait.» (Rm 1, 20). C'est pour cette même
raison que Dieu Se présente souvent à nous dans l'Écriture sous une forme
extérieure, afin d'élever insensiblement l'esprit de l'homme jusqu' aux vérités
incorporelles. Et qu'y a-t-il d'étonnant qu'Il ait adopté cette conduite pour
l'établissement des dogmes, puisqu'Il agit de la même manière dans les préceptes
et les commandements qu'Il nous donne ? Le Roi-prophète suit ici ce même ordre,
il s'élève de la Nature humaine à la Nature divine (car les lèvres indiquent
nécessairement une nature humaine), puis il descend de nouveau de la Divinité à
la Chair mortelle du Fils de Dieu, donnant ainsi à son discours une admirable
variété pour l'utilité de ceux qu'il veut instruire : «Ton trône, ô Dieu,
subsistera éternellement.» Ce mot trône a ici une signification plus étendue et
veut dire le règne tout entier. David prédit que son trône sera éternel. Isaïe
annonce de son côté que ce trône est élevé. «J'ai vu, dit-il, le Seigneur assis
sur un trône élevé.» (Is 6,1) Et il dit encore dans un autre endroit : «Ton
trône est élevé.» Un autre prophète L'a vu assis sur un trône de gloire. (Dn
7,9). Et David nous représente aussi ce trône comme un trône de miséricorde. «La
miséricorde et le jugement sont le soutien de son trône.» (Ps 46,2).
9. Toute cette description a pour objet de nous montrer que son règne est
éternel (comme l'indiquent ces paroles : dans les siècles des siècles), qu'Il
sera glorieux, élevé, plein de force et de puissance. Le Psalmiste prouve encore
que ce règne n'aura point de fin, lorsqu'il ajoute : «Ton règne est un règne qui
s'étend dans tous les siècles.» De même que le trône est le symbole de la
royauté, ainsi le sceptre est l'emblème et du pouvoir royal et de la puissance
judiciaire. C'est pour cela que le Roi-prophète ajoute : «Le sceptre de ton
règne est un sceptre de droiture.» Là ce qui est juste, ce qui est droit, est
d'une clarté pure et sans le moindre nuage.
Que les hommes atteints de déraison et de folie, et ceux qui sont mille fois
pires encore, prêtent ici une oreille attentive. Quels sont-ils, ceux qui
accusent la Providence et demandent : pourquoi tel et tel événement arrivent-ils
de cette manière ? Une semblable question n'est-elle pas le comble de
l'absurdité ? Celui qui regarde un ouvrier couper ou scier une pièce de bois ne
lui demande pas la raison de ce qu'il fait. Le médecin applique le fer et le feu
sur la chair du malade, il le condamne à garder la chambre, lui prescrit une
diète des plus sévères, et aucun de ceux qui sont présents, ni le malade
lui-même ne songent à lui demander pourquoi il agit de la sorte. Le pilote fait
tendre les cordages, déployer ou serrer les voiles, arroser les flancs du
navire, sans que personne lui en demande la cause. Nul, en effet, ne songe à
interroger avec curiosité pour savoir la raison de ces diverses opérations, mais
tous se taisent et gardent le silence, quelques fautes que puissent commettre
ces gens contre les règles de leur art. Et lorsqu'il s'agit de la Sagesse
inénarrable de Dieu, de son ineffable Bonté, de sa Providence infinie, la
curiosité humaine n'a plus de bornes. Peut-on pousser plus loin la folie ?
