I. Il est juste de porter une attention spéciale sur ce psaume.
C'est celui qui renferme les paroles que redisent incessamment les initiés à nos
divins mystères : "Vers Toi sont dirigés les yeux de tous les hommes, et Tu leur
distribues la nourriture dans le temps opportun." (Ibid., 15). Quand on a la
dignité de fils, quand on peut s'asseoir à la table spirituelle, c'est à bon
droit qu'on glorifie son père. "Le père est glorifié par le fils, le maître est
craint par le serviteur." (Mal 1,6). Vous avez acquis l'honneur de la filiation,
vous avez votre place au banquet sacré, vous prenez pour nourriture la chair et
le sang de Celui qui vous a régénéré; rendez-Lui donc grâces pour un si grand
bienfait, glorifiez-Le de sa Munificence, et, quand vous lisez les paroles du
texte, conformez-y vos pensées. Lorsque vous dites : "Je T'exalterai, ô mon
Dieu, ô mon Roi," montrez à Dieu la plus vive tendresse, afin qu'Il dise de vous
ce qu'Il a dit des patriarches : "Je suis le Dieu d'Abraham, le Dieu d'Isaac, le
Dieu de Jacob." (Ex 3,6). En prononçant ces paroles : "Mon Dieu et mon Roi," si
vous ne les prononcez pas seulement de bouche et qu'elles soient l'expression de
vos sentiments, Lui-même dira de son côté : Mon serviteur et mon enfant; ce que
du reste il a dit de Moïse. "Et je bénirai votre nom dans les siècles, et dans
les siècles des siècles." Vous le voyez, Il vous montre là les récompenses de la
vie future. La bénédiction dont il s'agit n'est pas celle qui se traduit par des
paroles, mais bien celle qui se manifeste par les oeuvres. Voilà comment nous
pouvons exalter Dieu, Le bénir. C'est ce qu'il nous est ordonné de dire dans la
prière : "Que ton Nom soit sanctifié," ou bien glorifié. (Mt 6,9).
"Chaque jour je Te bénirai, je louerai ton Nom dans les
siècles, et dans les siècles des siècles." (Ps 144,2). Une autre version
porte : "Dans les siècles sans fin." Le propre d'une âme pieuse, c'est de
s'abstraire des choses de la vie pour s'adonner aux saints cantiques. Il serait
honteux que l'homme étant doué de raison et le plus élevé de tous les êtres
visibles, fût le dernier de tous en ce qui concerne les divines louanges; ce ne
serait pas seulement honteux, ce serait encore déraisonnable. Et comment
pourrait-il en être autrement, puisque toute créature glorifie le Seigneur à
chaque instant du jour ? "Les cieux, dit le même prophète, racontent la Gloire
de Dieu, et le firmament annonce la puissance de ses Mains. Le jour transmet la
parole au jour, et la nuit lègue à la nuit la science." (Ps 18,2-3). Le soleil,
la lune, tous les choeurs des astres, cette magnifique harmonie de l'univers,
célèbrent à l'envi l'Ouvrier suprême. Dès lors, si celui qui l'emporte sur tous
ces êtres n'accomplit pas ce devoir, s'il vit même de manière à faire maudire
son Créateur, comment serait-il digne de pardon, quel moyen de défense
pourrait-il invoquer ? Il a reçu l'existence pour plaire à Dieu, à ce Dieu plein
d'amour pour les hommes, et pour posséder le royaume des cieux; et voilà qu'il
ne tient aucun compte de cette distinction, qu'il se plonge tout entier dans les
affaires du temps et les sollicitudes du monde. Telle n'était pas la conduite de
David; durant tout le cours de sa vie il rendait gloire à Dieu par ses paroles
et par ses oeuvres.
