Cantique des degrés. Suivant une autre version : Cantique
que l'on chantait lorsqu'on montait les degrés. - "J'ai levé les yeux vers les
montagnes d'oit me viendra le secours." Suivant un autre interprète : "Je lève
les yeux vers les montagnes d'où me viendra le secours." v,1.
1. Vous voyez une âme qui plongée dans un abîme de maux, sans
trouver les moyens d'en sortir, jette ses regards vers Dieu pour qu'Il daigne la
consoler. Voilà encore une fois les avantages et les précieux fruits des
tribulations, elles tirent l'âme de son sommeil, elles lui donnent des ailes,
elles lui font implorer le secours d'en haut, et la détachent de toutes les
espérances de cette vie. Si les souffrances de la captivité ont rendu meilleurs
les Juifs, et leur ont fait tourner leurs regards vers le ciel, malgré leurs
inclinations grossières et leur attachement à la terre, n'est-il pas bien plus
juste que nous imitions leur conduite en recourant à Dieu au milieu de nos
malheurs, nous qui sommes tenus à une perfection beaucoup plus grande ? Ils
étaient alors au milieu de leurs ennemis, sans ville, sans forteresses, sans
aucun secours du côté des hommes, sans argent, sans aucune autre ressource; ils
vivaient comme des captifs, comme des esclaves au milieu de leurs traîtres et de
leurs ennemis. C'est alors qu'écrasés sous le poids de leurs infortunes, ils
recouraient à la Main invincible de Dieu, et que privés de tout secours humain,
ils trouvaient dans ce délaissement universel un motif de s'élever à la plus
haute sagesse.
Voilà ce qui leur dictait cette prière : "J'ai levé les yeux
vers les montagnes, d'où me viendra le secours." Tout ce que nous pouvions
attendre des hommes nous fait défaut, tout nous manque, tout nous échappe, nous
n'avons plus qu'une seule espérance de salut, celle qui vient de
Dieu.
"Mon secours me viendra du Seigneur qui a fait le ciel et la
terre." (lbid., 2). Voyez comme ils cherchent Dieu dans tous les objets créés :
la terre, le ciel, les montagnes, les déserts, tout leur rappelle son souvenir.
Voyez encore comme leur âme s'élève et proclame en toutes circonstances la
souveraine providence de Dieu. Car ce n'est pas sans motif que le psalmiste
ajoute : "Qui a fait le ciel et la terre ?" Voici le raisonnement que renferment
ces paroles : Si Dieu a fait le ciel et la terre, Il peut donc venir à notre
aide dans une terre étrangère, et jusque dans ce pays barbare, nous tendre une
main secourable, et sauver de pauvres exilés. Une seule parole Lui a suffi pour
créer les éléments, Il pourra donc à plus forte raison nous délivrer de ce
peuple barbare. Vous voyez à quelle haute sagesse s'élèvent dans la terre d'exil
ceux qui avaient moins d'intelligence que les pierres. Ce n'est plus le souvenir
du temple, c'est la pensée du ciel et de la terre qui se présente à leur esprit.
Les entendez-vous en effet proclamer le Dieu Créateur, sa Sagesse et sa
Providence ? Eux qui disaient auparavant au bois : "Vous êtes mon Dieu," et à la
pierre : "Vous m'avez engendré;" (Jer 2,27), reconnaissant maintenant le
Créateur de l'univers : "Mon secours me viendra du Seigneur," je ne l'attends ni
des hommes, ni des chevaux, ni des richesses, ni des alliés, ni de la force des
remparts. Notre secours viendra de Dieu; c'est un secours insurmontable, une
protection invincible, et avec cela rien n'égale la facilité avec laquelle nous
pouvons obtenir ce secours divin. Point de longs voyages à entreprendre, point
de gardiens à flatter, point de dépenses à faire, point d'ambassadeurs à
envoyer. Chacun peut sans sortir de chez soi se ménager ce secours, il suffit de
se détacher de toutes les choses de la terre, d'être plein d'espérance, et de
fixer constamment les yeux perçants de l'âme sur les hauteurs des cieux.