S'agit-il de porter secours, d'avancer de l'argent à ceux qui sont victimes de
l'injustice, à peine trouve-t-on quelqu'un qui soit disposé au plus léger
sacrifice; mais en revanche on ne cesse de demander pourquoi un tel est pauvre,
pourquoi un tel mendie son pain, pourquoi cet autre est riche ? Serviteur
infidèle et insensé, pourquoi n'abaissez-vous pas les yeux sur vous-même pour
vous étudier et vous connaître ? Pourquoi ne pas imposer un frein à votre
langue, pourquoi ne pas réprimer ces recherches téméraires, renoncer à pénétrer
dans d'aussi grands secrets, et ne pas reporter sur votre propre vie cette
inquiète curiosité ? Considérez attentivement toutes les actions de votre vie,
cette mer immense de vos péchés, et si vous êtes dominé par cet esprit de
curiosité qui ne s'arrête jamais, demandez-vous compte de toutes les paroles
coupables que votre bouche a proférées, de toutes les actions criminelles que
vous avez commises. Maintenant, au contraire, vous négligez cet examen de votre
conduite, alors que cette négligence vous prépare un châtiment sévère, tandis
qu'une curiosité salutaire pourrait vous sauver, et vous préférez mettre le
comble à tous vos autres péchés en citant Dieu à votre tribunal. N'entendez-vous
pas le prophète vous dire : «Le sceptre de ton règne est un sceptre de droiture»
? et un autre : «Ses Jugements resplendiront comme la lumière» ? (Os 6,5). Si
vous ne pouvez pénétrer dans les Secrets de votre souverain Maître, c'est une
raison de plus pour Le glorifier, pour L'adorer, à cause de sa Grandeur
ineffable, de sa Providence incompréhensible, de la Sollicitude si sage et si
variée qu'Il a pour toutes ses créatures.
«Tu as aimé la justice et Tu as haï l'iniquité.» Le Roi-prophète a décrit
précédemment les Actions éclatantes du Fils de Dieu, ses Victoires, ses
Triomphes, le salut du monde entier qu'Il a rempli de vérité, de douceur, de
justice, et Il a fait ressortir la sagesse de ses Desseins. Il nous parle
maintenant de la Dignité de Celui qui a opéré toutes ces merveilles : c'est un
Dieu, c'est un Roi immortel, un Juge incorruptible, un Ami des justes, un Ennemi
des méchants. Dans ces différents titres se trouve toute la raison de ses
succès. Que personne donc n'élève ici aucun doute. Toutes ces actions qu'Il a
faites ont eu pour principe et pour cause sa Puissance et sa Volonté. Après
avoir parlé en termes aussi sublimes de sa Divinité, il redescend à sa Nature
humaine, en disant : «C'est pour cela que Dieu, ton Dieu, a versé sur Toi le
parfum de l'allégresse.» Une autre version porte : «À cause de cela, Il a versé
l'huile sur vos membres.» C'est-à-dire, parce que dans toutes les actions qui
viennent d'être énumérées, Tu as agi avec droiture, semé les germes de la
justice et exécuté tous les desseins que Tu avais formés. Ne vous étonnez pas
d'entendre le Prophète attribuer ces actions au Père. Ce n'est point pour en
ôter au Fils la gloire, mais pour associer le Père à la Gloire du Fils, de même
que le Fils déclare que tout ce qui est à son Père est à Lui : «Tout ce qui est
à Toi est à Moi, dit-Il, et tout ce qui est à Moi est à Toi.» (Jn 17,10).
Lorsque saint Paul expose le fait de la résurrection de Jésus Christ, il dit :
«C'est Dieu qui L'a ressuscité d'entre les morts,» (1Cor 6,14); tandis que nous
lisons dans saint Jean ces paroles du Sauveur : «Détruisez ce temple, et Je le
rebâtirai en trois jours.» (Jn 2,19). Mais quel est donc ce parfum d'allégresse
? Jésus Christ n'a jamais été oint d'aucune huile, Il a reçu l'Onction de
l'Esprit saint. C'est pour cela que le prophète ajoute : «Avec plus d'abondance
que ceux qui doivent y participer.» C'est-à-dire que personne n'a reçu une
onction aussi riche, aussi abondante que la sienne. Il y a eu avant Lui un grand
nombre de christs, c'est-à-dire d'hommes qui ont été consacrés par l'onction,
mais personne ne l'a été comme Lui. Il y a eu aussi beaucoup d'agneaux, Lui seul
est l'Agneau par excellence; il y a eu un grand nombre de fils, Lui seul est le
Fils unique de Dieu. Tout ce qui est en Lui a un caractère exceptionnel de
supériorité, non seulement les attributs de sa Nature divine, mais les
perfections de son Humanité, car personne n'a reçu en si grande abondance
l'onction de l'Esprit saint.