Nous sommes en toutes choses les débiteurs de la Bonté suprême
: elle nous a tirés du néant, elle nous a faits ce que nous sommes, elle dirige
cette vie qu'elle nous a donnée, chaque jour elle pourvoit à nos besoins
généraux ou particuliers, d'une manière ouverte ou secrète, que nous le sachions
ou que nous ne le sachions pas. Est-il nécessaire de dire les bienfaits qui
tombent sous nos yeux, les services que nous rendent toutes les créatures,
l'organisation du corps, la noblesse de l'âme, l'ordre constant de la
Providence, son action par les miracles, par les lois, par les châtiments même,
par tant d'autres moyens que nous ne pouvons embrasser, tous les biens réunis
dans un seul, Dieu n'épargnant pas son Fils unique par amour pour nous, ce que
nous avons déjà reçu dans le baptême et les autres sacrements, les dons
ineffables que nous avons à recevoir encore, l'éternel royaume, la résurrection,
l'héritage de la complète félicité ? Qu'on parcoure chacune de ces choses, et
l'on sera entraîné dans un immense océan de bienfaits, et l'on verra combien
nous sommes redevables à la Bonté du Seigneur. Ce n'est pas seulement là-dessus
que repose notre dette, elle est encore basée sur la grandeur de la Majesté
divine, sur l'excellence de cette Nature qui subsiste à jamais; car sous ce
rapport nous Lui devons aussi la gloire, la bénédiction, d'immortelles actions
de grâces, l'adoration, une infatigable obéissance.
C'est également là ce que le prophète nous enseigne quand il
dit : "Grand est le Seigneur, et digne à jamais de nos louanges; sa Grandeur ne
connaît pas de bornes." (Ibid., 3). "Je Le bénirai et je Le louerai," avait-il
dit; et maintenant il montre que Dieu n'a nullement besoin de nos louanges et de
nos bénédictions, que les hymnes de ceux qui le servent ne peuvent rien ajouter
à sa Gloire; car sa Substance est à l'abri de tout amoindrissement et de toute
nécessité, et les louanges dont Il est l'objet tournent uniquement à notre
gloire. Ce n'est donc pas seulement à cause du bien qu'Il nous fait, c'est
encore et surtout à cause de sa Grandeur infinie que nous Lui devons nos
louanges; c'est la pensée du prophète quand il dit : "Grand est le Seigneur, et
digne éminemment d'être loué;" rien ne Lui manque; mais Il a droit à nos
louanges, à nos hymnes d'adoration et d'amour. Il n'en est pas seulement digne,
Il en est infiniment digne. Tel est le sens de ce verset. Puis, le prophète
désespérant d'exprimer cette dignité, ajoute : "Et sa Grandeur n'a pas de
bornes." Au lieu de grandeur, une autre version porte invention. Voici la leçon
renfermée dans ces mots : Puisque vous avez un Maître si grand, soyez grand vous
aussi, et dégagez-vous des choses de la vie présente. Prenez des sentiments qui
s'élèvent au-dessus des grossiers intérêts de la terre, non certes, pour vous
enfler et vous enorgueillir, mais pour donner à notre âme l'ampleur et
l'élévation qui lui conviennent. Autre chose est l'arrogance de l'orgueil, autre
chose la grandeur d'âme. L'orgueilleux arrogant est celui qui se glorifie de
choses de néant et qui méprise ses semblables : une âme grande est celle qui
possède la véritable humilité et qui regarde comme rien toutes les pompes du
monde.