Pourquoi l'homme est-il le seul parmi tous les êtres animés que Dieu ait créé
droit, avec les yeux à la partie supérieure du corps ? N'est-ce pas pour lui
apprendre à s'élever au-dessus des choses sensibles et à regarder le ciel ?
L'homme seul a été créé de la sorte, tous les autres animaux marchent courbés,
et leurs regards sont toujours fixés sui la terre. L'homme au contraire, porte
la tête élevée vers le ciel, pour qu'il en fasse l'unique objet de ses pensées,
de ses méditations, et qu'il exerce les yeux pénétrants de son âme à en
contempler les richesses. C'est ce qui faisait dire à l'auteur du livre de la
Sagesse : "Les yeux du sage sont à sa tête." (Ec 2,14). C'est-à-dire, il est
affranchi de toutes les choses basses et terrestres, il parcourt les cieux pour
en contempler les mystères sublimes.
"Ne laissez point ébranler votre pied, et que celui qui vous
garde ne s'endorme point." (Ibid., 3). Voyez-vous la vigilance que ces paroles
exigent de nous ? Les Juifs désirent qu'on vienne à leur secours, ils implorent
la protection divine, et le Roi-prophète leur enseigne à peu près en ces termes,
la conduite qu'ils doivent tenir, pour arriver à ce but : Voulez-vous obtenir le
secours du ciel ? assurez-vous-le par vos propres efforts. Et que devons-nous
faire pour cela ? "Ne laissez pas ébranler votre pied," c'est-à-dire ne vous
laissez ni renverser ni abattre, et alors Dieu vous tendra la main, et vous
n'aurez à craindre ni qu'Il vous abandonne, ni qu'Il s'éloigne de vous. C'est
donc à nous à commencer, et le succès est en notre pouvoir. Puisqu'il en est
ainsi, lorsque nous voulons obtenir quelque faveur divine, il nous faut, telle
est la Volonté de Dieu, prêter, notre concours, concours bien faible et bien
petit, mais absolument nécessaire. Gardons-nous donc de rester plongés dans la
négligence, dans l'engourdissement, dans un lâche sommeil et dans la mollesse,
mais travaillons activement à notre salut. Voilà pourquoi le père de famille
loue des ouvriers jusqu'à la onzième heure. (Mt 20,6). Cependant que
pouvaient-ils faire à cette heure avancée ? Tout simplement fournir à Dieu
l'occasion et le motif de les récompenser. Voilà pourquoi David après avoir dit
: "Ne laissez pas ébranler votre pied," ajoute; "Et celui qui vous garde ne
s'endormira point," Faites tout ce qui dépend de vous, et Dieu fera le reste. Le
psalmiste nous apprend encore que malgré tous nos efforts, nous avons besoin du
secours de Dieu pour que notre tranquillité soit immuable et assurée.
2, Mais quel est celui dont le pied se laisse ébranler ? Celui
qui se jette dans les choses passagères qui n'ont aucun fondement solide, comme
l'amour des richesses et le désir des jouissances de la terre. Aussi, voit-on
ces hommes chanceler et tomber et se créer les plus grands dangers; ces biens
n'ont en effet rien de solide, rien de stable, ils sont sujets à des changement;
à des mouvements continuels, ils sont plus agités que les flots, s'écoulent avec
plus de rapidité que l'eau courante des fleuves, offrent moins de consistance et
sont dispersées plus vite que le sable : "Non, il ne s'endormira pas, il ne
sommeillera pas, celui qui garde Israël." (Ibid., 4.) S'il vous trouve ainsi
disposé, il ne dormira ni ne sommeillera; c'est-à-dire ne craignez de lui ni
abandon, ni délaissement, il ne vous laissera point seul à la merci de vos
ennemis. Et n'est-ce point ce qu'il veut vous apprendre, lorsqu'il ajoute :
"Celui qui garde Israël ?" Que signifient ces paroles ? Si depuis tant de
siècles et dès le temps de vos ancêtres, tout son objet a été de veiller à votre
sûreté, ne craignez pas de le voir jamais faillir à ce devoir, et cesser de
veiller sur vous, à moins que vous ne laissiez ébranler votre pied. Que dis-je ?