Ne soyez pas surpris s'il fait entrer l'huile dans cette Onction divine, il
emploie ici le langage figuré des prophètes. Il ajoute : «de l'allégresse» pour
exprimer l'effet de cette Onction qui est la joie. «Car le fruit de l'Esprit,
c'est l'amour, la joie, la paix.» (Ga 5,22). Une autre version porte : «D'une
huile qui embellit»; le texte hébreu : Sason, de l'éclat, de la gloire, de la
beauté. Il est également vrai de dire que c'est une huile d'allégresse. Le
glaive dont parle le Roi-prophète ne présente point à votre esprit l'idée d'un
glaive matériel; de même, l'arc et les flèches ne sont pour vous que l'emblème
des Actions éclatantes du Fils de Dieu; ainsi devez-vous entendre ce qu'il dit
ici non point d'une huile matérielle, mais d'une onction toute spirituelle.
L'huile était le symbole de l'Esprit saint, mais ce divin Esprit était la chose
essentielle et nécessaire. Puisqu'il en est ainsi, n'hésitez pas à Lui donner le
nom de Christ, car il a été donné à Abraham et aux prophètes, et tous cependant
n'avaient pas reçu l'onction. «Gardez-vous de toucher à mes christs, dit
ailleurs le Roi-prophète; gardez-vous de faire aucun mal à mes prophètes.» (Ps
104,15).
Or à quel temps Jésus Christ a-t-Il reçu cette onction ? Lorsque le saint
Esprit descendit sur Lui sous la forme d'une colombe. (Mt 3,16). Ceux qui ont
part avec Lui à cette onction sont tous ceux qui vivent selon son Esprit, et
dont saint Jean a dit : «Nous avons reçu tous de sa Plénitude.» (Jn 1,16).
Lorsqu'il parle de Jésus Christ au contraire : «Dieu, dit-il, ne donne point son
Esprit avec mesure.» Et il est dit encore ailleurs : «Je répandrai de mon Esprit
sur toute chair.» (Jl 2,28). Mais ici, Dieu n'a point versé de son Esprit, c'est
son Esprit tout entier qui est descendu, et c'est ce qui fait dire à
l'évangéliste : «Dieu ne donne point son Esprit avec mesure.» «La myrrhe,
l'ambre et la casse s'exhalent de tes vêtements.» (Ibid. 9). Une autre version
porte : «se répandent sur ton vêtement»; une autre : «sur tous tes
vêtements.»
10. Suivant quelques interprètes, le Roi-prophète fait ici allusion à la
sépulture du Sauveur; d'autres y voient la différence de l'Onction qu'Il a
reçue. En effet, c'était avec d'autres parfums que la myrrhe, l'ambre et la
casse que se faisaient les onctions. Pour vous apprendre donc que l'Onction qu'a
reçue Jésus Christ n'a aucun rapport avec les autres, David énumère des parfums
tout différents et fait ainsi ressortir la singularité de cette Onction. Ces
paroles : «de tes vêtements» montrent que ses vêtements eux-mêmes étaient pleins
de grâce. Aussi cette femme, qui était malade d'une perte de sang, en arrêta
l'écoulement aussitôt qu'elle eut touché le bord de ses vêtements. (Mt 9,20).
Rien n'empêche qu'on n'admette l'une ou l'autre de ces deux explications qui me
paraissent toutes deux vraisemblables. De même donc que vous n'avez pas entendu
dans un sens matériel l'arc, les flèches et les autres expressions figurées de
ce genre (car je crois utile de faire de nouveau cette observation), vous devez
entendre dans un sens exclusivement spirituel la myrrhe, la casse dont parle ici
le prophète. «Des maisons d'ivoire où les filles des rois T'ont comblé de joie
dans l'éclat de ta Gloire.» (Ibid. 10). Un autre interprète traduit : «Des
temples d'ivoire, où les hommages qu'ils T'ont rendus T'ont comblé de joie»; un
autre : «Dans les choses qui sont à ta Gloire.» Après les grandes Actions du
Sauveur, le Roi-prophète passe aux honneurs qui doivent les suivre, c'est-à-dire
à l'adoration qu'Il doit recevoir dans des temples magnifiques. Autrefois en
effet, cette matière était des plus précieuses, et l'ivoire était très
recherché. Aussi un autre prophète, s'adressant aux riches, leur dit : «Malheur
à vous qui dormez dans des lits d'ivoire.» (Am 6,4). David montre ensuite que la
prédication ne doit pas seulement se borner aux particuliers, mais qu'elle doit
soumettre les royaumes eux-mêmes qui élèveront au Fils de Dieu des temples
magnifiques. Toutes ces prédictions paraissent accomplies aujourd'hui. Le
Roi-prophète veut faire ressortir la vertu de la prédication, et il expose
comment elle a subjugué les femmes, les hommes, les particuliers, les riches de
la terre, ceux qui portent la couronne, leurs épouses, et a su les amener à
