1. Plus haut, dans le cent quarante-quatrième psaume, le
prophète a dit : "Grand est le Seigneur et digne de louanges infinies;" puis il
a beaucoup parlé de la Gloire de Dieu. Ici, c'est l'acte même de la louange
qu'il proclame un bien, c'est le psaume qu'il nous montre comme une source
intarissable de grâces. Il détache l'âme de la terre, il lui donne des ailes
embrasées, il la tient à d'incomparables hauteurs. Voilà pourquoi Paul disait :
"Chantez dans vos coeurs des hymnes et des psaumes au Seigneur." (Ep 5,19). "Que
la louange soit agréable à votre Dieu." Une autre version porte: "Alléluia,
parce qu'il est bon de chanter Dieu." Pourquoi cette parole: "Que la louange
soit agréable à votre Dieu ?" - Qu'elle soit favorablement accueillie; mais pour
cela, pour que la louange soit réellement agréable à Dieu, il ne suffit pas que
la voix chante, il y faut aussi la vie, la prière, la vigilance et l'amour. -
Pour moi, j'ai la pensée que ce psaume s'applique au retour de la captivité;
c'est ce que me paraissent montrer les paroles qui suivent: "C'est le Seigneur
qui relève les murs, de Jérusalem, Il réunira les restes dispersés d'Israël."
(Ps 146,2). C'est bien Cyrus qui les renvoya dans leur patrie, mais sans avoir
conscience de ce qu'il faisait; tout arrivait par la Volonté divine. Un autre
interprète dit simplement : "Le Seigneur bâtira...," et remplace ensuite l'idée
de dispersion par celle d'expulsion. Tout cela s'explique : ils ne furent pas
tous ramenés à la fois; après l'ordre du retour, ils se réunirent peu à
peu.
"C'est Lui qui guérit ceux dont le coeur est broyé et qui bande
leurs blessures." (Ibid., 3). Une autre version : "Toutes leurs fractures."
Comme le prophète connaissait la fragilité de la vie, l'image du malheur et
celle de la divine Miséricorde sont invoquées de nouveau par lui. C'est en
quelque sorte la fonction propre de Dieu de consoler ceux qui sont humiliés;
Paul le désigne comme étant celui "qui vivifie les morts," (Rom 4,17), et qui de
plus appelle les choses qui ne sont pas, comme celles qui sont." C'est encore la
fonction propre de Dieu qu'il désigne, comme le prophète quand il disait : "Qui
guérit ceux dont le coeur est broyé," nous montrant par là que, malgré notre
indignité, du moment où nous sommes son oeuvre, Dieu n'abandonnera pas ce qu'Il
a lui-même créé et sera toujours semblable à Lui-même. Paul dit aussi : "Celui
qui console les humbles, nous a consolés." (Il Cor 7,6). Isaïe avait dit avant
lui : "C'est Lui qui donne la confiance à ceux dont l'âme est affaiblie." (Is
57,15). David lui-même s'exprime ailleurs en ces termes : "Dieu ne méprisera pas
un coeur contrit et humilié." (Ps 50,19). Voulez-vous obtenir les divines
consolations, humiliez-vous, courbez votre intelligence.
Ce qui précède regarde la Bienveillance de Dieu, sa Libéralité,
son Amour pour les hommes; nous y voyons que c'est comme la fonction de sa
Providence de secourir ceux qui sont dans le malheur. Ce qui suit regarde sa
Puissance. "Il compte la multitude des astres;" (Ps 146,4); Il en sait le
nombre. Comme il s'agissait d'une multitude dispersée et qui ne paraissait nulle
part, c'est avec à-propos que l'auteur sacré choisit cet exemple, son intention
étant de montrer que Dieu pouvait réunir sans peine son peuple dispersé, Lui qui
relève et console les affligés, Lui qui compte exactement l'innombrable
multitude des étoiles. Il pourra donc aussi nous ramener et nous réunir tous,
quoique nous devions égaler ce nombre, selon qu'Il nous l'a promis. "Il leur
donne à tous un nom." Une autre version supprime le mot "leur." Une autre encore
porte : "Il les appellera tous par leur nom." J'ai la conviction qu'il parle là
des Israélites, et que le Roi-prophète exprime la même pensée qu'exprimera plus
tard Isaïe : "Ne crains pas, Israël. Je t'ai appelé des antres de la terre, et
Je t'ai dit : Tu es mon enfant." (ils 41,9). Que signifie cette parole : "Il les
appellera tous par leur nom ?" - Aucun d'eux ne périra, Il les ramènera tous
jusqu'au dernier, comme lorsqu'on fait un appel nominal.
"Grand est le Seigneur que nous avons, grande est sa
Puissance." (Ibid., 5). Il venait de dire une chose étonnante, à savoir que Dieu
réunirait de nouveau tant de milliers d'hommes dispersés sur la surface de la
terre; il parle donc maintenant de sa Puissance, afin de créer cette conviction
dans l'âme des Juifs, que tout cela remplissait de trouble. "Et sa Sagesse est
au-dessus de toute pensée." Ne demandez donc pas comment et par quels moyens Il
agit; car sa Grandeur est infinie. C'est l'expression même d'un autre psaume :
"Sa grandeur n'a pas de bornes." (Ps 144,3). Sa Sagesse n'est pas moins infinie
que sa Grandeur. C'est pour cela qu'après avoir dit : "Grand est le Seigneur que
nous avons," le prophète ajoute : "Et sa Sagesse est au-dessus de toute pensée."