2. Où sont maintenant ceux qui prétendent connaître Dieu comme
Dieu Se connaît Lui-même ? Qu'ils entendent le prophète, quand il dit : "Sa
grandeur n'a pas de bornes;" et qu'ils rougissent de leur folie. "Chaque
génération en passant admirera tes ‘uvres." (lbid., 4). Ce qu'il a coutume de
faire David, le fait encore ici : Après avoir célébré la Grandeur et la Gloire
de Dieu, il en vient à célébrer ses ‘uvres. Vous l'entendez maintenant : "Chaque
génération en passant, admirera tes ‘uvres." Par les oeuvres, il donne à
comprendre la Grandeur de l'Ouvrier. Ces oeuvres n'ont pas été faites pour
subsister un temps seulement et disparaître ensuite; leur existence ne se borne
pas à deux ou trois années, elles s'étendent à tout le siècle présent, de telle
sorte que chaque génération puisse les contempler à son tour. "La génération et
la génération," porte le texte; la génération actuelle et celle qui la suit,
celle qui devra venir après, toutes les générations, en un mot, qui se
remplaceront sur la terre. Et ces oeuvres qui doivent avoir la même durée sont
le ciel, la terre, la mer, l'air, les lacs, les fontaines, les fleurs, les
semences, les plantes, la végétation tout entière avec tous les bienfaits dont
elle est la source, ce cours de la nature qui n'est jamais interrompu, les
pluies, les changements de saisons si régulières dans leur marche, la nuit et le
jour, le soleil et la lune, tous les astres et toutes les autres créatures du
même genre; outre cela, ce qui s'accomplit chaque jour, en public ou en
particulier, pour la conversion et le salut du genre humain tout entier, les
signes et les prodiges constamment opérés chez les Juifs, les victoires que la
Providence leur faisait remporter, les moissons abondantes qu'elle leur
ménageait, toutes les autres faveurs dont elle a comblé les hommes, soit à
l'Avènement du Christ, soit au temps des apôtres, soit à l'époque des
persécutions, soit même dans la génération présente, quoique ses Bienfaits aient
été beaucoup plus nombreux et signalés chez les anciens. Il n'est pas d'époque
qui n'ait reçu quelque preuve éclatante de son Amour, indépendamment des grâces
communes et ordinaires. "Elles publieront sa Puissance," cette puissance qui se
manifeste par les châtiments aussi bien que par les bienfaits; car Dieu ne cesse
dans aucun temps de pourvoir par tous les moyens au bien de notre
nature.
"Elles rediront la magnificence et l'éclat de ta Sainteté,
elles raconteront tes Merveilles." (Ibid., 5). On lit dans une autre version :
"Elles raconteront la beauté de ta Gloire et les discours de tes Prodiges." À
peine le prophète a-t-il nommé la Puissance divine, qu'il nous la montre comme
infinie : elle n'agit pas en vain ni pour accomplir des choses vulgaires; son
Action est toujours admirable et merveilleuse, elle renverse toutes nos idées en
dépassant notre intelligence, elle éblouit nos regards par le rayonnement du
miracle et de la gloire. Considérez ce qui s'est fait en Égypte et dans la
Palestine, au temps d'Abraham, d'Isaac et de Joseph; en Égypte encore, au temps
de Moïse, dans le désert, dans la Terre promise elle-même; puis, durant la
captivité, sous Nabuchodonosor, dans la fournaise de Babylone, dans la fosse aux
lions; au retour des Juifs dans la patrie, dans ce qui regarde les prophètes.
Toutes ces choses proclamaient la Puissance, la Gloire et la Magnificence de
Celui qui les avait accomplies; elles jettent dans l'étonnement, elles frappent
de stupeur. "Elles annonceront ta Force redoutable, elles publieront ta
Grandeur," (Ibid., 6). On voit là les deux effets principaux de la Puissance
divine : elle se manifeste par les châtiments comme par les faveurs, et les
faits énumérés portent ce double caractère. Et ce n'est pas dans les événements
seuls qu'on peut le remarquer, il existe aussi dans les créatures, qui servent
d'instruments pour l'un et l'autre de ces deux genres de bienfaits : il y en a
de terribles, comme les éclairs, le tonnerre, la foudre, les tourbillons de feu,
la peste, la grêle, les insectes, la gelée, les incendies, les inondations;
parmi les reptiles, les dragons, les scorpions, les serpents venimeux; parmi les
animaux qui volent dans l'air, les sauterelles, et dans un ordre plus vil
encore, les mouches et les chenilles; car tout cela vient aussi de la
Providence, qui s'en sert pour rappeler les hommes à la vertu, les réveiller de
leur indolence et les arracher à ce léthargique sommeil qui les empêche de
travailler à leur salut. Dans les choses contraires se révèle aussi son Action
toute puissante. C'est donc pour nous montrer ce double aspect de son Amour, que
le prophète dit : "Elles publieront ta Force redoutable et ta
Magnificence."