élever partout des temples à Dieu. Il poursuit cette pensée, lui donne de plus
grands développements, et décrit ceux qui viendront offrir au Fils de Dieu leurs
adorations et leurs prières. Il nous fait voir les peuples tombés à ses Pieds,
leurs coeurs touchés par sa Grâce, ses Victoires sur ses ennemis, les merveilles
de sa Droite, le règne de la vérité, de la douceur, de la justice établi sur la
terre. Il poursuit ce langage allégorique, et fait une description prophétique
et figurée de l'Église qu'il nous représente comme une épouse et comme une
reine. C'est sous ces mêmes traits que les apôtres l'ont décrite dans la suite :
«Je vous ai fiancée à un seul Époux, Jésus Christ, dit saint Paul, pour vous
présenter à Lui comme une vierge pure.» (2Cor 11,2). «L'époux, dit un autre, est
celui à qui est l'épouse.» (Jn 3,29). Et le Sauveur Lui-même : «Le royaume des
cieux est semblable à un roi qui célèbre les noces de son fils.» (Mt 17,2). «La
reine, dit le Roi-prophète, s'est tenue à ta Droite.» Suivant une autre version
: «Elle a été affermie», c'est-à-dire, elle s'est tenue d'une manière ferme et
inébranlable. C'est cette même vérité que Jésus Christ exprime en ces termes :
«Les portes de l'enfer ne prévaudront point contre elle.» (Mt 16,18). Vous voyez
quel honneur extraordinaire, quelle éclatante dignité lui sont accordés. Elle
était foulée aux pieds et reléguée au dernier rang, le Fils de Dieu l'élève
jusqu'à la placer à sa droite. Elle était captive, étrangère, livrée à des
amours infâmes, devenue un objet d'abomination, et vous voyez à quel degré
d'honneur le Sauveur la fait monter. Elle se tient près de lui avec les
puissances qui le servent. Le Fils de Dieu, égal en tout à Dieu son Père, est
assis à sa droite; pour l'Église, elle se tient debout. Elle est reine, il est
vrai, mais elle fait partie des êtres créés. Comment donc expliquer ces paroles
de saint Paul : «Il nous a ressuscités avec lui et nous a fait asseoir dans le
ciel en Jésus Christ ?» (Ep 2,6.) Remarquez ici l'exactitude du langage de
l'apôtre. Il ne dit pas simplement : «Il nous a ressuscités et Il nous a fait
asseoir»; mais il ajoute : «En Jésus Christ», c'est-à-dire dans la Personne de
Jésus Christ. Il est notre chef et nous sommes ses membres. (Ep 1,22.) Or,
puisque notre chef est assis à la droite de Dieu dans les cieux, nous
participons à cet honneur tout en restant sur la terre.
«Elle est revêtue d'un habit enrichi d'or, et couverte de vêtements de
diverses couleurs.» Un autre interprète traduit : «Couronnée d'un diadème d'or
d'Ophir.» Vous n'avez point pris dans le sens littéral un arc et les flèches
dont le roi était armé, et vous ne devez non plus entendre au littéral les
vêtements de l'épouse; mais ces images sensibles sont destinées à vous inspirer
des pensées qui soient dignes de Dieu. C'est pour détruire dans votre esprit
toute idée matérielle et sensible que le Roi-prophète ajoute : «Toute la gloire
de la fille du Roi vient du dedans.» Les vêtements sont ce qui paraît le plus à
l'extérieur, et ce qui frappe tout d'abord les regards quand il s'agit de choses
matérielles. Mais lorsqu'il est question d'objets tout spirituels, c'est à
l'intérieur qu'il faut tourner les yeux. C'est le Roi Lui-même qui a composé le
tissu de ce vêtement et qui en a revêtu l'épouse par le baptême. «Vous tous qui
avez été baptisés en Jésus Christ, dit saint Paul, vous vous êtes revêtus de
Jésus Christ.» (Ga 3,27.) Elle était auparavant dans un état qui faisait
horreur, en spectacle à tous les passants; mais aussitôt qu'elle fut couverte de
ce vêtement, elle a été élevée jusqu'au Trône de Dieu et jugée digne de se tenir
à sa Droite. C'est avec raison que le prophète décrit l'admirable variété de son
vêtement. Ce vêtement en effet n'est pas d'une seule espèce. Car la grâce ne
suffit pas pour le salut, il faut y joindre la foi, et après la foi, les
oeuvres. Mais il n'est pas ici question de vêtements; l'Esprit saint n'eut pas
mis tant de soin à décrire les riches vêtements d'une femme. Si en effet le
prophète Isaïe reproche aux femmes le luxe de leurs vêtements, (Is 3,16) et si
tout ce qui nourrit la mollesse est sévèrement condamné, comment l'Esprit saint
aurait-Il pu donner des éloges à une femme pour ses ornements et sa parure ?