Sa Science est également admirable; et de là cette expression : "La connaissance
que Tu as de moi m'étonne; elle me domine, et je n'y puis résister." (Ps 138,6).
Ses Jugements aussi sont insondables; David le disait ailleurs : "Tes Jugements
sont un abîme sans fond." (Ps 35,7).
2. En présence de cette grandeur, de cette puissance et de
cette sagesse, ne cherchez donc pas comment s'accompliront ses dessins. "Le
Seigneur accueille les hommes humbles et doux, il abaisse les pécheurs jusqu'à
terre." (Ps 146,6). Pour que les insensés n'eussent pas à dire : Que nous
importe à nous qu'il connaisse parfaitement tous les astres? le prophète expose
à nos yeux le soin que Dieu prend des hommes. Il ne dit même pas : Le Seigneur
vient en aide aux hommes humbles et doux; il dit quelque chose de bien plus fort
: "Il les accueille;" Il les reçoit; c'est comme s'il parlait d'un tendre père;
j'insiste sur cette expression : Il les réchauffe, Il les porte dans ses Bras.
Voyez-vous, encore une fois, combien sa Puissance se montre irrésistible sous ce
double aspect, et quand il s'agit d'élever les humbles, et quand il s'agit
d'abaisser les superbes ? Il humilie ces derniers, non d'une manière quelconque,
mais au suprême degré, "jusqu'à terre," selon l'expression du psalmiste.
"Chantez au Seigneur un cantique de louanges." (Ibid., 7). Une autre version dit
: "Racontez ses louanges." Après avoir donc signalé les Oeuvres de Dieu, le
prophète nous appelle de nouveau à célébrer sa Gloire : "Chantez au Seigneur un
cantique de louanges," dans une sainte ardeur, avec des transports de
reconnaissance. "Chantez notre Dieu sur la cithare" D'après une autre version :
"Sur la lyre." <"C'est Lui qui couvre le ciel de nuées et qui prépare la
pluie pour la terre." (lbid., 8). L'auteur sacré n'a pas voulu qu'un insensé pût
dire : Que me fait à moi ce qui se passe dans les régions célestes? Il se hâte
donc d'ajouter ce qui touche à l'intérêt des hommes, en disant la raison pour
laquelle Dieu couvre le ciel de nuées. - C'est pour toi, semble-t-il me dire,
c'est pour te donner la pluie; car la pluie est bien pour toi, elle enrichit tes
prairies. - Remarquez encore sa Sagesse : Il nous parle là des biens communs, de
ceux qu'il donne à tous, et dont l'abondance doit certes fermer la bouche de
l'impie. Or, s'il se montre aussi magnifique envers les infidèles, si pour eux
il rassemble les nuées, fait tomber la pluie et féconde la terre, que ne
fera-t-Il pas pour vous, son peuple particulier? "Il produit le foin sur les
montagnes." Remarquez une fois de plus l'étendue de sa Providence : ce
n'est pas seulement dans les terres cultivées, c'est encore sur les montagnes
qu'il dispose une table abondante pour les animaux destinés au service de
l'homme. Voilà pourquoi le prophète ajoute : "Il donne leur nourriture aux bêtes
de somme ainsi qu'aux petits des corbeaux, qui L'invoquent." (Ibid., 9). Nous
apercevons ici la Magnificence divine sous un autre aspect: ce n'est pas
seulement aux animaux domestiques, à ces utiles serviteurs de l'homme; c'est
encore aux bêtes sauvages que la nourriture est donnée: "Ainsi qu'aux petits des
corbeaux, qui L'invoquent." Si la Providence étend ses soins sur tous les
animaux, sans en excepter ceux qui vivent loin de l'homme et qui ne lui sont
d'aucun secours, combien plus n'aura-t-elle pas soin des hommes eux-mêmes, et
particulièrement des hommes qui louent et chantent le Seigneur, et qui par
là-même sont appelés son peuple spécial, la portion de son héritage? Puis, comme
le prophète parlait à des êtres faibles et désarmés, dénués de tout appui, voyez
de quelle manière il les prémunit contre le trouble qui devait les saisir, et
contre leur faiblesse même.
"Le Seigneur dédaigne celui qui se confie dans la force de son
cheval ou dans la vitesse de ses pieds. Le Seigneur met sa complaisance en ceux
qui Le craignent, en ceux qui comptent sur sa Miséricorde." ou bien, d'après une
autre version : "Qui attendent sa Miséricorde." (Ibid., 10,11). Si vous avez ces
deux choses, dit-il, la crainte et l'espérance selon Dieu, vous obtiendrez sa
Bienveillance; et, cette bienveillance vous étant acquise, vous l'emporterez sur
tous ceux qui possèdent des chevaux et des armes. Ce qu'on exige de vous, c'est
que vous ne tombiez ni dans l'abattement, ni dans le trouble, et que vous
espériez en sa Miséricorde; la véritable espérance consiste à ne pas se
déconcerter, à ne pas se décourager, quand le secours se fait attendre. - C'est
avec raison qu'il dit : "Sur sa Miséricorde;" car ils ne pouvaient pas compter
sur leurs propres actions. - Quoique vous n'ayez donc pas de bonnes oeuvres
à faire valoir, si vous espérez seulement en sa Miséricorde, vous serez l'objet
de sa sollicitude et de sa protection.
Puissions-nous tous obtenir cette faveur, par la Grâce et
l'Amour de notre Seigneur Jésus Christ, à qui gloire et puissance, dans les
siècles des siècles. Amen.
-
Jean Chrysostome