"Elles rediront les abondantes effusions de ta Douceur (de ta
Bonté, lisons-nous dans une autre version); elles tressailliront dans ta
Justice." Un autre interprète dit : "Elles loueront tes Miséricordes." (Ibid.,
7). Pour nous, après avoir passé en revue les choses capables d'inspirer la
frayeur, nous devons parler aussi de celles qui nous inspirent un sentiment
opposé : dans ce qui frappe nos yeux et nous touche de plus près, les diverses
saisons, les jours, les jardins, les prairies, les fleurs sans nombre, l'eau si
douce dont nous nous abreuvons, les pluies qui nous sont si profitables, les
moissons, les divers fruits, les arbres de différentes espèces, le souffle
agréable des vents, les rayons du soleil, la douce clarté de la lune, les
choeurs variés des étoiles, le calme heureux de la nuit; dans les animaux
domestiques, les brebis, les chèvres et les boeufs; dans les bêtes fauves, les
chevreuils, les cerfs, les lièvres et tant d'autres; dans les oiseaux, ceux qui
nous viennent de l'Inde. Dans les ‘uvres du Créateur, nous ne voyons donc pas
seulement le châtiment qui s'exerce, nous voyons encore et surtout le bienfait
qui se répand et se multiplie. Les premières ont pour objet de nous ramener à
Dieu par la crainte, comme nous l'avons déjà dit; et, si parfois le châtiment
est réellement infligé, c'est à cause de ceux qui sont assez insensibles pour
que la crainte ne puisse les corriger. Dans les secondes, Il Se montre plein de
Magnificence, d'une Magnificence sans bornes, puisqu'elle éclate également sur
ceux qui en sont dignes et sur ceux qui n'en sont pas.
3. Cherchant notre salut par tous les moyens possibles, Il
accomplit tantôt les oeuvres de la justice et tantôt celles de l'amour, mais
plus souvent ces dernières, parce que ce sont les seules de son Choix. Il nous
menace de la géhenne, non pour nous l'infliger, mais pour ne pas nous l'infliger
au contraire; c'est pour le diable qu'Il l'a préparée : "Allez au feu,
dira-t-il, qui a été préparé pour le diable." (Mt 25,41). Pour les hommes, c'est
le royaume qu'Il a préparé, montrant ainsi que sa Volonté n'est pas qu'un homme
tombe dans la géhenne. "Le Seigneur est miséricordieux et clément, Il est plein
de patience et de mansuétude. Le Seigneur a pitié de tous ceux qui souffrent, et
ses Miséricordes sont par dessus toutes ses ‘uvres." (Ibid., 8,9). Vous le
voyez, le prophète s'arrête davantage sur ce qui regarde les bienfaits, il en
parle avec prédilection; car il n'ignore pas que la Bonté divine aime surtout à
se manifester de la sorte. Aucun espoir de salut, si l'Amour de Dieu pour les
hommes n'eût pas été ce qu'il est; supposez sa Bonté moins grande, et nous ne
subsisterions plus. C'est pour cela qu'Il disait : "C'est Moi qui efface tes
iniquités et qui te protège dans tes péchés." (Is 43,25).
"Le Seigneur est miséricordieux et clément." Comme il fait
ressortir l'ineffable Bonté de Dieu pour les hommes ! Non seulement Il a pitié
de ceux qui pèchent, semble-t-il dire, mais encore, leur donnant une autre
preuve non moins touchante de sa Clémence, II se montre envers eux plein de
longanimité, en leur donnant le temps de venir à résipiscence, et de joindre
ainsi le concours de leur zèle à l'action de sa Bonté pour accomplir l'oeuvre de
leur salut, et par là même les élever à la noble confiance d'une vie vertueuse.