«Écoute, ô ma fille, vois et prête l'oreille, oublie ton peuple et la maison de
ton père.» (Ibid. 12) «Et le Roi sera épris de votre beauté.» Une autre version
porte : «Afin qu'il soit épris. Parce qu'il est le Seigneur votre Dieu.» (Ibid.
12). On lit dans une autre version : «Il est notre Maître et les peuples
L'adoreront.» Un autre interprète traduit : «Adorez-le.» «Et la fille de Tyr
viendra avec des présents.» Suivant une autre version : «La fille qui est forte
apportera des présents. Tous les riches de la terre imploreront vos regards.»
(Ibid. 13)
11. Vous voyez qu'il n'y a rien ici de sensible, rien de corporel, tout
s'adresse à l'esprit. Comment en effet l'épouse du Très-Haut est-elle en même
temps sa fille ? Comment sa fille est-elle son épouse ? Il n'en est point ainsi
parmi les hommes, on ne peut être épouse et fille à la fois; mais en Dieu ces
deux titres peuvent s'accorder. C'est Lui qui régénère l'âme par le baptême, et
c'est Lui-même qui la prend pour épouse. «Écoute, ma fille, et vois.» Il donne
ici deux choses à l'épouse : sa Doctrine par l'entremise de la parole, et la vue
par le moyen des miracles et de la foi; et de ces deux choses, Il lui donne
l'une et lui promet l'autre. Écoute donc mes paroles, vois mes miracles, mes
oeuvres, et sois docile à mes leçons. Mais quel commandement lui fait-Il tout
d'abord : «Oublie ton peuple et la maison de ton père.» Comme c'est du milieu
des nations païennes qu'Il l'a choisie pour épouse, Il lui fait un devoir de se
dépouiller de toutes ses habitudes anciennes, d'en effacer jusqu'au souvenir,
d'en bannir la pensée de son âme, et non seulement de ne plus en faire la règle
de sa conduite, mais d'éviter même d'en rappeler le souvenir. «Et oublie ton
peuple et la maison de ton père.» Il comprend ici toute la vie de ceux qui font
partie de ce peuple, leurs actions aussi bien que leurs croyances. «Et le Roi
sera épris de ta beauté.» Vous voyez qu'Il ne parle pas ici de la beauté du
corps. Si tu es docile à mes conseils, lui dit-Il, une éclatante beauté sera ton
partage et le Roi sera épris de tes charmes. Tels ne sont pas les effets de la
beauté corporelle. Nous rencontrons ces charmes extérieurs chez les nations
infidèles, et nous y voyons des femmes d'une beauté remarquable. Or, une preuve
qu'il n'est point ici question de la beauté corporelle, c'est qu'elle est le
résultat de l'obéissance, et que l'obéissance ne produit pas la beauté du corps,
mais celle de l'âme. Si tu obéis à ma voix, ta beauté te gagnera le coeur de ton
Époux. «Parce qu'Il est Ton Seigneur.» Il est donc à la fois son Père, son
Époux, son Seigneur. Il lui a commandé de quitter ses parents, d'oublier son
peuple, de renoncer à sa vie ancienne; Il justifie ce commandement par les
considérations de l'ordre le plus élevé, il fait voir qu'il est souverainement
raisonnable et qu'il faut nécessairement y obéir. Si, en effet, Il est à la fois
ton Père, ton Époux, ton Maître, il est juste que tu brises tous les liens pour
t'attacher à Lui seul. Et Il ne dit pas : «parce qu'Il est ton Père,» mais :
«parce qu'Il est ton Seigneur;» pour faire sur son coeur une plus vive
impression. Celui qui est ton Seigneur et ton Père a voulu aussi être ton époux.