non seulement Dieu ne vous abandonnera point, mais il vous assure une protection
qui vous mettra à l'abri de tout danger. Entendez ce que vous dit le
Roi-prophète : "Le Seigneur vous garde; le Seigneur est sur votre droite pour
vous donner sa protection." (Ibid., 5). Une autre version porte : "II est à
votre droite." Il sera votre défenseur, votre allié, votre secours. Remarquez de
nouveau que Dieu exige ici vos propres efforts. Empruntant cette figure aux
combattants, le psalmiste vous représente Dieu qui se tient à votre droite pour
vous rendre invincible, doubler votre action, votre force, votre puissance, vous
assurer la victoire et vous faire remporter un triomphe éclatant, parce que la
main droite est l'instrument de toutes les actions marquantes que nous faisons.
Non content de vous défendre et de vous porter secours, il vous couvrira encore
de sa protection. Je le répète, le prophète se sert des choses qui nous sont
connues, pour nous représenter le secours de Dieu; et cette droite et cette
protection nous fait comprendre la garde rigoureuse et le secours toujours
prochain que nous avons droit d'attendre de lui.
"Le soleil ne vous brûlera point durant le jour, ni la lune
pendant la nuit." (Ibid., 6). Ce prodige eut lieu en faveur des Israélites après
leur sortie d'Egypte et pendant leur séjour dans le désert; ces paroles sont le
symbole d'une sécurité parfaite. Il est vraisemblable qu'à leur retour de la
captivité, les Israélites furent l'objet d'un miracle analogue. Par ce langage
figuré, le psalmiste veut nous montrer toute l'étendue de la Providence divine,
qui non seulement sait délivrer de tous les maux, mais garantit encore ses
enfants des incommodités auxquelles les hommes sont naturellement sujets. Dieu,
en effet, nous donne sa Protection avec une générosité sans égale, avec une
bonté que rien ne peut exprimer. Il ne se contente pas de proportionner son
secours à nos besoins, il nous l'accorde avec une libéralité qui surpasse de
beaucoup nos désirs. "Le Seigneur vous préservera de tout mal, le Seigneur
gardera votre âme." (Ibid., 7). Puisqu'Il vous affranchit des moindre
incommodités, et qu'Il étend jusque-là les soins de sa Providence, Il saura bien
vous préserver de tous les autres maux qui peuvent vous menacer. Tout ce qui
peut nous arriver de fâcheux cède et disparaît devant un signe de la Volonté de
Dieu, ce qui n'est pas au pouvoir des hommes. Ils vous ont délivré d'une
épreuve, mais ils n'ont pu vous sauver d'une autre; ou bien s'ils l'ont pu, ils
ne l'ont point voulu. Il n'y a que la Main souveraine et toute-puissante de Dieu
qui puisse repousser tous les maux qui nous accablent, quels qu'ils soient, et
nous procurer une délivrance complète. "Dieu protégera votre sortie et votre
rentrée, maintenant et à jamais." (Ibid., 8). Une autre version porte : "Votre
approche." Vous voyez que la Protection de Dieu vous suit dans toutes les
circonstances de la vie, à votre entrée comme à votre sortie. Que peut-on
comparer à cette charité, à cette miséricorde ? Les expressions dont se sert le
psalmiste embrassent toute la vie, iront les deux termes extrêmes sont l'entrée
et la sortie. Et pour exprimer plus clairement cette vérité, il ajoute :
"Maintenant et à jamais." Il ne vous gardera pas seulement un, deux, trois, dix,
vingt ou cent jours, mais toujours. Cette persévérance ne se rencontre pas chez
les hommes, sujets à tant de retours, à tant de vicissitudes. Celui qui est
aujourd'hui votre ami, devient demain votre ennemi, et celui qui vous prête
secours en ce montent, vous abandonne l'instant d'après. Souvent même, non
content de vous abandonner, il se déclare contre vous et devient un de vos
ennemis les plus dangereux et les plus acharnés. Mais au contraire, les dons de
Dieu sont immuables, sans interruption, immortels, stables, et n'ont d'autres
limites que l'éternité. Faisons donc tous nos efforts pour obtenir ces biens,
mériter cette paix assurée et ces jouissances éternelles en Jésus Christ notre
Seigneur à qui soit la gloire dans les siècles des siècles. Amen.
-
Jean Chrysostome