Ce n'est pas inutilement qu'après avoir dit que le Seigneur est miséricordieux,
le prophète ajoute qu'Il est plein de miséricorde; il veut nous enseigner que
cet Attribut divin se refuse spécialement à toute mesure comme à toute
expression. Lui-même cependant s'efforce de l'exprimer, autant qu'il est
possible, dans la suite de ce texte : "Le Seigneur a pitié de tous ceux qui
souffrent, et ses Miséricordes sont par-dessus toutes ses ‘uvres." Il a pitié de
tous, sans en excepter les pécheurs, les hommes qui vivent dans le crime. En
effet, les justes ne sont pas les seuls témoins de son Amour, ni ceux qui se
corrigent et font pénitence; tous les hommes sans exception, par les souffrances
mêmes qu'ils endurent, proclament sa Clémence et sa Bonté. Voulez-vous des
exemples ? Je vous les donnerai. Ce n'est pas pour Abel seul, c'est aussi pour
Caïn; ce n'est pas pour Noé seul et sa famille, c'est encore pour ceux qui
furent engloutis par le déluge, que Dieu se montra bon; car tout ce qu'Il fait
provient de sa Miséricorde. Soyez attentifs, et vous verrez comment Il se montra
bon pour tous. Quelle bonté n'était-ce pas, je vous le demande, à l'égard de ce
fratricide, d'un homme qui s'était rendu coupable d'un tel forfait, dont les
mains s'étaient baignées dans le sang et qui s'était à ce point joué des lois
divines, de lui infliger un châtiment ou l'on pouvait voir une leçon plutôt
qu'une peine, puisqu'il avait pour but de donner au coupable le temps d'expier
son péché, tout en instruisant les autres par la vue de son infirmité ? Quelle
bonté n'était-ce pas, je vous le demande encore, à l'égard de cette génération
si profondément corrompue et dont le mal était incurable, que n'avaient pu
corriger ni les menaces ni les raisonnements, de l'arrêter dans le cours de ses
désordres par la loi commune qui pèse sur le genre humain, par la plus douce de
toutes les morts, en la faisant périr dans les eaux ? La pensée du prophète ne
s'arrête pas même aux hommes, elle s'étend à tous les êtres visibles, à tous les
genres d'animaux. Je dis plus, élevez-vous jusqu'aux rangs des anges et des
archanges, et vous verrez éclater la même bonté, la même miséricorde : pas une
‘uvre de Dieu qui ne soit l'expression de son Amour infini.
David le remarque lui-même, quand il dit après cela : "Que
toutes tes ‘uvres, Seigneur, Te louent, et que tes saints Te bénissent." (Ibid.,
10). Qu'ils vous rendent grâces, qu'ils élèvent vers Toi une hymne d'adoration,
et les êtres qui possèdent la parole, et ceux qui ne la possèdent pas. Chacun de
ces derniers, en effet, est constitué de telle manière qu'il bénit Dieu, sans
pouvoir élever la voix, par sa seule nature; il a pour interprètes les hommes
qui le voient et qui Le font servir à leur avantage : les êtres insensibles
louent Dieu parce qu'ils sont, et les hommes le louent par ce qu'ils font, par
le caractère de leur vie. C'est la leçon que le prophète nous donne, en ajoutant
: "Et que tes saints Te bénissent." Il appelle saints les hommes fidèles à la
loi de Dieu, ceux qui repoussent le mal et dont le coeur est inaccessible à
l'iniquité. "Ils publieront la gloire de ton royaume." (Ibid., 11). Que veut-il
dire par là ? Ils proclameront que Tu n'as nul besoin des créatures, que Tu es
plein d'amour et de sollicitude pour les hommes, que les êtres soumis à ton
empire sont l'objet d'un amour gratuit et ne peuvent rien faire pour Toi, que ta
Lumière se dérobe à leurs regards, qu'ils ne sauraient exprimer ni comprendre ta
Substance. "Ils célébreront ton Pouvoir." Ils chanteront ta Force irrésistible,
ta Puissance infinie; ce n'est pas que Tu aies besoin de ces hymnes et de ces
louanges; c'est pour leur propre bien et pour l'instruction des autres qu'ils Te
louent. Ils amèneront ainsi leurs semblables à Te chanter avec eux. Écoutez
encore le prophète : "Pour manifester ta Puissance aux enfants des hommes, la
gloire et les splendeurs de ton règne. " (Ibid., 12). C'est bien nous faire voir
que le Seigneur accepte nos louanges pour que les autres soient instruits de sa
Grandeur. Grande est donc la Puissance de Dieu, grande est sa Gloire, ineffable
est sa Majesté; elle ne défie pas seulement toute parole, elle triomphe encore
de toute pensée. Et cependant, toute grande, tout ineffable qu'elle est, il faut
des bouches qui la proclament à cause de l'ignorance de la plupart des mortels.