Que dis-je ? n'est-ce pas un effet de sa grande Miséricorde et de son
inépuisable Bonté qu'Il daigne être son Seigneur et l'admettre à son service
après qu'elle a été l'esclave des démons et le jouet de l'erreur ? Mais Il ne se
contente pas de l'admettre à son service, Il veut être encore son Père et son
Époux : «Oublie ton peuple et la maison de ton père.» Car ce n'est point à
un étranger que tu te donnes, mais à Celui qui t'a créée, qui t'est uni par les
liens les plus intimes, et dont la Providence ne cesse de veiller sur toi, de
prendre soin de toi. Il est ton Seigneur, il est ton Père, il est pour toi la
source de tous les biens.
«Et les peuples L'adoreront, et la fille de Tyr viendra Lui offrir des
présents.» Quelle est la liaison de ces paroles avec ce qui précède ? La voici :
le Roi-prophète donne un des motifs les plus pressants pour l'épouse de
s'attacher à son Époux. Venez à Lui, semble-t-Il lui dire, sa Puissance est des
plus grandes, et tous les hommes Lui obéiront. Il laisse le reste de la terre
et, prenant la partie pour le tout, Il choisit pour exemple une ville voisine
signalée alors pour son impiété, la citadelle forte du démon, et renommée par
toute la terre pour ses richesses et sa magnificence. Le Roi-prophète me paraît
personnifier ici toute espèce d'impiété et de désordre, car c'est l'habitude des
prophètes de caractériser les moeurs sous le nom des villes, comme dans ces
paroles d'Isaïe : «Écoutez la parole du Seigneur, princes de Sodome; prêtez
l'oreille à la loi de notre Dieu, peuple de Gomorrhe.» (Is 1,10). Il s'adressait
cependant aux Juifs, mais comme ils commettaient les crimes des habitants de
Sodome, le prophète leur en donne le nom. Et qu'y a-t-il d'étonnant qu'il les
appelle ainsi puisqu'un autre leur donne même pour pères des peuples célèbres
par leurs vices ? «Votre père était amorrhéen, et votre mère céthéenne.» (Ez 16,
3). La sainte Écriture n'arrête pas là son langage accusateur, elle va jusqu'à
les comparer à des animaux aux instincts cruels. C'est ainsi que nous lisons
dans le Nouveau Testament : «Serpents, race de vipères;» (Lc 3,7) et dans
l'Ancien : «Ils ont brisé les oeufs d'aspic et ourdi des toiles d'araignée.» (Is
59,5). Et ailleurs : «N'êtes-vous pas pour moi comme les enfants des Éthiopiens
?» (Am 9,7). C'est ainsi que le Roi-prophète donne le nom de Tyriens à ceux qui
joignent à l'impiété, des moeurs licencieuses. Et cependant, dit le Seigneur,
j'en triompherai, j'exercerai sur eux un tel empire qu'ils seront forcés de
m'adorer. Ils iront même plus loin, ils m'offriront des présents et les prémices
de leurs biens, ce qui est un des plus grands hommages d'adoration et la marque
d'une obéissance absolue. «Les riches du peuple imploreront tes regards.» Que
signifie cette expression : «Ils imploreront» ? C'est-à-dire les grands du
peuple, les plus élevés d'entre eux vous prodigueront les plus grands honneurs.
C'est ce que nous voyons s'accomplir dans l'Église, les hommes vraiment vertueux
sont un objet de vénération pour tous les autres, même pour ceux qui sont les
plus distingués par leurs richesses ou leurs fonctions. Car c'est le privilège
de la vertu d'être supérieure à tous les avantages de la terre.
12. Voyez en même temps les honneurs que tous les hommes rendent à l'Église.
C'est avec raison que le Roi-prophète lui dit : «tes regards, ton visage;»
c'est-à-dire ta gloire, ta beauté, ta splendeur. Mais, de peur que ces
expressions figurées de visage, de vêtements, de beauté, ne réveillent des
pensées matérielles, il ajoute : «Toute la gloire de la fille du Roi lui
vient du dedans.» (Ibid. 14). Entrez dans votre intérieur, nous dit-il, apprenez
quelle est la véritable beauté de l'âme, c'est de cette beauté que je vous
parle, et sous ces expressions figurées de vêtements, de beauté corporelle, de
franges, de riches ornements et d'autres images semblables, c'est l'âme qui est
l'objet de mes paroles et de mes enseignements, c'est la vertu et la gloire
intérieure.