Le soleil est bien le plus éclatant de tous les astres; mais ceux dont les yeux
sont malades ne jouissent pas de sa clarté : la Providence de Dieu l'emporte en
éclat sur le soleil lui-même; mais ceux dont la raison est pervertie, dont les
oreilles sont fermées, ne sauraient la reconnaître si le zèle ne les en instruit
pas.
4. Voilà donc un enseignement qu'il faut sans cesse leur
prodiguer. Après avoir parlé de la gloire et de la magnificence du règne de
Dieu, le prophète juge qu'il n'en a pas assez dit; il y revient, il tâche
d'exprimer, autant qu'Il est en lui, ce qu'est cette Gloire divine : "Ton règne,
s'écrie-t-il, est un règne de tous les siècles." (Ibid., 13). Il ne se renferme
pas dans le présent, il s'étend à l'avenir; car c'est un règne sans limites,
infini, ayant pour domaine l'éternité. "Et ta Domination ira de génération en
génération." Cela veut toujours dire qu'elle n'aura pas de fin, qu'elle embrasse
tous les êtres et tous les siècles, qu'elle subsiste partout et à jamais. "Le
Seigneur est fidèle dans toutes ses Paroles, et saint dans toutes ses ‘uvres."
Après avoir proclamé la grandeur infinie et l'inébranlable stabilité de son
règne, le prophète rend encore hommage à la stabilité de sa Parole. "Le Seigneur
est fidèle;" rien ne saurait ébranler sa Vérité. Or, s'Il est ainsi fidèle, tout
ce qu'Il a dit s'accomplira. Autant son règne est à l'abri de toute secousse et
de tout changement, autant sa Parole est à l'abri de toute défaillance; ni
celui-là, ni celle-ci ne chancelleront jamais; et dire que la parole ne
chancelle pas, c'est affirmer tout ce qu'elle annonce. Pourrait-on citer une
chose qui ne se serait pas réalisée, cela même est une preuve de sa Vérité :
"Soudain, Je parlerai contre une nation et contre un royaume, pour annoncer leur
renversement et leur totale destruction; mais, s'ils font pénitence de leurs
désordres, Moi aussi Je me repentirai de mes Menaces." La même chose a lieu pour
les bons : "Je leur annoncerai des biens, ajoute-t-Il, mais, s'ils changent de
conduite, Moi aussi Je changerai ce que J'aurai dit." (Jer 18,7-10). "Il est
saint dans toutes ses ‘uvres." Qu'est-ce à dire, saint ? Irréprochable, droit,
pur, infiniment supérieur à toute accusation comme à toute souillure. "Le
Seigneur relève tous ceux qui tombent et rétablit tous ceux qui sont brisés."
(Ps 144,14). Le prophète a donc attesté la grandeur du règne de Dieu, la vérité
de sa Parole, l'inaltérable pureté de sa Conduite, sa Gloire et sa Splendeur;
maintenant il parle de nouveau de sa Clémence, qui fait par-dessus tout la
gloire de son règne : il nous Le représente donc soutenant ceux qui sont encore
debout, prévenant la chute de ceux qui sont sur le point de tomber, relevant
enfin ceux qui sont déjà à terre; et, ce qu'il y a de plus admirable, ce n'est
pas à celui-ci ou à celui-là, c'est à tous qu'Il accorde une telle grâce, à tous
sans en excepter les esclaves, les pauvres, les hommes de la dernière condition.
Il est le Seigneur de tous, Il ne saurait passer à côté d'un homme tombé, ni
fermer les yeux sur celui qui chancelle. Ce qu'Il a fait pour l'humanité tout
entière, Il le fait pour chaque homme en particulier. S'il en est parmi les
déchus qui ne se relèvent pas, ce n'est pas que son Secours leur manque, c'est
qu'ils ne veulent pas en profiter. Judas lui-même, après sa chute horrible, Dieu
l'aurait relevé; Il ne négligea rien dans ce but; c'est le coupable qui ne
voulut pas. La Main divine releva David et l'affermit dans la justice; elle
retint Pierre qui menaçait de tomber. Voici de quelle manière : "Simon, Simon,
Satan a demandé que vous lui fussiez livré pour vous passer au crible; mais J'ai
prié pour toi, afin que ta foi ne défaille jamais." (Luc 21,31-32).