Après avoir ainsi rectifié l'erreur des esprits grossiers, il emprunte de
nouveau sans crainte ses comparaisons aux objets extérieurs : «Au milieu des
franges d'or et des divers ornements dont elle est environnée.» Un autre
interprète traduit : «Revêtue d'ornements variés rehaussés d'agrafes d'or.» L'or
est ici comme précédemment l'emblème de la vertu. Saint Paul nous dit dans le
même sens : «Si quelqu'un élève sur ce fondement un édifice d'or, d'argent, de
pierres précieuses, de bois, de foin, de paille.» (1Cor 3,12). C'est la vertu et
le vice qu'il nous représente sous le nom de ces différents objets. Le
Roi-prophète ne veut pas vous laisser supposer que ce sont là les ornements du
corps, aussi vous défend-il toute représentation matérielle en attirant vos
pensées à l'intérieur. Ces ornements extérieurs contribuent à rendre la beauté
du corps plus éclatante; ainsi la vertu est-elle le plus bel ornement de
l'âme.
«Des vierges seront amenées au Roi après elle.» Une autre version porte :
«Elles suivront leur compagne et vous seront amenées.» (Ibid. 15). «Elles seront
présentées avec des transports de joie; on les conduira jusque dans le temple du
Roi» (Ibid. 16). Comprenez-vous quel est ce vêtement garni de franges, quels
sont ces ornements rehaussés d'or ? C'est la fleur de la virginité, c'est le
vêtement de l'Église. Considérez ici la précision du langage du Roi-prophète. Ce
n'est pas dès la naissance, dans les premiers jours de l'Église, que la vertu de
la virginité a poussé ses fleurs, mais quelque temps après. Aussi, David n'en
parle-t-il qu'après que l'épouse a oublié son peuple et la maison de son père,
qu'elle s'est revêtue de ses riches ornements et qu'elle s'est montrée dans tout
l'éclat de sa beauté. C'est pour cela qu'il dit : «Celles qui sont tes proches
te seront présentées;» ses proches, c'est-à-dire celles qui lui sont unies moins
par les liens d'une même patrie que par la conformité des moeurs et des
sentiments. Vous ne pouvez donc donner légitimement aux filles des hérétiques le
nom de vierges, car elles ne sont point les proches de la reine. «Elles vous
seront présentées avec des transports d'allégresse. Vous voyez ici briller d'un
vif éclat une vérité proclamée par l'Apôtre, et à laquelle le Roi-prophète rend
lui-même témoignage. Quelle est cette vérité ? «Ces personnes souffriront les
tribulations de la chair.» (1Cor 7, 28). Mais si elles sont dans la tribulation,
les vierges seront dans la joie et dans l'allégresse. Les personnes mariées en
effet, sont en proie à tous les soucis qu'imposent les enfants, un mari, une
maison, des serviteurs, des parents, des beaux-pères, des gendres, des neveux,
enfin une famille nombreuse ou la privation d'enfants, car mon dessein n'est pas
d'énumérer ici les sollicitudes multipliées du mariage. La vierge, au contraire,
crucifiée au monde, affranchie des soucis de la terre, élevée au-dessus des
préoccupations de la vie présente, traverse heureusement le détroit, et les yeux
fixés tous les jours vers le ciel, elle jouit de la joie de l'Esprit saint, et
nage au sein d'un bonheur sans mélange. Le Roi-prophète ne se contente pas de
lui prédire le bonheur pour la vie présente, mais aussi les joies futures de ce
jour où les vierges iront au-devant de l'Époux, tenant en leurs mains des lampes
qui répandront une lumière éclatante. (Mt 25,6). Le temple du Roi c'est son
palais, le lit de l'Époux, la chambre nuptiale. «Des enfants te sont nés pour
prendre la place de tes pères.» (Ibid. 17). Un autre interprète traduit : «Tes
fils seront à toi.» Il avait commandé précédemment à l'épouse d'oublier son
peuple et la maison de son père; il lui prédit ici encore les heureux effets
dont ce sacrifice sera récompensé. Celle qui était stérile deviendra la mère
d'une multitude innombrable d'enfants. Tu as renoncé, il est vrai, à tes
parents, mais les choeurs de tes enfants seront environnés de tant d'honneur et
de tant de gloire, et jetteront par leur nombre un si vif éclat, qu'ils
rempliront la terre tout entière.