Le prophète passe ensuite à un autre genre de bienfaits; car
les soins de la Providence sont multiples et divers. "Les yeux de tous espèrent
en Toi, Seigneur, et Tu donnes à tous leur nourriture dans le temps opportun."
(Ps 144,15). Avez-vous remarqué toutes ses ‘uvres ? L'Évangile a dit : "Il fait
lever son soleil sur les méchants comme sur les bons, et tomber la pluie sur les
justes et les injustes." (Mt 5,45). C'est la même pensée que nous voyons ici :
"Et Tu donnes à tous leur nourriture dans le temps opportun." Ce n'est pas
précisément la pluie, la terre ou l'air, c'est l'ordre même de Dieu qui produit
les moissons et les fruits. "Dans le temps opportun," dit le prophète, pour nous
rappeler que toute chose a son temps déterminé, que les productions de la terre
changent avec les saisons. Rien ne manifeste d'une manière plus évidente la
Sagesse de Dieu, que cette attention à ne pas nous donner tout en même temps, à
distribuer nos ressources dans tout le cours de l'année, pour que le laboureur
ait des moments de trêve et que les fruits de ses labeurs ne périssent pas.
Cette expression, "dans le temps opportun," ou bien veut dire que chaque chose a
son temps déterminé, comme nous l'avons interprété déjà, ou bien signifie que
Dieu donne leur nourriture à ceux qui sont dans le besoin. Comment le prophète
a-t-il pu dire, me demandera-t-on : "Les yeux de tous espèrent en Toi ?" Car
enfin beaucoup prétendent que tout dépend du hasard : ainsi pensent et parlent
les impies. Le prophète veut seulement parler de la nature même des choses,
comme lorsqu'il dit ailleurs : "Aux petits des corbeaux qui L'invoquent," (Ps
146,9), bien que les êtres privés de raison ne puissent invoquer Dieu. Il dit
encore ailleurs : "Les petits des lions rugissent, appelant la proie et
demandant à Dieu leur nourriture." (Ps 103,21). Ils ne demandent rien, eux non
plus, n'ayant pas la raison en partage. C'est toujours de la nature des choses
que le prophète entend parler : il n'attribue pas aux animaux une pensée
délibérée, il fait allusion à l'irrésistible instinct de la nature.
"Tu ouvres ta Main et Tu combles tout animal de tes Bienfaits."
(Ps 144,16). Il appelle main l'Action par laquelle Dieu nous fournit son
Secours; c'est toujours nous enseigner que les fruits de la terre proviennent,
non de la force des éléments, mais de la divine Providence. Nous y voyons encore
l'admirable facilité de cette action : "Tu ouvres ta Main," Tu n'as qu'à
l'ouvrir. Comme les hommes d'alors, laissant de côté la cause première de tous
les êtres, adoraient l'air et le soleil, parce qu'ils y reconnaissaient le
principe de tous les fruits, le Roi-prophète s'efforce de les ramener au
principe suprême, à la cause universelle, au Seigneur; et c'est pour cela qu'il
revient sans cesse à de tels enseignements, qu'il nous montre tous les biens
découlant de la Main de Dieu, de sa Bonté paternelle.
5. Il comble tout animal de ses Bénédictions ou de ses
Bienfaits, est-il dit encore, parce qu'Il traite chaque animal selon les vues de
sa Providence, de la manière qu'Il juge convenable; Il ne se borne pas à donner
les aliments, Il les distribue selon la nature et les besoins des diverses
espèces. Expliquons encore cela : Tu donnes aux bêtes, aux hommes, à tous, ce
qui convient et suffit à chacun; Tu ne donnes pas seulement, Tu remplis, si bien
que rien ne manque. Voilà le sens de ces mots : "Tu combles tout animal de tes
Bienfaits." Puis il continue : " Juste est le Seigneur dans toutes ses Voies, et
saint dans toutes ses ‘uvres." (Ibid., 17). Il appelle voies du Seigneur la
conduite de sa Providence, la Sollicitude avec laquelle Il dispose tout
l'univers. - Oui, toutes ses ‘uvres sont des hymnes de louange, des miracles
d'amour; elles ne fournissent aucun prétexte au blasphème, bien qu'il y ait tant
de furieux et d'insensés. - Les ‘uvres de Dieu sont donc telles, qu'elles
brillent et resplendissent, qu'elles vont proclamant partout la prévoyante
Bonté, la Clémence, la Justice et la Sainteté de celui qui les a
faites.
"Le Seigneur est près de tous ceux qui L'invoquent, de tous
ceux qui L'invoquent dans la vérité." (Ibid.,18). C'est ici une autre
manifestation de la Providence divine et la source de tous les biens. Après
avoir signalé ceux que Dieu répand sur tous les hommes en général, même sur les
infidèles, comme les moissons et les pluies, l'auteur sacré parle des bienfaits
accordés aux fidèles seuls. Quels sont ces bienfaits ? Que Dieu soit près de
ceux qui Le servent, qu'Il les couvre de sa Protection, qu'Il ait pour eux des
soins particuliers, une bienveillance spéciale, un amour de prédilection, des
faveurs que les autres ignorent. "Il accomplira la volonté de ceux qui Le
craignent, Il exaucera leurs prières, Il les sauvera." (Ibid., 19). Quelqu'un me
dira peut-être : Mais Paul voulait que l'ange de Satan s'éloignât de lui,
c'est-à-dire la tentation, les tribulations, les embûches; et Dieu ne se rendit
pas à ses voeux. - Il fit mieux que cela : dès que l'Apôtre eut compris qu'il
demandait des choses contraires à ses véritables intérêts, il se prit à désirer
avec une ardeur extrême son bien réel; et ce nouveau sentiment était l'‘uvre de
Dieu. De là cette parole : "Je me trouve heureux dans les infirmités, dans les
peines, dans les persécutions." ( 2 Cor 22,10). La volonté qu'il exprimait
auparavant n'était qu'un effet de son ignorance; mais, quand il eut reconnu la
Volonté de Dieu, il y conforma désormais la sienne. Ce que Dieu veut, les âmes
qui Le craignent le veulent aussi, et, s'il arrive qu'elles veuillent autre
chose par suite de la faiblesse humaine, elles se hâtent de revenir à de
meilleurs sentiments.
"Le Seigneur protège tous ceux qui L'aiment; Il dispersera tous
les pécheurs." (Ps 144,20). Voilà le rôle important de sa Providence :
conserver, défendre, pourvoir à tout. Les pécheurs dont il s'agit dans ce texte
sont ceux dont le mal est incurable, ceux qui refusent de se corriger. Si Dieu
permet quelquefois que la mort frappe ceux qui L'aiment, c'est encore un effet
de sa Protection : Abel en est un exemple frappant. Leurs corps périssent; mais
leurs âmes jettent un plus vif éclat; ils reprendront même leurs corps, qui
seront alors devenus immortels. Quand il a donc exposé les diverses formes que
revêt la Prévoyance divine, autant du moins qu'Il était en lui, quand il nous
l'a montrée s'occupant de tous les hommes en général et de chaque homme en
particulier, des justes et des pécheurs, de ceux qui chancellent et de ceux qui
sont déjà tombés, la Patience que Dieu met à raffermir les uns comme à relever
les autres; le prophète termine par un élan d'admiration et de louange : il
appelle tout l'univers à bénir le Seigneur avec lui. "Ma bouche ne cessera de
louer le Seigneur; et que toute chair bénisse son saint Nom dans les siècles, et
dans les siècles des siècles." (lbid., 21). Dans la sainte ardeur qui l'anime,
il convoque en même temps, et ceux qui sont comblés de bienfaits, et ceux qui
subissent des châtiments, cette autre marque de la Bonté divine, et non
seulement les hommes, mais encore les animaux, les éléments, toute la nature
insensible, puisque tout est rempli de cette même bonté. Ne cessons donc jamais
nous-mêmes de louer par nos paroles et par nos actes ce Dieu si bon, dont la
Bienveillance et l'Amour embrassent tous les temps et tous les êtres; et nous
obtiendrons les biens présents avec l'espérance des biens à venir, par la Grâce
et la Bonté de notre Seigneur Jésus Christ, à qui gloire et puissance, dans les
siècles des siècles. Amen.
- Jean Chrysostome