13. Le Roi-prophète me paraît avoir ici en vue les apôtres, qui sont devenus
les docteurs de l'Église, et il décrit leur puissance, leur force, leur gloire,
en ajoutant : «Tu les feras régner sur toute la terre.» Ces paroles ont-elles
besoin d'explication ? Je ne le pense pas; le soleil dans tout son éclat n'a pas
besoin de démonstration, or, ces paroles sont plus lumineuses que le soleil. Les
apôtres ont parcouru le monde entier, et ils ont régné sur l'univers dans un
sens plus vrai et avec une puissance plus grande que ne l'ont fait les princes
et les rois de la terre. La puissance des rois ne peut s'exercer que pendant
leur vie, et elle cesse avec leur dernier soupir, tandis que la puissance des
apôtres n'a jamais été plus grande qu'après leur mort. Ajoutons encore que les
lois des rois de la terre n'ont de force que dans les limites étroites de leur
royaume, tandis que les lois promulguées par de simples pécheurs ont étendu leur
empire jusqu'aux extrémités du monde. Un empereur romain ne peut imposer des
lois aux Perses, ni le roi des Perses aux sujets de l'empire romain; et les
apôtres, Juifs d'origine, ont imposé leurs lois aux Perses, aux Romains, aux
Thraces, aux Scythes, aux Indiens, aux Maures, à l'univers entier. Ces lois
n'ont point été seulement en vigueur pendant leur vie, mais après leur mort, et
ceux qui les ont reçues et embrassées, aimeraient mieux donner mille fois leur
vie que de secouer leur autorité. «Je me souviendrai de ton Nom d'âge en âge.
C'est pour cela que les peuples publieront éternellement tes louanges dans tous
les siècles des siècles.» (Ibid. 18). Une autre version porte : «Je rappellerai
le souvenir de ton Nom dans chaque génération. C'est pour cela que les peuples
publieront éternellement tes louanges.» Une autre version : «C'est pour cela que
les peuples Te rendront gloire.» Le Roi-prophète a mesuré la grandeur de la
Puissance du Fils de Dieu sur l'étendue de l'univers, sur la longueur de la
terre, sur la multitude des peuples soumis à son empire. Un autre caractère,
comme une autre preuve de sa puissance, c'est qu'elle s'étendra non seulement
par tout l'univers, mais à travers tous les âges. Ta mémoire sera immortelle,
elle sera écrite en traits ineffaçables dans nos livres, écrite dans les
événements, écrite dans les lois. Vous voyez comme il prédit ici la perpétuité
de sa prophétie. C'est le sens de ces paroles : «Je me souviendrai de ton Nom de
génération en génération, lors même que j'aurai cessé de vivre, je célébrerai
ton Nom jusque dans le tombeau. Car si mon corps tombe en dissolution, mes
écrits me survivront et la loi sera éternelle. C'est pour cela que les peuples
Te rendront gloire.» Il finit ce psaume comme il l'avait commencé, c'est-à-dire
par Jésus Christ. «C'est pour cela.» Qu'est-ce à dire ? Tu T'es signalé par
une multitude d'actions éclatantes, Tu nous as donné d'illustres chefs, Tu as
détruit le règne du vice, fondé celui de la vertu, épousé notre nature, opéré
des merveilles ineffables. C'est pour cela que l'univers entier chantera ta
Gloire, non dans un espace de temps limité, pendant dix, vingt ou cent ans, ni
dans une seule contrée de la terre, mais par toute la terre, sur la mer, dans
les contrées peuplées d'habitants, comme dans les déserts inhabités, dans toute
la durée des siècles, en rendant grâces pour tant de bienfaits que les hommes
ont reçus de Toi. Rendons nous-mêmes d'immortelles actions de grâces pour tous
ces bienfaits à Jésus Christ Sauveur, plein de bonté et de miséricorde, par
lequel et avec lequel gloire soit au Père avec le saint Esprit, maintenant et
toujours, et dans les siècles des siècles. Amen.
-
Jean Chrysostome